‏ Romans 15

HOMÉLIE XXVIII.

CAR JE VOUS DÉCLARE QUE JÉSUS-CHRIST A ÉTÉ LE MINISTRE DE L’ÉVANGILE, A L’ÉGARD DES JUIFS CIRCONCIS, AFIN QUE DIEU FUT RECONNU POUR VÉRITABLE, PAR L’ACCOMPLISSEMENT DES PROMESSES FAITES A LEURS PÈRES. (XV, 8, JUSQU’À 13)

Analyse.

  • 1 et 2. Condescendance et charité mutuelle. – Jésus-Christ promis aux Juifs et annoncé par grâce aux gentils. – Le Christ subi la circoncision pour abolir la circoncision.
  • 2 et 3. Des moyens d’attirer en soi le Saint-Esprit. – Les bonnes œuvres, et les psaumes. – Nombreuses citations des psaumes. – Le livre des psaumes est le trésor de l’Église.

1. Il parle encore de la sollicitude du Christ, insistant sur le même sujet, pour montrer tout ce que le Christ a fait dans notre intérêt, sans penser au sien. En même temps, l’apôtre démontre que ce sont les gentils qui sont les plus redevables à Dieu. Or, s’ils sont les plus redevables, il est juste qu’ils supportent les faiblesses des Juifs. Après avoir vivement réprimandé les faibles, pour que cette réprimande ne donne pas de l’orgueil aux forts, pour réprimer leur arrogance, il montre les biens accordés aux Juifs, en vertu des promesses faites à leurs pères ; quant aux gentils, ils ne doivent ces biens qu’à la miséricorde, qu’à la bonté de Dieu ; de là ces paroles : « Et quant aux gentils, ils doivent glorifier Dieu a à cause de sa miséricorde ». Voulez-vous mieux comprendre toute la pensée de l’apôtre ? Écoutez encore une fois le texte, pour bien saisir ce que signifie : « Afin que Dieu fût reconnu pour véritable, Jésus-Christ a été le ministre de l’Évangile à l’égard des Juifs circoncis », afin d’accomplir les promesses faites à leurs pères. Que veut dire ce texte ? Une promesse avait été faite à Abraham : « Je vous donnerai ce pays, à vous et à votre postérité » ; et : « Toutes les nations de la terre seront bénies dans celui qui sortira de vous ». (Gen 12,7 ; 22, 18) Mais ensuite toute la postérité d’Abraham tomba sous le coup du châtiment. La violation de la loi leur attira la colère de Dieu, et ils furent déchus de cette promesse faite à leurs ancêtres. Toutefois, à son avènement, le Fils de Dieu, coopérant avec son Père, fit en sorte que ces promesses fussent accomplies et eussent leur effet. Après avoir donné pleine et entière satisfaction à la loi, subi la circoncision, et par ce moyen, et par sa croix, levé les malédictions qu’avait attirées l’infraction de la loi, il rie laissa pas tomber la promesse. Donc ces paroles : « Le ministre de l’Évangile à l’égard des Juifs circoncis », expriment ce fait que le Fils de Dieu, à soit avènement, ayant accompli toute la loi, avant été circoncis, étant devenu de la race d’Abraham, a effacé la malédiction, apaisé la colère de Dieu, a rendu capables désormais de recevoir les effets de la promesse ceux qui devaient les recevoir après avoir été affranchis de leurs offenses. L’apôtre ne veut pas que les judaïsants puissent dire : Comment se fait-il que le Christ ait été circoncis, ait observé toute la loi ? Il tourne cette objection contre ceux qui la font. Ce n’est pas, dit l’apôtre, pour affermir la loi, c’est pour en finir avec la loi, que le Christ s’est soumis à la circoncision ; c’est pour vous arracher à la malédiction qui pesait sur vous, c’est pour vous affranchir tout à fait de la domination de cette loi. C’est parce que vous l’aviez transgressée, qu’il a voulu l’accomplir tout entière ; ce n’est pas pour vous la faire accomplir vous-mêmes, c’est, au contraire, pour assurer l’accomplissement des promesses faites à vos pères, et dont vous étiez déchus, votre infraction à la loi vous ayant rendus indignes de cet héritage ; d’où il résulte que, vous aussi, vous avez été sauvés par grâce, car vous étiez rejetés. Donc cessez de faire des divisions, des disputes, de vous tenir si mal à propos attachés à la loi qui vous aurait fait déchoir de la promesse, si le Christ n’avait pas, pour vous, tant souffert. Ces souffrances, le Christ les a endurées, non que vous eussiez mérité d’être sauvés, mais pour faire reconnaître la véracité de Dieu.

Maintenant, l’apôtre ne veut pas que ces réflexions donnent de l’orgueil aux gentils : « Quant aux gentils ils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde (9) ». Ce qui veut dire Les Juifs ont reçu, quoiqu’ils fussent indignes, les effets de la promesse ; mais vous, vous n’aviez pas même reçu de promesse, et c’est un pur effet de la bonté de Dieu qui vous a sauvés. Sans doute les Juifs n’auraient rien eu de plus que les autres, quelle que fût la promesse, si le Christ n’était venu sur la terre : toutefois l’apôtre veut modérer l’orgueil des gentils ; il ne veut pas qu’ils s’élèvent contre les faibles, c’est pourquoi il rappelle les promesses : pour les gentils, il leur dit que c est à la seule miséricorde qu’ils doivent leur salut ; de là, pour eux, une raison plus forte de glorifier Dieu. Or, la gloire de Dieu, c’est l’union qui nous rassemble, qui fait que nous le célébrons tous d’un seul et même cœur, que nous soutenons le faible, que nous ne méprisons pas le membre brisé, séparé de nous. L’apôtre montre ensuite les témoignages qui prouvent que les Juifs fidèles doivent s’unir aux fidèles d’entre les gentils : « Selon qu’il est écrit : « C’est pour cela que je vous louerai, Seigneur, parmi les nations, et que je chanterai un cantique à la gloire de votre nom. (Psa 18,49) Et l’Écriture d ! t encore : Réjouissez-vous, nations, avec son peuple ; et ailleurs : Nations, louez le Seigneur ; peuples, glorifiez-le tous. (10, 11 ; Psa 117,1) Et « Il sortira de la tige de Jessé un rejeton, qui s’élèvera pour régner sur les nations, et les nations espéreront en lui ». (12 ; Isa 11,10) Tous ces témoignages, l’apôtre les produit, pour montrer qu’il faut s’unir et glorifier Dieu, et en même temps pour rabaisser le Juif et l’empêcher de s’élever contre le gentil, appelé par tous les prophètes ; et l’apôtre, du même coup, exhorte le gentil à une foi modeste, en lui montrant qu’il doit à Dieu une plus grande reconnaissance. Psa 117,1) Et « Il sortira de la tige de Jessé un rejeton, qui s’élèvera pour régner sur les nations, et les nations espéreront en lui ». (12 ; Isa 11,10) Tous ces témoignages, l’apôtre les produit, pour montrer qu’il faut s’unir et glorifier Dieu, et en même temps pour rabaisser le Juif et l’empêcher de s’élever contre le gentil, appelé par tous les prophètes ; et l’apôtre, du même coup, exhorte le gentil à une foi modeste, en lui montrant qu’il doit à Dieu une plus grande reconnaissance.

2. Vient ensuite encore une prière : « Que le Dieu d’espérance vous comble de joie et de paix, dans votre foi, afin que votre espérance abonde par la vertu du Saint-Esprit (13) » ; c’est-à-dire, afin que vous soyez affranchis de vos discordes, et que les tentations ne vous abattent jamais ; vous en triompherez, si l’espérance abonde en vous. Voilà la cause de tous les biens. Voilà ce qui nous viendra du Saint-Esprit, non sans condition de la part du Saint-Esprit, mais à la condition que nous ferons tout ce qui dépend de nous ; voilà pourquoi l’apôtre dit aussi : « Dans votre foi » : voulez-vous être remplis de joie, montrez votre foi, montrez votre espérance. L’apôtre ne dit pas : afin que vous espériez, mais : « Afin que votre espérance abonde » : c’est-à-dire, de manière que vous trouviez, non seulement la consolation de vos maux, mais la joie que procure l’abondance de la foi et de l’espérance. Car c’est par là que vous attirerez l’Esprit sur vous ; c’est par là qu’avec son assistance, vous conserverez tous les biens. De même que la nourriture soutient notre vie, et que c’est la vie qui distribue la nourriture, de même si nous avons les bonnes œuvres, nous aurons l’Esprit ; et si nous avons l’Esprit, nous aurons les bonnes œuvres : et de même, l’inverse est également vrai, si nous n’avons pas les œuvres, l’Esprit nous échappe aussi. Que nous perdions l’appui de l’Esprit, aussitôt nous clochons dans les œuvres : une fois en effet que l’Esprit se retire, l’impur arrive. Saül en est un exemple évident. Qu’importe que l’esprit immonde ne nous suffoque pas comme ce roi ? Il nous étreint d’une autre manière, par les œuvres mauvaises. Nous avons donc besoin de la harpe de David pour chanter à notre âme les divins cantiques, et la gloire de Dieu et la gloire des bonnes œuvres. Car si nous nous bornons à louer Dieu, à entendre des chants, si nos œuvres les démentent, si nous faisons ce que faisait Saül, le remède se changera pour nous en damnation, et notre folie deviendra plus monstrueuse. Avant que nous ayons entendu les cantiques, le démon maudit tremble, il a peur de nous voir nous corriger ; mais, si malgré ce qu’entendent nos oreilles, nous demeurons les mêmes, sa crainte se dissipe alors.

