Romans 16
HOMÉLIES SUR PRISCILLE ET AQUILA (Rom 16,3)
PREMIÈRE HOMÉLIE.
AVERTISSEMENT.
Nous n’avons pu découvrir, dans ces deux homélies, presque rien qui nous indique à quelle époque elles ont été prononcées. La seule chose que nous puissions dire, en nous appuyant sur une conjecture assez probable, c’est qu’il est vraisemblable qu’elles l’ont été à Antioche. En effet, de ce que l’orateur dit en quelques passages sur les prêtres de la ville où il était, on peut arguer, ce semble, qu’il n’était encore que simple prêtre ; mais l’endroit le plus significatif, c’est an paragraphe cinq de la seconde homélie, quand il réprimande ses auditeurs, les uns pour les injures et les paroles outrageantes qu’ils proféraient contre les prêtres, et les autres pour entendre ces mauvais propos sans les réprimer ; il leur dit alors : Quoi de plus heureux qu’eux et quoi de plus infortuné que nous ? puisqu’ils ont donné leur sang, leur vie, pour ceux qui les ont instruits, et que souvent nous n’osons pas même proférer le moindre mot en faveur de nos pères communs, ύπὲρ τῶν χοινῶν παἑτερων, mais que lorsque nous les entendons outrager et lâchement insulter tant par nos proches que par les étrangers, nous ne fermons pas la bouche à ceux qui parlent ainsi, nous ne nous opposons pas, nous ne les reprenons point. Il ne semble assurément pas que ce soient là les paroles de Chrysostome, déjà évêque de Constantinople ; car s’il eût déjà été évêque, il n’aurait pas appelé pères communs, ces prêtres qu’on insultait ; il est plus vraisemblable que, voyant accabler d’injures les prêtres de l’Église d’Antioche, plus vieux que lui, il les considère comme ses pères, et leur en donne le nom. En outre Chrysostome, dans ces deux homélies, s’attache à démontrer, comme dans beaucoup d’autres discours, que les titres des livres, les noms propres, les salutations, et, jusqu’aux moindres particules de l’Écriture sainte, ne sont pas superflues, et doivent être examinées à fond ; or, lorsqu’au début ale la seconde homélie il fait mention de ces titres et de ces noms propres en disant : Αρα ἐμἁθετε χαἰ ἐπιγραφές και ονόματα και ψιλής περιεργάζεσθαι προσρήσεις ; N’avez-vous pas appris à scruter les titres, les noms propres, et les simples formules de salutation ? Il semble bien faire allusion à huit homélies qu’il avait prononcées à Antioche, quatre sur le titre des Actes des Apôtres et sur d’autres de l’Écriture sainte, et quatre sur les noms propres et leurs changements. C’est donc encore une raison de croire que les deux homélies suivantes ont été prononcées dans cette même ville ; car il est bien clair qu’il s’adresse au même peuple qui avait entendu les homélies que Chrysostome rappelle. ANALYSE.
1° Il n’y a rien de superflu dans l’Écriture sainte. D’où sont nées les hérésies. 2° Ce qu’il faut considérer dans la salutation en question. Paul salue des ouvriers et des pauvres. Ce qui fait la noblesse. Il ne faut pas blâmer le mariage. Ce ne sont pas seulement les paroles des saints qui sont instructives, mais encore leur vie. – 3° Péroraison du discours et exhortation morale au travail des mains. Nous ne devons pas avoir honte du travail et de la condition d’artisan, 1. Il en est, je pense, plusieurs parmi vous qui s’étonnent du passage de l’Apôtre qu’on vient de vous lire, ou plutôt, qui considèrent cette partie de son épître comme accessoire et superflue, parce qu’elle ne contient qu’une succession continuelle de salutations. Aussi, quoique j’eusse aujourd’hui jeté mes vues d’un autre côté, je renonce à ce premier sujet, et je me dispose à aborder celui-ci, pour vous apprendre que dans les saintes Écritures rien n’est superflu, rien n’est accessoire, fût-ce un seul iota, un seul accent, et qu’une simple salutation nous ouvre souvent un océan de pensées. Et que dis-je, une simple salutation ? Souvent l’addition d’une seule lettre de l’alphabet apporte avec soi tout un ensemble de pensées fécondes. C’est ce qu’on peut voir à propos de l’appellation d’Abraham. Celui qui reçoit une lettre de soir ami ne se contente pas de lire le corps même