Chantons donc le cantique des œuvres, afin de chasser loin de nous le péché, plus affreux encore que le démon. Le démon en effet ne nous prive pas nécessairement du royaume des cieux, et même parfois il sert les intérêts de celui qui veille ; le péché nous bannit tout à fait du ciel. Car le péché est un démon volontaire, un délire spontané ; aussi ne rencontre-t-il ni miséricorde, ni pardon. Chantons donc dans ces dispositions, et tout ce que chante l’Écriture, et ce que chante le bienheureux David ; que la bouche fasse entendre les psaumes et que l’esprit s’instruise. Il n’y a pas là un secours à dédaigner ; une fois que nous aurons appris à notre langue à chanter, notre âme rougira, pendant que celle-ci chante, de céder à des pensées contraires. Et ce n’est pas là le seul fruit que nous recueillerons, mais nous recueillerons grand nombre de connaissances qui nous seront utiles. Car David vous entretient et des choses présentes et des choses à venir, et des créatures visibles, et de la création invisible. Voulez-vous savoir si le ciel demeure tel qu’il est, ou subit des changements ? sa réponse est claire : « Les cieux vieilliront tous comme un vêtement ; vous les roulerez comme un habit dont on se couvre », ô Dieu, « et ils seront changés ». (Psa 102,27) Voulez-vous connaître la forme du ciel : « Étendant le ciel comme une tente ». (Psa 104,2) Et si vous tenez à en savoir un peu plus sur la voûte extérieure, David vous dira encore : « Vous qui couvrez d’eau sa partie la plus élevée ». (Psa 104,3) Et le chantre sacré ne s’arrête pas là, mais il vous parle encore et de la largeur et de la hauteur, dont il vous montre l’égalité : « Autant l’orient est éloigné du couchant, autant il a éloigné de nous nos iniquités Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant a-t-il affermi, sa miséricorde sur ceux qui le « craignent ». (Psa 103,12, 11) Si vous voulez scruter les fondements de la terre, il ne vous les tiendra pas cachés, vous l’entendrez chanter et vous dire : « Car c’est lui qui l’a fondée sur les mers ». (Psa 24,2) Désirez-vous apprendre la cause des tremblements de terre, il ne vous laissera aucune incertitude : « Lui qui regarde la terre et la fait trembler ». (Psa 104,32) Vous cherchez à quoi sert la nuit, vous l’allez apprendre de lui : « C’est durant la nuit que toutes les bêtes de la forêt se répondent sur la terre ». (Psa 104,20) Et les montagnes, à quoi bon ? il vous répond « Les hautes montagnes servent de retraite aux cerfs ». Et les rochers ? « Et les rochers aux hérissons, et aux lièvres ». Pourquoi les arbres stériles ? apprenez-le : « Les petits oiseaux y feront leurs nids ». (Psa 104,18, 17) Pourquoi les sources dans les déserts ? « Sur leurs bords habiteront les oiseaux du ciel, et les bêtes des champs ». (Id 12,11) Et pour quel usage ; le vin ? non seulement pour boire, car l’eau suffisait, mais pour y trouver le contentement et la joie : « Le vin réjouit le cœur de l’homme ». (Id 15) Vous saurez ainsi quelle mesure vous devez garder.

D’où vient, aux oiseaux du ciel, aux bêtes des champs, leur nourriture ? Écoutez la réponse : « Toutes les créatures attendent de vous que vous leur donniez leur nourriture, lorsque le temps en est venu ». (Id 27) Si vous dites : A quoi bon les bêtes de somme ? il vous répond qu’elles sont pour votre usage. « Qui produit le foin pour les bêtes de somme, et l’herbe pour les esclaves de l’homme ? » (Id 14) Quel besoin avez-vous de la lune ? Écoutez le psalmiste : « Il a fait la lune pour les temps ». (Id 19) Et que Dieu a tout fait, toutes les choses, soit visibles, soit invisibles, c’est ce qu’il enseigne avec clarté, en disant : « Il a parlé, et toutes choses ont été faites ; il a commandé, et toutes choses ont été créées ». (Psa 33,9) Quant à ce que la mort même sera détruite, c’est ce que le psalmiste vous apprend, en disant : « Dieu rachètera et délivrera mon âme de la puissance de l’enfer, lorsqu’il m’aura pris en sa protection ». (Psa 49,16) D’où nous vient notre corps ? Le psalmiste le dit aussi. « Il s’est souvenu que nous ne sommes que poussière ». (Psa 103,14) Où retourne-t-il ? « Il rentrera dans sa poussière ». (Psa 104,29) En vue de quoi toutes ces choses ? Pour vous. « Vous l’avez couronné de gloire et d’honneur, et vous l’avez établi sur les ouvrages de vos mains » : (Psa 8,6) Avons-nous quelque chose de commun, nous autres hommes, avec les anges ? C’est ce que le psalmiste dit encore, de cette manière : « Vous ne l’avez qu’un peu abaissé au-dessous des anges ». (Id. 5) Sur l’amour de Dieu : « De même qu’un père a une tendre compassion pour ses fils, le Seigneur a une tendre compassion pour ceux qui le craignent ». (Psa 103,13) Sur la vie qui nous attend après celle-ci, sur le tranquille repos qui sera la fin des choses : « Rentre », dit-il, « ô mon âme, dans ton repos ». (Psa 116,7) Pourquoi le ciel est-il si grand ? Le psalmiste répondra aussi : « Les cieux racontent la gloire de Dieu ». (Psa 19,2) Dans quel but le jour et la nuit ? Ce n’est pas seulement pour que le jour brille et que la nuit nous procure le repos, c’est aussi pour nous instruire : « Il n’y a point de langue, ni de différent langage, au milieu de qui leur voix ne soit entendue ». (Id. 4) Comment la mer entoure-t-elle la terre ? « L’abîme l’environne comme un vêtement » (Psa 104,6) ; c’est là ce que dit le texte, hébreu.

3. Suivant le même principe, vous pourrez de même apprendre tout le reste, sur le Christ, sur la résurrection, sur la vie à venir, sur le repos final, sur le grand châtiment, sur tout ce qui concerne les mœurs, sur les dogmes ; et vous trouverez dans ce livre des Psaumes des richesses incalculables. Si vous tombez dans des tentations, vous en retirerez une consolation tout à fait efficace ; si vous commettez des péchés, vous y rencontrerez un nombre infini de remèdes pour votre âme ; s’il vous arrive d’essuyer la tempête de la pauvreté, de l’affliction, vous apercevrez une foule de ports à l’horizon ; et si vous êtes un homme juste vous en recueillerez de quoi vous affermir ; et si vous êtes un pécheur, de quoi vous consoler. Vous pratiquez la justice, et vous souffrez des malheurs, écoutez la voix qui vous dit : « A cause de vous nous sommes tous les jours livrés à la mort, nous avons été regardés comme des brebis destinées à la boucherie ». (Psa 44,22) – « Tous ces maux sont venus fondre sur nous, et nous ne vous avons point oublié (17) ». Si vos bonnes œuvres vous donnent, de vous-mêmes, de hautes pensées, écoutez la voix qui vous dit « N’entrez point en jugement avec votre serviteur, parce que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous » (Psa 143,9) ; voilà qui tout de suite vous rendra humble. Si vous êtes pécheur, et si vous désespérez de vous-même, vous l’entendrez souvent chanter : « Si vous entendez aujourd’hui sa voix, gardez-vous bien d’endurcir vos cœurs, comme il arriva au temps du murmure qui excita ma colère » (Psa 95,8, 9) ; voilà qui vous relèvera aussitôt. Si vous portez un diadème sur la tête, si l’orgueil vous tient, vous apprendrez que : « Ce n’est point dans sa grande puissance qu’un roi trouve son salut, et le géant ne se sauvera point par sa force extraordinaire » (Psa 33,16), et vous pourrez vous contenir. Si vous êtes riche et glorieux, vous l’entendrez encore chanter : « Malheur à ceux qui se confient dans leur force, et qui se glorifient dans l’abondance de leurs richesses » (Psa 49,7) ; et encore « Le jour de l’homme passe comme l’herbe ; il est comme la fleur des champs qui passe vite » (Psa 103,15) ; et « Sa gloire ne descendra pas en même temps que lui, derrière lui » (Psa 49,18) ; alors vous jugerez qu’il n’y a rien de grand sur la terre. Car tout ce qu’il y a de plus éclatant, la gloire, la puissance, étant si méprisable, que pouvez-vous encore estimer sur la terre ? Si vous êtes dans le chagrin, écoutez le Psalmiste : « Pourquoi, mon âme, êtes-vous triste, et pourquoi me remplissez-vous de trouble ? Espérez en Dieu, parce que le dois encore le louer ». (Psa 42,12) Voyez-vous certains hommes qui ne méritent pas leur gloire ? Dites alors : « Gardez-vous de porter envie aux méchants, et ne soyez point jaloux de ceux qui commettent l’iniquité, car ils sécheront aussi vite que le foin, et se faneront comme les herbes et les légumes ». (Psa 37,1, 2) Voyez-vous des justes et des injustes qui sont frappés ? Écoutez, ce n’est pas pour la même cause : « Il y a un grand nombre de fouets pour le pécheur ». (Psa 32,10) S’il est question des justes, le Psalmiste ne dit pas, des fouets, mais : « Il y a un grand nombre d’afflictions pour les justes, et le Seigneur les délivrera de toutes ces peines » (Psa 34,20) ; et encore : « La mort des pécheurs est détestable » ; et : « C’est une chose précieuse devant le Seigneur que la mort de ses saints ». (Psa 116,15)

Lisez sans cesse ce livre, voilà comment vous vous instruirez ; chacune de ces paroles contient un océan, un abîme sans fond de pensées. Mais nous ne faisons que les traverser en courant ; si vous vouliez fixer votre attention star ses paroles, vous y trouveriez de riches trésors. Elles peuvent réprimer les œuvres coupables. En condamnant l’envie, la douleur, l’abattement hors de propos, en recommandant de regarder comme rien : richesses, tribulations, pauvreté, vie même, elles vous affranchissent de toutes les passions. Pour tous ces bienfaits, rendons grâces à Dieu et mettons la main sur ce trésor : « Pour posséder l’espérance, par la patience et la consolation des Écritures », pour jouir des biens à venir ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIX.

POUR MOI, MES FRÈRES, JE SUIS PERSUADÉ QUE VOUS ÊTES PLEINS DE CHARITÉ, QUE VOUS ÊTES REMPLIS DE TOUTES CONNAISSANCES, ET QU’AINSI VOUS POUVEZ VOUS INSTRUIRE LES UNS LES AUTRES. (XV, 14, JUSQU’A 24)

Analyse.

  • 1. De l’édification des fidèles les uns par les autres ; de l’instruction qu’ils peuvent se donner mutuellement. – Des grands ménagements que prend saint Paul, en réprimandant les fidèles.
  • 2. Du sacerdoce, de l’oblation ; comment l’oblation peut-elle devenir agréable à Dieu ? – Attention de saint Paul à ne pas prêcher où d’autres apôtres l’avaient devancé.
  • 3. Raisons qui ont retardé son voyage à Rome. – Amour paternel de l’apôtre polir les fidèles.
  • 4 et 5. De la bonté chez les pasteurs. – Exemples tirés des Écritures. – De l’obéissance due aux conducteurs des peuples.

1. Il avait dit : « Tant que je serai l’apôtre des gentils, je glorifierai mon ministère » ; il avait dit : « Vous devez craindre que Dieu ne vous épargne pas non plus » (Rom 11,13, 21) ; il avait dit : « Ne soyez point sages à vos propres yeux » (Id 12,16) ; il avait encore dit : « Vous donc, pourquoi condamnez-vous votre frère ? » et : « Qui êtes-vous pour « oser condamner le serviteur d’autrui ? » (Id 14,10, 4) et il avait fait entendre bien d’autres paroles semblables. Donc il ne pense plus qu’à adoucir la rudesse qu’il a souvent montrée, et ce qu’il a dit en commençant il le reprend pour finir. En commençant, il avait dit : « Je rends grâces à mon Dieu pour vous tous, de ce qu’on parle de votre foi dans tout le monde » (Id 1,8) ; ici : « Je suis persuadé que vous êtes pleins de charité, et qu’ainsi vous pouvez vous instruire les uns les autres », et ce compliment dit plus que l’autre. Il n’y a pas : J’ai appris, mais : « Je suis persuadé », ce qui veut dire, je n’ai pas besoin d’apprendre de la bouche d’un autre ; mais : « Pour moi, je suis persuadé », moi qui réprimande, moi qui accuse, « Que vous êtes pleins de charité ». Cet éloge répond à l’observation qu’il vient de leur faire, c’est comme s’il leur disait : Ce n’est pas parce que je vous regarde comme dépourvus de douceur, comme capables de haïr vos frères, que je vous ai exhortés à les soutenir, à ne pas laisser périr l’ouvrage de Dieu : je sais parfaitement que vous êtes pleins de charité. L’apôtre me semble marquer ici par ce mot la vertu en général. Et l’apôtre ne dit pas : Vous êtes pourvus de, mais : « Vous êtes pleins de charité ». La même force d’expressions se remarque dans ce qui suit : « Vous êtes remplis de toutes sortes « de connaissances ». Et en effet, que serait-il résulté de leur amour s’ils n’avaient pas su la manière de se conduire avec ceux qu’ils aimaient ? Aussi Paul a-t-il ajouté : « De toutes sortes de connaissances, et qu’ainsi vous pouvez vous instruire les uns les autres » ; non seulement être des disciples, mais des docteurs.

« Néanmoins je vous ai écrit ceci avec un peu de liberté (15) ». Voyez l’humilité de Paul, voyez sa prudence ; il a d’abord un discours profondément incisif ; ensuite, après avoir fait l’opération salutaire qu’il se proposait, il a recours à tous les adoucissants. Indépendamment de tout ce qu’il a dit, il suffisait d’avouer qu’il avait parlé avec une certaine liberté, cette confession devait adoucir l’esprit des fidèles. C’est la conduite que tient l’apôtre en écrivant aux Hébreux : « Nous avons une meilleure opinion de vous et de votre salut, mes chers frères, quoique nous parlions de cette sorte » (Heb 6,9) ; même langage aux Corinthiens : « Je vous loue, mes frères, de ce que vous vous souvenez de moi en toutes choses, et que vous gardez les traditions et les règles que je vous ai données ». (1Co 11,9) Il écrivait aux Galates : « J’ai la confiance que vous n’aurez point d’autres sentiments que les miens ». (Gal 5,10) Partout, dans ses lettres, vous verrez la répétition fréquente de cette pensée, mais mille part plus fréquente qu’ici. Car les Romains étaient les plus relevés dans l’estime des peuples, et il était nécessaire de réprimer leur orgueil, non seulement en leur parlant avec fermeté, mais aussi en les caressant. L’apôtre arrive à son but par des moyens différents. Voilà pourquoi il dit dans ce passage : « Je vous ai écrit ceci avec liberté » ; remarquez, cette expression ne lui aurait pas suffi ; il dit « avec un peu de liberté », c’est-à-dire, avec une liberté douce. Et il ne s’arrête pas là ; mais que dit-il ? « Comme pour vous faire ressouvenir ». Il ne dit pas : Pour vous apprendre ; il ire dit pas non plus : Vous rappelant, mais : « Vous faisant ressouvenir », c’est-à-dire, vous rappelant tout doucement. Voyez-vous comme la fin de la lettre et le commencement se répondent ? De même qu’il disait, en commençant : « On parle de votre foi dans tout le monde », de même à la fin de la lettre : « Votre obéissance est connue de tous ». Et comme il disait au début. « J’ai grand désir de vous voir, pour vous faire part de quelque grâce spirituelle, afin de vous fortifier » (Rom 1,8, 11) ; c’est-à-dire, pour notre mutuelle consolation ; de même ici, « comme pour vous faire ressouvenir », dit-il. Il descend de temps à autre de la chaire du maître, et il leur parle comme à des frères, à des amis, à des égaux ; il entend fort bien ce qui est le premier talent d’un maître, et qui consiste à varier son discours pour l’utilité des auditeurs.

Voyez donc comme, après avoir dit ; « Je vous ai écrit ceci », non avec liberté, mais avec un peu de liberté », et, « comme pour vous faire ressouvenir », il ne s’en tient pas encore à cette modestie de louange, mais il ajoute avec plus d’humilité encore : « Selon la grâce que Dieu m’a donnée » : c’est aussi ce qu’il disait, en commençant : « Je suis débiteur ». Ce qui veut dire : je n’ai pas ravi cet honneur pour me l’arroger, je ne m’en suis pas emparé moi-même, c’est Dieu qui m’a donné cet ordre, et en cela il m’a fait une grâce dont je n’étais pas digne. Donc ne vous irritez pas ; ce n’est pas moi qui m’élève contre vous, c’est Dieu qui commande. Et, de même qu’il dit au commencement, Dieu « que je sers dans l’Évangile de son Fils » ; de même ici après avoir dit : « Selon la grâce que Dieu m’a donnée », il ajoute : « d’être le ministre de Jésus-Christ parmi les gentils, en exerçant la sacrificature de l’Évangile de Dieu (16) ». Après un grand nombre de preuves à l’appui de ses réflexions précédentes, il passe à un sujet plus grave, il ne parle plus du culte seulement, comme au début, mais de la liturgie et du saint ministère : mon sacerdoce à moi, c’est la proclamation, c’est la prédication de l’Évangile, voilà le sacrifice que j’offre. Jamais on n’a fait un reproche au prêtre de prendre soin que son offrande soit pure. Voilà ce que disait Paul, pour donner des ailes à leurs pensées, pour leur montrer qu’ils étaient eux-mêmes l’offrande, et pour se justifier en se fondant sur l’ordre qu’il avait reçu d’en haut. Mon glaive, à moi, dit-il, c’est l’Évangile, c’est la parole de la prédication ; et ce qui me fait agir, ce n’est pas un désir de gloire, un amour de briller, mais je veux, écoutez la suite : « Que « l’oblation des gentils lui soit agréable, étant « sanctifiée par le Saint-Esprit ». C’est-à-dire, il faut que les âmes des disciples soient agréables à Dieu. Car ce n’est pas tant pour me faire honneur que Dieu m’a appelé à ce ministère, que pour assurer votre salut.

2. Or, comment l’oblation pourra-t-elle devenir agréable ? Par l’Esprit-Saint. C’est qu’en effet la foi ne suffit pas, il faut de plus la vie spirituelle, si nous voulons conserver l’Esprit-Saint, une fois que nous l’aurons reçu. Car ni le bois, ni le feu, ni l’autel, ni le glaive ne sont rien, c’est l’Esprit qui est toutes choses en nous. Aussi je fais tout, pour empêcher ce feu de s’éteindre : c’est là la mission qui m’a été donnée. Pourquoi donc vous adressez-vous à ceux qui n’ont pas besoin d’être instruits ? C’est précisément pour cela, dit-il ; je n’instruis pas, je ne fais qu’avertir : comme le prêtre allume le feu, ainsi je réveille votre ardeur. Et voyez, il ne dit pas : afin que votre oblation, mais : « afin que l’oblation des gentils lui soit agréable ». – « Des gentils », cela veut dire, le monde habité, la terre, toutes les mers ; c’est pour rabaisser leur orgueil ; on ne doit pas dédaigner le maître, qui veut faire entendre sa voix aux extrémités de la terre. C’est encore ce qu’il disait au commencement : « Je suis redevable aux Grecs et aux barbares, aux savants et aux simples. Je mets donc ma gloire en Jésus-Christ, pour le service de Dieu ». Après s’être fort humilié, il se relève, il reprend sa fierté, et cela même dans leur intérêt, afin de ne pas paraître un objet de mépris. Mais tout en paraissant s’élever, il n’oublie pas son caractère propre, il dit : « Je mets donc ma gloire ». Je me glorifie, dit-il, non de moi-même, non de l’ardeur qui est en moi, mais de la grâce de Dieu.

« Car je n’oserais vous parler de ce que Jésus-Christ a fait pour moi, pour amener les gentils à l’obéissance de la foi, par la parole et par les œuvres (18) ; par la vertu des miracles et des prodiges, et par la puissance du Saint-Esprit (19) ». Vous ne m’objecterez pas, dit l’apôtre, que la vanité inspire mes paroles ; je ne vous parle que des marques de mon sacerdoce, et je ne suis pas en peine pour vous fournir les signes de la mission qui m’est conférée ; ce ne sont pas des robes traînantes, ni une mitre ou une tiare, ni une parure pour le front, mais des signes beaucoup plus redoutables, des miracles. Et l’on ne peut pas dire non – plus que j’ai reçu une mission, mais que je n’ai rien fait : je me trompe, ce n’est pas moi qui ai fait quelque chose, mais le Christ. Voilà pourquoi je me glorifie en lui, non pour des œuvres vulgaires, mais pour des œuvres spirituelles. Car c’est là ce que signifie : « pour le service de Dieu ». Ce qui prouve que j’ai exécuté ma mission, et que mes paroles ne sont pas de la jactance, ce sont les miracles accomplis et la soumission des nations. « Car je n’oserais vous parler de ce que Jésus-Christ a fait par moi, pour amener les gentils à l’obéissance de la foi, par la parole et par les œuvres ; par la vertu des miracles et des prodiges, et par la puissance du Saint-Esprit ». Voyez ses efforts, son insistance pour montrer que tout est l’œuvre de Dieu, que lui, Paul, n’y est pour rien. Soit que je dise, soit que je fasse, soit que j’opère des miracles, c’est Dieu qui fait tout, l’auteur de tout, c’est l’Esprit-Saint. Ces paroles ont pour but de montrer aussi la vertu de l’Esprit. Comprenez-vous combien ce sacrifice, cette oblation, ces marques sont bien plus admirables, redoutables que ce qui avait paru anciennement ? Quand l’apôtre dit : « Par la parole « et par les œuvres, par la vertu des miracles « et des prodiges », il entend par là, la doctrine, la sagesse du royaume de Dieu, l’établissement d’une vie et d’une conduite toute nouvelle, les morts ressuscités, les démons chassés, les aveugles guéris, les boiteux se mettant à marcher, tous les autres prodiges accomplis en nous par le Saint-Esprit.

Mais ceci n’est encore qu’une assertion dont voici la preuve : le grand nombre des disciples. Voilà pourquoi il ajoute : de sorte que, « depuis Jérusalem, en faisant le tour, jusqu’en Illyrie, j’ai tout rempli de l’Évangile du Christ ». Il fait donc l’énumération, et des villes, et des contrées, et des nations, et des peuples, non seulement de ceux qui obéissent aux Romains, mais encore des tribus soumises aux barbares. Ne vous bornez donc pas, dit-il, à la Phénicie, à la Syrie, à la Cilicie, à la Cappadoce, considérez encore tous les pays plus éloignés, ceux des Sarrasins, des Perses, des Arméniens, de tous les autres barbares. Voilà pourquoi il dit : « En faisant le tour ». Ne vous contentez pas de suivre tout droit le chemin battu, mais parcourez, par la pensée, toute l’Asie méridionale. De même qu’une courte expression lui suffit pour résumer une infinité de miracles, « Par la vertu des miracles et des prodiges », de même, pour embrasser une foule innombrable de villes, de nations, de peuples, de contrées, c’est assez pour lui, de ces mots : « En faisant le tour » ; l’apôtre n’avait aucun orgueil ; son discours n’avait pour but que de les empêcher d’avoir trop bonne opinion d’eux-mêmes. Il commence sa lettre en leur disant : « Pour faire quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres nations » (Rom 1,13) ; maintenant dans le passage qui nous occupe, il établit la nécessité où il est d’accomplir son sacerdoce. Comme il avait parlé avec une certaine rudesse, il tenait à leur bien montrer son pouvoir. Voilà pourquoi, dans le commencement de la lettre, il s’est borné à dire : « Comme parmi les autres nations » ; mais ici il développe, il insiste, afin de réprimer par tous les moyens leur orgueil. Et il ne dit pas seulement : De sorte que j’ai prêché l’Évangile, mais : « J’ai tout rempli de l’Évangile du Christ. Et je me suis tellement acquitté de ce ministère, que j’ai eu soin de ne pas prêcher l’Évangile dans les lieux où Jésus-Christ avait déjà été prêché (20) ».

3. Autre excès d’attention, maintenant ; non seulement tant de peuples évangélisés et convertis, mais il a eu soin de ne pas se rendre au milieu des peuples qui avaient déjà reçu la doctrine. 11 est si éloigné de la prétention d’aller se jeter au milieu des disciples des autres, si éloigné de toute poursuite d’une vaine gloire, qu’il n’a de souci que pour instruire ceux qui n’ont encore rien appris. Il ne dit pas : Les lieux où il y avait des fidèles, mais : « Les lieux où Jésus-Christ avait déjà été prêché » ; il y a dans cette expression, une preuve de circonspection poussée plus loin. Et pourquoi tant de précautions ? « Pour ne point bâtir sur le fondement d’autrui ». Ce qu’il dit, pour montrer combien il recherche peu la vaine gloire, et il leur fait entendre par là que s’il s’applique à les instruire, que s’il leur écrit, ce n’est pas pour faire parler de lui, ce n’est pas pour s’attirer leur considération, mais parce qu’il doit remplir son ministère, s’acquitter de son sacerdoce, parce qu’il désire leur salut. Quant à ce qu’il dit de « Ne point bâtir sur le fondement d’autrui », sur un fondement étranger, il n’a point en vue la personne des autres apôtres, ni la nature de leur prédication, mais la considération de la récompense. En effet, les prédications étaient toujours les mêmes, mais ce n’étaient pas les mêmes personnes qui avaient mérité la récompense ; la récompense due au labeur des autres, ce n’était pas à lui à la recevoir.

L’apôtre parle ensuite de l’accomplissement de la prophétie : « Comme il a été écrit : « Ceux à qui il n’avait point été annoncé, verront sa lumière ; et ceux qui n’avaient point encore entendu parler de lui, auront l’intelligence de la doctrine (21) ». Le voyez-vous accourir où il y a plus de labeurs à supporter, de sueurs à répandre ? « C’est ce qui m’a souvent empêché d’aller vers vous (22) » ; réflexion, vous le voyez, qui rappelle, pour finir, le commencement de sa lettre. Il disait en commençant : « J’avais souvent proposé de vous aller voir, mais j’en ai été empêché jusqu’à cette heure » (Rom 1,13) ; il donne ici la raison qui l’a empêché, et il ne se contente pas de la donner une fois, mais il la répète à plusieurs reprises. De même qu’il disait plus haut : « J’avais souvent proposé de vous aller voir », de même ici : « C’est ce qui m’a souvent empêché d’aller vers vous ». La vivacité de son désir se révèle par ces efforts tentés plus d’une fois. « Mais n’ayant plus maintenant aucun sujet de demeurer dans ce pays-ci… (23) ». Voyez-vous comme il montre bien que ce n’est pas pour se faire, valoir auprès d’eux qu’il leur écrit, et qu’il veut les aller trouver ? « Et désirant, depuis plusieurs années de vous aller voir, lorsque je ferai le voyage d’Espagne, j’espère vous voir en passant, afin que vous me conduisiez en ce pays-là, lorsque j’aurai un peu joui de votre présence (24) ». Il aurait eu l’air de les mépriser, s’il leur eût dit : c’est parce que je n’ai rien à faire que je me rends auprès de vous ; voilà pourquoi il reprend le langage de l’affection : « Et désirant, depuis plusieurs années, de vous aller voir ». Si j’ai désiré d’aller auprès de vous, ce n’est pas seulement pour occuper mon loisir, mais voilà longtemps que je ressens ce désir, c’est un enfantement de mon cœur, et mon cœur veut être délivré. Maintenant, il ne veut pas, en leur parlant ainsi, exciter leur orgueil ; voyez comme il les rappelle à la modestie : « Lorsque je ferai le voyage d’Espagne, j’espère vous voir en passant ». Ces paroles ont pour objet de les empêcher de s’enorgueillir ; il veut leur montrer de l’affection, mais il ne veut pas enfler leur vanité. Voilà pourquoi il exprime sans cesse la même pensée, avec tout ce qui peut, de part et d’autre, confirmer la charité, ruiner l’orgueil. Voilà pourquoi il fait un second effort afin de prévenir cette pensée qu’il ne les verra qu’en passant, il leur dit : « Afin que vous me conduisiez » ; ce qui signifie : je veux que vous voyiez par vous-mêmes, que je ne vous méprise pas, que c’est la nécessité qui m’entraîne loin de vous. Toutefois ces paroles mêmes pouvaient leur causer quelque tristesse, il adoucit son discours, il ajoute : « Lorsque j’aurai un peu joui de votre présence ». L’expression : « En passant », montre assez qu’il ne tient pas à se faire valoir auprès d’eux ; mais : « Lorsque j’aurai un peu joui », montre le prix qu’il attache à leur affection ; ces paroles prouvent qu’il ne les aime pas d’un amour vulgaire, mais vif et passionné. Voilà pourquoi il ne dit pas seulement : « Joui », mais « un peu joui ». Je ne pourrais jamais jouir assez de manière à me rassasier de votre présence. Voyez-vous comme il prouve son affection ? Quelque pressé qu’il soit, il ne les quittera pas avant d’avoir pu jouir de leur présence. La vivacité de son affection pour eux éclate dans la chaleur de ses expressions. Il ne dit pas : Lorsque je vous aurai vus, mais : « Lorsque j’aurai joui » ; il se sert des mêmes paroles que les pères. Et, au commencement de la lettre, il disait : « Pour faire quelque fruit » ; ici, il se propose de jouir de leur présence ; deux manières de parler qui rendent ce qui l’attire auprès d’eux. La première est, pour eux, un grand éloge, puisque l’apôtre espérait des fruits de leur docilité ; la seconde marque l’affection que Paul ressent personnellement pour les fidèles de Rome. Il écrivait aux Corinthiens : « Afin que vous me conduisiez où je pourrai aller (1Co 16,6) ; en toute circonstance, il montre à ses disciples une affection sans égale. C’est toujours de cette manière qu’il commence ses lettres, et il les termine par l’expression du même sentiment.

4. Comme un bon père chérit son fils unique, son enfant à lui, c’est ainsi que Paul chérissait tous les fidèles : Aussi disait-il « Qui est malade sans que je sois malade avec lui ? Qui est scandalisé sans que je brûle ? » (2Co 11,29) Ce doit être la, dans celui qui enseigne, la première de toutes les vertus. Voilà pourquoi le Christ disait à Pierre : « Si vous m’aimez, paissez mes brebis ». (Jn 21,17) Qui aime le Christ, aime aussi son troupeau. Ce qui valut à Moïse d’être mis à la tête des Juifs, c’est la bouté qu’il montra pour eux ; ce qui éleva David à la royauté, ce fut d’abord l’amour qu’il montra pour le peuple. Jeune encore, il s’affligeait de ses douleurs, au point d’exposer sa vie, lorsqu’il abattit ce géant barbare. Quoiqu’il ait dit : « Que donnera-t-on a celui qui tuera cet étranger ? » (1Sa 17,26), ce qu’il demandait, ce n’était pas la récompense, mais la confiance qui s’en reposerait sur lui, qui le chargerait du combat. Aussi, après la victoire, retourné près du roi, il ne dit pas un mot du salaire. Samuel aussi était plein d’amour pour le peuple, et il disait : « Dieu me garde de commettre ce péché, que je cesse jamais de prier pour vous le Seigneur » ; (1Sa 12,23) C’est ainsi que se montra le bienheureux Paul ; ou plutôt il surpassait de beaucoup tous les autres par l’ardeur de son amour pour ceux qu’il gouvernait. Aussi les sentiments qu’il inspira pour lui à ses disciples, furent tels qu’il disait d’eux : « S’il eût été, possible, vous vous seriez arraché les yeux, pour me les donner ». (Gal 4,15) Voilà pourquoi Dieu adresse aux pasteurs des Juifs, des accusations plus sévères qu’à tous les autres, il leur dit : « O pasteurs d’Israël, est-ce que les pasteurs se paissent eux – mêmes ? Est-ce qu’ils ne paissent pas leurs brebis ? » Ces pasteurs faisaient tout le contraire. « Vous mangez le lait », dit-il, « et vous vous couvrez de la laine ; ce qu’il y a de plus gras, vous l’égorgez, et vous ne paissez pas les brebis ». (Eze 34,2, 3)

Et le Christ formulant la règle du bon pasteur : « Le bon pasteur », disait-il, « donne sa vie pour ses brebis ». (Jn 10,11) C’est ce que David montra en beaucoup de circonstances, et surtout lorsque la colère du ciel, colère terrible, menaçait tout le peuple ; les voyant tous périr, il disait : « C’est moi qui ai péché ; c’est moi qui suis coupable ; qu’ont fait ceux-ci qui ne sont que des brebis ? » (2Sa 24,17) Aussi, dans le choix des châtiments suspendus alors sur les têtes, il ne demanda pas la famine, l’épée des ennemis, mais la mort envoyée par Dieu ; il s’attendait à voir ainsi les autres en sûreté, tandis que lui serait frappé le premier de tous. Cette prévision ne se réalisant pas, il pleure, il s’écrie : « Que votre main se tourne contre moi », et si cela ne suffit pas, « et contre la maison de mon père ». Car « c’est moi, dit-il, moi, le pasteur, qui ai péché ». C’est comme s’il disait : Quand même ceux-ci auraient péché, c’est moi qui suis responsable, pour ne les avoir pas redressés ; mais puisque c’est moi qui ai commis le péché, c’est moi qui dois être puni. Pour exagérer sa faute, il prend le nom de pasteur. Voilà comment il apaisa la colère divine, voilà comment il fit révoquer la sentence : tant est grand le pouvoir de la confession : « Le juste s’accuse lui-même le premier (Pro 18,17) ; voilà jusqu’où s’étend la sollicitude, l’affection compatissante d’un pasteur excellent. Ses entrailles étaient déchirées, quand il voyait tomber ceux en qui il croyait voir mourir ses propres enfants ; voilà pourquoi il demandait que la colère se déchargeât sur sa tête. Dès le commencement de l’extermination, il aurait montré le même cœur, s’il n’avait pas espéré que le fléau viendrait jusqu’à lui. Quand il se vit épargné, quand il vit que le désastre ravageait son peuple, alors il n’y tint plus, il se sentit plus dévoré par la douleur que par la perte d’Ambon son premier-né. En effet, il ne demanda pas pour lui la mort en ce moment, mais maintenant, il veut succomber avant les autres. Voilà ce que doit être le chef, il doit montrer plus d’affliction pour les malheurs des autres que pour ses propres souffrances. Ce qu’il ressentit à l’égard de son fils, c’est pour vous apprendre que ce fils ne lui était pas plus cher que le peuple qui lui était soumis. C’était un libertin, un parricide ; cependant David s’écriait : « Qui me donnera de mourir pour toi ? » (2Sa 18,33) Que dites-vous, ô bienheureux, ô vous, de tous les hommes le plus clément ? Ce fils a voulu vous tuer, il vous a réduit aux dernières extrémités, et c’est parce qu’il n’est plus, et c’est quand vous triomphez, que vous appelez la mort ? Oui, répond-il ; ce n’est pas pour moi que mon armée a vaincu, je soutiens de plus violents combats qu’auparavant, mes entrailles n’ont jamais été plus déchirées. Autrefois les chefs avaient à cœur les intérêts de ceux qui leur étaient confiés.

5. Le bienheureux Abraham pourvoyait aux intérêts, même de ceux dont il n’était pas chargé, et, dans cette sollicitude, il allait jusqu’à s’exposer à de graves dangers. Il ne s’inquiéta pas seulement des affaires de son neveu, mais, en faveur du peuple de Sodome, il ne cessa de poursuivre les Perses jusqu’à ce qu’il eût arraché d’entre leurs mains ceux qu’ils emmenaient captifs. Il pouvait bien cependant, après avoir retrouvé le fils de son frère, se retirer du pays : ce qu’il ne fit pas, car sa sollicitude pour tous était égale, et la suite de ses actions l’a bien prouvé. Eu effet, quand vint le moment où ce n’étaient plus des armées barbares qui envahissaient le pays, quand la colère divine s’apprêta à détruire de fond en comble les villes coupables, quand le temps des batailles rangées et des combats fit place à la nécessité de la supplication et de la prière, on vit alors Abraham aussi inquiet que si lui-même eût été sur le point de périr. C’est pourquoi, une fois, deux fois, trois fois, plus souvent encore, il supplia le Seigneur, il eut recours à l’humilité, il confessa son néant, il dit : « Je ne suis que poudre et que cendre » (Gen 18,27) ; et parce qu’il savait que ces hommes se livraient d’eux-mêmes à la colère de Dieu, c’est par la considération des autres qu’il fit effort pour les sauver. Voilà pourquoi Dieu disait : « Pourrais-je cacher à mon serviteur Abraham, ce que je dois faire ? » pour noms apprendre combien le juste a d’amour pour les hommes. Et Abraham n’eût – pas cessé de prier, si Dieu n’eût cessé de parler. Or, il semble qu’Abraham ne prie que pour les justes, mais, en réalité, tous ses efforts étaient pour ces coupables. C’est que les âmes des saints sont toutes remplies de douceur et d’amour, d’amour pour ceux qui leur sont proches, d’amour pour les étrangers, et c’est jusque sur les animaux qu’ils étendent cet amour. Aussi un sage disait-il : « Le juste se met en peine de la vie des bêtes qui sont à lui ». (Pro 12,10) S’il s’inquiète des animaux, à bien plus forte raison prend-il soin des hommes.

Mais puisque j’ai fait mention des animaux, considérons les pasteurs de brebis de la Cappadoce, que de fatigues ne supportent-ils pas en veillant sur ces animaux ? Souvent, ensevelis sous la neige, ils y restent trois jours de suite. On dit que ceux de l’Afrique ne supportent pas moins de rudes épreuves, parcourant des mois entiers ce triste désert, rempli des monstres les plus sinistres. Si tel est le zèle qu’on montre pour des êtres sans raison, quelle excuse pourrions-nous avoir, nous à qui des âmes raisonnables ont été confiées, de dormir d’un si profond sommeil ? devrions-nous seulement respirer ? devrions-nous prendre le moindre repos ? ne devrions-nous pas, au contraire, courir de tous les côtés, nous exposer à mille morts pour de semblables brebis ? Pouvez-vous ignorer le prix de ce troupeau ? n’est-ce pas pour lui que votre Seigneur a enduré tant et tant de souffrances et a fini par répandre son propre sang ? mais vous, vous cherchez du repos ? eh ! que pourrait-on concevoir de plus indigne que de pareils pasteurs ? Ne savez-vous pas qu’autour de ces brebis rôdent des loups bien plus terribles, bien plus cruels que les loups vulgaires ? ne considérez-vous pas toutes les vertus de l’âme, toutes les qualités nécessaires à qui se charge d’un tel gouvernement ? Les hommes qui sont à la tête des peuples, à qui sont commis des intérêts vulgaires, ajoutent au travail des jours les nuits passées sans sommeil ; et nous, qui luttons pour conquérir le ciel, nous passons le jour même à dormir ! et qui donc saura nous soustraire au juste châtiment d’une pareille conduite ? quand nous devrions nous briser le corps, quand nous devrions mille fois mourir, ne serait-il pas de toute justice à nous de courir comme pour une fête ?

Écoutez mes paroles, non seulement vous, ô pasteurs, mais vous aussi, ô brebis ; les uns, pour devenir plus zélés, plus habiles à embraser les cœurs de bonne volonté, les autres pour devenir plus dociles dans l’obéissance parfaite. C’était là ce que prescrivait Paul : « Obéissez à vos conducteurs, et soyez soumis à leur autorité, car ce sont eux qui veillent pour vos âmes, comme devant en rendre compte ». (Heb 13,17) Ce mot « veillent » exprime des milliers de fatigues, de soucis, de dangers. Le bon pasteur, tel que le Christ le demande, rivalise avec tous les martyrs. Un martyr ne meurt qu’une fois, mais le pasteur, s’il est du moins ce qu’il doit être, meurt mille fois pour son troupeau ; il n’est pas de jour où la mort ne puisse le frapper. Eh bien donc, vous qui savez ces choses, qui reconnaissez les fatigues qu’il se donne, coopérez avec lui, par vos prières, par votre zèle, par votre ardeur, par votre, affection, afin que nous soyons votre glorification, et que vous deveniez la nôtre. Si Notre-Seigneur a confié son troupeau à ce chef des apôtres qui avait pour lui plus d’amour que tous les autres ensemble, si d’abord le Christ a demandé à Pierre : « M’aimez-vous ? » (Jn 21,15), c’est pour vous faire comprendre que la sollicitude apostolique est regardée par lui comme le meilleur signe de l’amour qu’on lui porte, car c’est ce qui demande une âme virile. Et maintenant j’ai parlé de ceux qui sont, par excellence, des pasteurs, je n’ai parlé ni de moi, ni de ceux qui nous ressemblent, mais des pasteurs comme Paul, ou Pierre, ou Moïse. Qu’ils soient donc nos modèles à nous qui exerçons ou qui subissons l’autorité ; car le simple fidèle lui-même est comme le pasteur de sa maison, de ses amis, de ses serviteurs, de sa femme, de ses enfants : et, si nous entendons de cette manière l’administration des intérêts qui nous sont confiés, nous obtiendrons tous les biens : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l’empire, l’honneur, appartiennent au Père comme au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXX. MAINTENANT JE M’EN VAIS A JÉRUSALEM POUR SERVIR AUX SAINTS QUELQUES AUMÔNES, CAR LA MACÉDOINE ET L’ACHAÏE ONT RÉSOLU AFFECTUEUSEMENT DE FAIRE QUELQUE PART DE LEURS BIENS A CEUX D’ENTRE LES SAINTS DE JÉRUSALEM QUI SONT PAUVRES. ILS L’ONT RÉSOLU AFFECTUEUSEMENT, ET, EN EFFET, ILS LEUR SONT REDEVABLES. (XV, 25, 26, 27, JUSQU’À XVI, 4)

Analyse.

  • 1-3. Sur les aumônes que saint Paul allait porter à Jérusalem. – S’il en parle aux Romains, c’est pour les exhorter, avec ménagement, à la charité. – Le mot bénédiction, synonyme d’aumône.- Des saints personnages particulièrement recommandables à cette époque par leur' charité ; de la diaconesse Phébé, de Priscilla et d’Aquilas, faiseurs de tentes, chez qui saint Paul avait logé et travaillé de ses mains.
  • 4. Èloge de Priscilla. – De la lecture des épîtres de saint Paul, et des autres livres de l’Écriture. – Contre le faste, l’orgueil, l’attachement aux richesses.

1. Il a dit, plus haut : « N’ayant plus maintenant aucun sujet de demeurer davantage dans ce pays-ci, et désirant, depuis plusieurs années, de vous aller voir », et cependant il ne peut pas encore se rendre auprès d’eux ; pour éviter d’avoir l’air de s’être joué d’eux, il leur dit la cause de son retard, et de là ces mots : « Je m’en vais à Jérusalem ». On pourrait croire qu’il ne fait qu’expliquer son retard, mais il a encore un autre but, c’est de les disposer à l’aumône, c’est d’exciter leur charité. Si son zèle ne l’eût pas porté à les exciter à cette vertu, il lui suffisait de leur dire : « Je m’en vais à Jérusalem » ; il fait plus, il leur dit maintenant la cause de son voyage « Je m’en vais », dit-il, « pour servir aux saints quelques aumônes ». Et il insiste, et il raisonne : « Ils leur sont redevables », dit-il, et encore : « Car, si les gentils ont participé aux richesses spirituelles des Juifs, ils doivent aussi faire part de leurs biens temporels ». C’est pour apprendre aux Romains à imiter ceux de la Macédoine et de l’Achaïe. Aussi ne peut-on trop admirer cette habileté de l’apôtre, dans sa minière de conseiller ; il se faisait bien mieux écouter que s’il leur eût donné un conseil direct. Les Romains auraient pu regarder comme un outrage qu’on se fût servi de Corinthiens et de Macédoniens, comme de modèles à leur adresse. L’apôtre ne fait aucune difficulté d’écrire aux Corinthiens : « Il faut que je vous fasse savoir la grâce que Dieu a faite aux Églises de la Macédoine » (2Co 8,1) ; d’exciter les Macédoniens, par l’exemple des Corinthiens : « Votre zèle en a excité plusieurs autres ». (Id 9,2) Les Galates lui servent aussi de terme de comparaison : « Ce que j’ai ordonné aux Églises de Galatie, faites-le de votre côté » (1Co 16,1) ; mais, quand il s’adresse aux Romains, ce n’est pas du tout le même style ; l’apôtre a beaucoup plus de ménagements. En ce qui concerne la prédication, même manière de procéder, comme lorsqu’il lui arrive de dire : « Est-ce de vous que la parole de Dieu est sortie ? ou n’est-elle venue qu’à vous seuls ? » (Id 14,36) C’est que rien n’a autant de force que le zèle de l’émulation. Voilà pourquoi il y revient souvent ; ailleurs encore il dit : « C’est ce que j’ordonne dans toutes les Églises » ; et encore : « C’est ce que j’enseigne dans toute Église ». (Id 7,17 ; 4, 17) Aux Colossiens, il disait : « L’Évangile de Dieu fructifie et grandit dans le monde entier ». (Col 1,6) C’est toujours le même système qu’il suit en ce moment, à propos de l’aumône.

Et considérez la grandeur des expressions qu’il emploie ; il ne dit pas : Je m’en vais, emportant des aumônes, mais : « Pour servir aux saints quelques aumônes ». Si Paul se faisait serviteur de l’aumône, considérez la grandeur de cette vertu, voyez le maître, le docteur de toutes les nations, qui veut bien transporter des aumônes, qui, au moment d’aller à Rome, quel que soit son désir de voir les Romains, fait passer ce service avant son plaisir. « Car la Macédoine et l’Achaïe ont résolu affectueusement », c’est-à-dire, ont trouvé bon, ont éprouvé le désir « de faire quelque part… » Il ne dit pas de faire quelque aumône, mais « de faire quelque part… » Ce « quelque » n’est pas mis là sans intention ; l’apôtre ne veut pas avoir l’air de les censurer. Et il ne dit pas simplement : Aux pauvres ; mais : « À ceux d’entre les saints qui sont pauvres » ; deux titres de recommandation, la vertu et la pauvreté. Maintenant, ce n’est pas encore assez, il ajoute : « Ils leur sont redevables ». Ensuite, Paul fait voir comment redevables. « Car, si les gentils ont participé », dit-il, « aux richesses spirituelles des Juifs, ils doivent aussi, dans les biens temporels leur servir leur part ». Voilà ce qu’il veut dire C’est pour les Juifs que le Christ est venu, c’est aux Juifs que toutes les promesses ont été faites, c’est d’eux qu’est sorti le Christ ; aussi disait-il : « C’est des Juifs que vient le salut » (Jn 4,22), c’est d’eux que sortent les apôtres, c’est d’eux que sortent les prophètes, c’est d’eux que sortent tous les biens. La terre a donc partagé avec eux toutes ces richesses. Donc, si vous avez participé aux biens les plus considérables, dit-il, si vous avez pris votre part des festins préparés pour eux, selon la parabole de l’Évangile, vous devez aussi leur communiquer les biens temporels, et leur réserver aussi une part de ces biens. Et il ne dit pas leur faire leur part, mais « leur servir » ; il en fait des diacres, il en fait des tributaires s’acquittant envers des rois. Et il ne dit pas Dans vos biens temporels, comme il a dit dans leurs richesses spirituelles ; car les richesses spirituelles appartenaient réellement aux Juifs, tandis que les biens temporels n’appartiennent pas seulement aux gentils ; la possession en est commune à tous : en effet l’ordre de Dieu c’est que les richesses soient pour tous, et non seulement pour ceux qui les tiennent en leur pouvoir.

« Lors donc que je me serai acquitté de ce devoir, et que je leur aurai consigné ce fruit (28) », c’est-à-dire, que je l’aurai déposé comme on verse une somme dans les coffres du souverain, comme on met une somme à l’abri des coups de main, dans un lieu sûr ; et il ne dit pas : L’aumône, mais, voyez, encore : « Ce fruit », afin de montrer le profit que font par là ceux qui le donnent : « Je passerai par chez vous pour aller en Espagne ». S’il parle ici de l’Espagne, c’est pour montrer l’empressement de son zèle ardent pour les Espagnols. « Or je sais que mon arrivée auprès de vous sera accompagnée d’une abondante bénédiction de l’Évangile de Jésus-Christ ». Qu’est-ce à dire « d’une abondante bénédiction ? (29) ». Ou il parle d’argent versé en aumônes, ou il n’entend parler simplement que de toutes les bonnes œuvres. L’habitude de l’apôtre est d’exprimer souvent l’aumône par le mot de bénédiction ; exemple que ce soit un don « de la bénédiction, et non de l’avarice ». (2Co 9,5) C’était anciennement le terme usité pour dire l’aumône. Mais comme il ajoute : « De l’Évangile », nous croyons qu’il n’entend pas ici parler uniquement d’argent, mais, en même temps, de tous les autres biens, comme s’il disait : Je sais qu’en arrivant je vous verrai riches de tous les biens, parés de toutes les vertus, dignes de louanges sans nombre selon l’Évangile. Et c’est une admirable manière de conseiller que de débuter avec eux par des éloges anticipés. Ne voulant pas user à leur égard d’une exhortation directe, il a recours à ce moyeu insinuant pour les avertir : « Je vous conjure donc, par Notre Seigneur Jésus-Christ, et par la charité du Saint-Esprit (30) ».

2. Ici maintenant, il met en avant le Christ et le Saint-Esprit, sans faire aucune mention du Père. Ce que je vous fais observer, afin que quand vous le verrez nommer le Père et le Fils, ou le Père seulement, vous ne vous imaginiez pas qu’il exclut ni le Fils, ni l’Esprit. Et il ne dit pas : Par le Saint-Esprit, mais : « Par la charité du Saint-Esprit ». Car de même que le Christ, de même que le Père a aimé le monde, ainsi fait le Saint-Esprit. Mais de quoi nous conjurez-vous, répondez ? « De combattre avec moi par les prières que vous ferez à Dieu pour moi, afin que je sois délivré des incrédules qui sont en Judée (31) ». Il avait donc, il faut le croire, une grande lutte à soutenir ; voilà pourquoi il a recours à leurs prières. Et il ne dit pas. Afin que je me mesure avec les incrédules, mais : « Afin que je sois délivré » ; c’est conforme au précepte du Christ : « Priez, pour ne pas entrer en tentation ». (Mat 20,41) Ces paroles avaient pour but de montrer que des loups cruels, que des êtres qui ressemblaient plus à des bêtes féroces qu’à des hommes, voulaient se jeter sur lui. Paul avait encore une autre pensée ; il veut prouver que c’est avec raison qu’il s’est fait de cette manière le serviteur des saints, si le nombre des incrédules était si grand que des prières fussent nécessaires pour l’en délivrer. Au milieu de tant d’ennemis, les saints étaient exposés à mourir de faim ; de là, la nécessité de leur procurer des vivres venant d’ailleurs. « Et que les saints de Jérusalem reçoivent favorablement mon service et mes soins » ; c’est-à-dire, et que mon sacrifice soit bien accueilli, que mes dons leur soient agréables. Voyez-vous comme il relève maintenant la dignité de ceux qui reçoivent, puisqu’il réclame les prières d’un si grand peuple, pour que ses dons soient reçus ? Il montre en outre, par ces paroles, une autre pensée, à savoir que l’aumône toute seule ne suffit pas. Quand ou ne donne due parce que l’on y est forcé, quand on donne ce qui est mal acquis, quand on se propose une vaine gloire, le fruit est perdu.

« Et que je sois plein de joie, quand j’irai auprès de vous, si c’est la volonté de Dieu (32) ». De même qu’il disait eu commençant : « Que je trouve enfin quelque voie favorable, si c’est la volonté de Dieu, pour aller vers vous » (Rom 1,10) ; de même ici, c’est sous la même volonté qu’il s’abrite, et il dit : Je me hâte, je prie pour être délivré des dangers de Jérusalem, afin de vous voir au plus vite, et de vous voir remplis de joie, sans y trouver aucun motif d’affliction. « Et que je goûte le repos avec vous ». Voyez encore ici quelle modestie il montre. Il ne dit pas : Et que je vous instruise, que je vous donne des règles de vie, mais : « Et que je goûte le repos avec vous ». Or c’était un athlète infatigable ; comment donc peut-il dire : « Que je goûte le repos ? » Il fait entendre des paroles qui leur soient agréables, qui relèvent leurs courages, qui les associent à ses couronnes, qui les montrent, eux aussi, prenant leur part des combats et des sueurs. Ensuite, selon son habitude, il joint la prière à l’exhortation, il dit : « Que le Dieu de paix soit avec vous tous ». Amen. « Je vous recommande notre sœur Phébé, diaconesse de l’Église de Cenchrée ». (16,1) Voyez quel honneur il lui fait ; il la nomme avant tous les autres, et il l’appelle sueur ; ce n’est pas un honneur vulgaire, que d’être appelée sœur de Paul. Et il joint encore à ce titre une dignité ; il l’appelle diaconesse. « Afin que vous là receviez dans le Seigneur, comme il est digne de recevoir les saints (2) ». Ce qui veut dire : afin qu’en considération du Seigneur, elle soit honorée auprès de vous. En effet, celui qui reçoit, en considération du Seigneur, supposé même qu’il ne reçoive pas un personnage considérable, le reçoit avec empressement ; or, quand il arrive que c’est une sainte, considérez de quels soins il convient de l’entourer. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute « Comme il est digne de recevoir les saints », comme le devoir commande d’accueillir de telles personnes. Or, vous devez l’honorer pour deux raisons, et à cause du Seigneur, et parce que c’est une sainte. « Et que vous l’assistiez dans toutes les choses où elle pourrait avoir besoin de vous ». Voyez-vous comme il tient à ne pas être importun ? Il ne dit pas : Et que vous la mettiez à son aise, mais : Et que vous fassiez ce qui dépend de vous, et que vous lui tendiez la main, et cela, dans les circonstances où elle pourrait avoir besoin de vous, non pas absolument dans tous ses embarras, mais seulement lorsque votre aide lui serait nécessaire ; or elle n’aura besoin de vous qu’autant que vous pourrez l’obliger. Ensuite vient un éloge incomparable : « Car elle en a assisté elle-même plusieurs, et moi en particulier ». Comprenez-vous la prudence de l’apôtre ? Pour commencer, des éloges ; ensuite, au milieu, l’exhortation ; ensuite, de nouveaux éloges ; il enferme, des deux côtés, les services auxquels a droit cette bienheureuse femme dans les louanges qu’il fait d’elle. Comment refuser le nom rte bienheureuse à celle femme qui a mérité de la part de Paul un si beau témoignage, qui a été à même d’assister celui qui a instruit la terre ? Car voilà ce qui a mis le comble à sa gloire ; aussi l’apôtre n’énonce-t-il ce litre qu’en dernier lieu : « Et moi, en particulier ». Qu’est-ce à dire : « Et moi en particulier ? » Moi, le héraut des nations, moi qui ai souffert tant d’épreuves, moi qui suffis à tant de milliers d’hommes. Imitons donc cette sainte, imitons-la, hommes et femmes, et imitons, après elle, cette autre sainte que nous allons voir avec sou mari. Quel est ce couple ? « Saluez », dit-il, « de ma part, Priscilla et Aquilas, qui ont travaillé avec moi, en Jésus-Christ (3) ». Luc aussi témoigne de leur vertu, par ces paroles : « Paul demeura auprès d’eux, parce que leur métier était de faire des tentes » ; c’est dans le chapitre où Luc montre cette sainte femme retirant chez elle Apollon et l’instruisant de la voie du Seigneur. (Act 18,2, 3)

3. Voilà de grands titres, mais Paul leur en décerne de bien plus grands encore. Car que dit-il ? D’abord, ils ont, dit-il, travaillé avec lui ; ses fatigues inouïes, ses dangers, l’apôtre montre qu’ils les ont partagés. Ensuite il ajoute : « Qui ont exposé leur tête, pour me sauver la vie (4) ». Voyez-vous les martyrs prêts à tout ? Évidemment, sous Néron, les fidèles couraient mille dangers, il avait donné l’ordre d’expulser de Rome tous les Juifs. « Et à qui je ne suis pas le seul qui soit obligé, mais encore toutes les Églises des gentils ». Il fait entendre ici l’hospitalité reçue avec des secours en argent, et il les exalte parce qu’ils lui auraient donné tout leur sang, tout ce qu’ils avaient. Voyez-vous ces femmes généreuses, dont le sexe n’embarrasse nullement l’essor qui les transporte à la plus haute vertu ? Et il n’y a là rien de surprenant : « Car, en Jésus-Christ, il n’y a ni homme ni femme ». (Gal 3,28) Et maintenant, ce que Paul a dit de Phébé, il le dit également de celle-ci : ses paroles, à propos de la première, étaient : Elle en a assisté plusieurs, et moi, « en particulier » ; à propos de la seconde, écoutez : « À qui je ne suis pas le seul qui soit obligé, mais encore toutes les Églises des gentils ». Et pour ne pas paraître faire entendre une flatterie, il produit d’autres témoins qui sont bien plus considérables en nombre que ces femmes. « Saluez aussi l’Église qui est dans leur maison ».

C’étaient de si saintes personnes, qu’elles faisaient, de leur maison, une Église, et parce qu’elles rendaient fidèles tous ceux qui la fréquentaient, et parce qu’elles l’ouvraient à tous les étrangers. L’apôtre ne prodigue pas aux demeures particulières le nom d’Églises, il veut que la piété, il veut que la crainte de Dieu y soit profonde, enracinée. Voilà pourquoi il disait aussi aux Corinthiens, « Saluez Aquilas et Priscilla, avec l’Église qui est dans leur maison » (1Co 16,19) ; et, dans la lettre où il recommande Onésime : « Paul à Philémon et à notre bien-aimée Appie, et à l’Église qui est dans votre maison ». (Phm 1,1, 2) On peut être marié, et montrer de grandes vertus. Voyez, ces personnes étaient mariées, leurs vertus les faisaient briller, quoique leur profession fût peu brillante, ce n’étaient que des faiseurs de tentes ; leur vertu relève l’humilité de leur condition, et les a rendus plus éclatants que le soleil ; ni leur profession, ni le joug du mariage ne leur a porté de préjudice, ils ont montré cette charité que Jésus-Christ a réclamée de nous : « Personne en effet », dit-il, « ne peut avoir un plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis ». (Jn 15,13) Ce qui est le caractère distinctif du disciple, ils l’ont glorieusement montré ; ils ont pris la croix et ont suivi la route. Ceux qui ont fait cela pour Paul ont bien plus encore montré leur courage pour Jésus-Christ.

Écoutez ces paroles, riches et pauvres. Si les ouvriers qui vivent de leurs mains, qui ont à conduire un atelier, ont montré une générosité si large, qu’ils, ont été utiles à un grand nombre d’Églises, quelle pourrait être l’excuse des riches qui méprisent les pauvres ? Ces fidèles n’ont pas même épargné leur sang dans leur désir de se rendre agréables à Dieu ; et vous, vous épargnez des biens sans valeur qui souvent vous font négliger votre âme. Mais, peut-être, ils se sont ainsi conduits envers le maître, mais, envers les disciples, ils n’agissaient pas de même ? Il est impossible de tenir un pareil discours : les Églises des gentils, dit l’apôtre, leur rendent des actions de grâces. Sans doute, c’étaient des Juifs ; pourtant leur foi était si sincère qu’ils se mettaient avec un zèle ardent au service des gentils. Tel doit être l’exemple des femmes : « Ni frisures, ni or, ni habits somptueux » (1Ti 2,9) ; qu’elles se parent de semblables vertus.

Quelle reine, répondez-moi, a jamais brillé d’un si vif éclat, a mérité un si bel éloge que cette femme d’un faiseur de tentes ? Elle est dans toutes les bouches, non seulement pour dix ou vingt ans, mais jusqu’à l’avènement du Christ, et tous les discours qui la glorifient lui font une parure plus belle qu’un diadème impérial. Quelle gloire supérieure, quelle gloire égale à la gloire d’avoir assisté Paul, d’avoir, en s’exposant aux périls, sauvé le maître de la terre ? Réfléchissez, voyez de combien de reines les noms sont passés sous silence ; mais partout on célèbre l’épouse de l’artisan ; tous les lieux que le soleil éclaire entendent l’éloge de cette femme : les Perses, les Scythes, les Thraces, les peuples qui habitent aux extrémités du monde, célèbrent la vertu de cette femme, et là proclament bienheureuse. Quelles richesses, combien de diadèmes et de manteaux de pourpre ne jetteriez-vous pas volontiers sous vos pieds pour attacher à votre nom un pareil témoignage ? Et impossible de dire qu’ils ont tenu cette conduite alors, au milieu des dangers, qu’ils ont été généreux parce qu’ils étaient riches, mais qu’ils étaient indifférents à la prédication ; c’est précisément à cause de leur zèle pour l’Évangile que l’apôtre dit : Ils ont coopéré, ils ont travaillé avec moi. Et Paul ne craint pas de dire qu’une femme a travaillé à son œuvre ; Paul, ce vase d’élection va jusqu’à se glorifier de son assistance ; il ne regarde pas le sexe, c’est la volonté généreuse qu’il couronne. Quelle parure égalerait cette parure ? Parlez-moi maintenant de vos richesses fragiles, fugitives, de votre beauté, de vos ornements, de votre gloire frivole ! Apprenez donc que la beauté d’une femme, ce n’est pas son corps qui la lui donne, c’est l’âme qui s’embellit d’une beauté impérissable, qu’on ne dépose pas dans un coffre, qui s’épanouit pour toujours dans le ciel.

4. Voyez les labeurs qu’ils acceptent pour la prédication, la couronne qu’ils conquièrent parle martyre, leur générosité quant à l’argent, leur charité à l’égard de Paul, leur amour pour le Christ ; comparez, femme chrétienne, cette conduite à la vôtre, à votre – passion pour l’argent, à votre émulation pour les femmes perdues, à cette idolâtrie d’une chair qui n’est qu’un peu d’herbe ; vous verrez mieux alors quels étaient ces personnages, et qui vous êtes. Ou plutôt, ne vous contentez pas de comparaisons, imitez cette femme, jetez bas cette charge d’herbes sans valeur (c’est ainsi qu’il faut appeler votre magnificence dans vos ajustements), revêtez-vous des parures du ciel, et apprenez ce qui a fait Priscilla ce qu’elle était, ainsi que son mari. Donc, qui les a faits ce qu’ils ont été ? L’hospitalité de deux ans qu’ils ont donnée à Paul ; cette durée de deux ans, quel travail n’a-t-elle pas opéré dans leur âme ? Mais, dira-t-on, que puis-je faire moi qui n’ai pas ce même Paul ? Il ne tient qu’à vous de le posséder mieux encore ; ce n’est pas la vue de Paul qui les a ainsi façonnés, ce sont ses discours. Il ne tient qu’à vous d’entendre et Paul, et Pierre, et Jean et tout le chœur des prophètes, sans qu’aucun y manque, avec les apôtres, de vous en faire une société qui ne vous quitte jamais. Prenez les livres de ces bienheureux, conversez toujours avec leurs écrits, ils pourront vous édifier à la ressemblance de cette femme du faiseur de tentes. Mais à quoi bon vous parler de Paul ? Si vous voulez, vous posséderez le Maître lui-même, le Maître de Paul ; par la langue de Paul, c’est lui-même qui conversera avec vous. Et vous avez encore un autre moyen de le recevoir, c’est de recevoir les saints, c’est de mettre vos soins au service de ceux qui croient en lui ; c’est ainsi que, même après leur départ, vous posséderez des souvenirs de piété. Car il suffit d’une table où le saint a mangé, d’une chaise où il s’est assis, d’un lit où il a couché, pour toucher le cœur de celui qui l’a reçu, même après le départ de l’homme saint.

Vous faites-vous bien l’idée de ce qui touchait le cœur de l’antique Sunamite, entrant dans cette chambre d’en haut, où logeait Élisée, à la vue de la table, à la vue du lit où dormait cet illustre saint ? Quels sentiments de piété ne retirait-elle pas d’un pareil spectacle ? Non, elle n’y aurait pas jeté le corps de son fils sans vie, s’il en eût été autrement, si elle n’en eût recueilli une grande utilité. Si nous-mêmes, lorsque nous pénétrons, après un si long espace de temps, dans les lieux ou Paul séjournait, où il était chargé de fers, où il s’asseyait et discourait, nous nous sentons transportés, comme sur des ailes, perdant de vue ces lieux mêmes vers la mémoire de ces jours si glorieux, représentez-vous les faits encore récents, quelle émotion ne devaient pas éprouver les pieux fidèles qui lui donnaient l’hospitalité ? Donc, sous l’empire de ces pensées, recevons les saints, afin que notre demeure devienne resplendissante, que toutes les épines en disparaissent, que notre maison soit un port de salut ; recevons-les, et lavons leurs pieds. Tu n’es pas, qui que tu sois, ô femme, tu n’es pas supérieure à Sara, ni de plus haute naissance, ni plus riche, quand tu serais une reine. Elle avait trois cent dix-huit serviteurs, Sara, dans un temps où deux domestiques faisaient dire d’un homme : il est riche. Et à quoi bon vous parler de ces trois cent dix-huit serviteurs ? La terre entière appartenait à sa race, en vertu des promesses, elle avait pour époux, l’ami de Dieu, elle avait Dieu lui-même pour protecteur, honneur qui surpasse toutes les royautés. Eh bien ! à ce faîte resplendissant de gloire, elle-même mélangeait la farine ; rendait de ses propres mains tous les autres services, et envers les hôtes assis à sa table, elle remplissait l’office d’une servante. Tu n’es pas, ô homme, de meilleure noblesse qu’Abraham, qui faisait les fonctions des serviteurs, après ses glorieux trophées, après ses victoires, après avoir reçu tant d’honneurs du roi d’Égypte, après avoir, chassé devant lui les rois de Perse, après avoir dressé les trophées de ses faits d’armes éclatants. Et ne considérez pas l’aspect mi>érable des saints qui sont portés vers vous, des mendiants, des malheureux en haillons, pour la plupart ; rappelez-vous la parole qui vous dit : « Autant de fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi-même que vous l’avez fait » ; et : « Ne méprisez aucun de ces petits, parce que leurs anges voient sans cesse la face de notre Père qui est dans les cieux » (Mat 25,40 ; 18, 10) ; recevez-les avec joie. ; leurs saluts de paix vous apportent des biens en foule.

En même temps que vous méditez sur Sara, voyez aussi Rébecca ; elle puisait de l’eau, elle donnait à boire, elle invitait l’étranger à entrer dans sa demeure, elle foulait tout orgueil à ses pieds ; aussi a-t-elle reçu les grandes récompenses de son hospitalité. Il ne tient qu’à vous d’en recevoir de plus grandes encore. Car ce n’est pas seulement un fils que Dieu vous donnera pour récompense, mais le ciel, et tous les biens qu’il renferme, et plus de géhenne à redouter, plus de péchés à expier ! Il est grand, n’en doutez pas, il est d’une grandeur incomparable, le fruit de l’hospitalité.

C’est ainsi que Jéthro ; tout barbare qu’il était, eut pour gendre celui qui commandait à la mer avec tant d’autorité ; ses filles, dans leurs filets, prirent cette proie si digne d’être enviée. Réfléchis, ô femme, à ces vieilles histoires, médite sur lés vertus viriles des femmes d’autrefois, et foule donc aux pieds le faste présent, et les parures, et la toilette, et toutes les dorures, avec tous tes parfums ; loin de toi la nonchalance, la lâche délicatesse, le calcul dans les allures du corps et dans la démarche, toutes ces préoccupations de la chair, applique-les à ton âme, et allume dans ton âme le désir du ciel. Une fois brûlante de cet amour, tu reconnaîtras ce qui n’est que boue et fumier, tu tourneras en dérision ce que tu admires maintenant ; il n’est pas possible qu’une femme embellie des perfections spirituelles recherche ce qui ne mérite que les rires du mépris. Rejetant donc, ô femme, loin de toi, ce qui ne charme que les femmes des places publiques, ce qui fait la joie des sauteuses et des joueuses de flûte, fais ta vie de l’hospitalité, des services à rendre aux saints, de la componction du cœur, de l’assiduité dans les prières. Voilà ce qui vaut mieux que des vêtements d’or, voilà ce qui est plus digne de nos respects que des pierreries et que des colliers ; voilà ce qui fait la considération auprès des hommes, et ce qui assure de la part de Dieu, une magnifique récompense. Voilà la parure de l’Église, l’autre est pour les théâtres ; voilà ce qui convient au ciel ; l’autre est bonne pour des chevaux et pour des mulets ; cette autre, on la met jusque sur des corps morts, la parure dont je parle, elle brille, mais seulement dans l’âme juste, de tout l’éclat du Christ qui réside en elle. Sachons donc mettre la main sur cette parure, afin d’être partout, nous aussi, célébrés et glorieux, afin d’être agréables à Jésus-Christ, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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