de cette lettre, il lit aussi la salutation qui est au bas, et c’est par là surtout qu’il juge de la disposition de celui qui a écrit. Et quand c’est Paul qui écrit, ou plutôt, non pas Paul, mais la grâce de l’Esprit-Saint qui adresse une – lettre à une ville entière, à un peuple si nombreux, et par eux à tout l’univers, n’est-il pas déplacé de croire qu’il y ait dans le contenu quelque chose d’inutile, et de passer légèrement à côté, sans réfléchir que c’est là ce quia tout bouleversé ? Oui, ce qui nous a plongés dans cet abîme de tiédeur, c’est de ne pas lire les Écritures dans leur entier, c’est de faire un choix de ce qui nous paraît le plus clair, sans tenir le moindre compte du reste. C’est ce qui a même introduit les hérésies que de ne pas vouloir étudier tout l’ensemble et de croire qu’il y avait du superflu, de l’accessoire. Aussi, tandis qu’en tout le reste nous avons poursuivi, non seulement le superflu, mais encore l’inutile et le nuisible, l’étude des Écritures est restée négligée et méprisée. Ceux qui ont la frénésie d’assister aux courses de chevaux, savent bien vous dire avec la dernière exactitude le nom de chaque cheval, à quelle troupe il appartient, quelle est sa race, son âge, et sa force comme coureur ; ils vous diront lequel, attelé avec quel autre, enlèvera la victoire ; quelle bête enfin, partie de quelle barrière, et avec quel écuyer, aura le pas sur son concurrent, et obtiendra le prix de la course. Les gens qui ont fait de la danse l’objet de leur étude, nous offrent l’exemple d’une folie non moins grande, plus forte même encore, à l’égard de ceux qui exposent leur honte sur les théâtres, je veux dire les mimes et les danseuses : ils vous débitent leur famille, leur patrie, leur éducation, et tout le reste. Et nous, quand on nous demande combien il y a d’épîtres de saint Paul, et ce qu’elles sont, nous ne pouvons même pas en dire le nombre. Et s’il y a quelques personnes qui le sachent, on les embarrasse en leur demandant à quelles villes elles furent envoyées. Ainsi, un eunuque, un étranger, préoccupé d’une infinité d’affaires diverses, avait tant d’assiduité pour les livres, qu’il ne connaissait point de relâche, même en voyage, et qu’assis dans sa voiture il s’appliquait à une lecture fort attentive des divines Écritures (Act 8,27 et suiv) ; et nous, qui n’avons pas la millième partie de ses occupations, nous sommes étrangers au nom même des épîtres, et cela, quand chaque dimanche nous nous rassemblons en ce lieu pour profiter de l’audition de la parole sainte. Eh bien ! donc, car je ne voudrais pas employer tout mon discours à vous faire des reproches, voyons donc un peu ensemble cette salutation qui a l’air inutile et gênante. Car si nous l’expliquons, et si nous faisons voir tout le profit qui en revient à ceux qui y font bien attention, alors le reproche n’en sera que plus grand contre ceux qui négligent de pareils trésors et qui rejettent loin d’eux les richesses spirituelles qui sont entre leurs mains. Quelle est clone cette salutation ? Saluez, dit saint Paul, Priscille et Aquila, unes coopérateurs dans le Seigneur. (Rom 16,3) Ne trouvez-vous pas que voilà une bien insignifiante formule, et qui ne nous offre rien de grand, ni de noble ? Eh bien ! c’est pourtant à elle seule que nous consacrerons tout cet entretien, ou plutôt, nos efforts n’auront même pas assez d’aujourd’hui pour épuiser devant vous toutes les pensées renfermées dans ces quelques mots ; nous serons forcés de réserver pour un autre jour le surplus des méditations que cette brève salutation fera surgir. Car pour aujourd’hui, je n’ai pas en vue de la considérer tout entière ; je n’en examinerai qu’une partie, le commencement, le début : Saluez Priscille et Aquila. 2. Et d’abord, on a lieu d’être frappé de la vertu de Paul, aux soins de qui l’univers entier avait été remis, et qui, ayant à s’inquiéter de la terre et de la mer, de toutes les villes que le soleil éclaire, des Grecs et des Barbares, enfin d’un si grand nombre de peuples, montrait tant de préoccupation pour un seul homme et une seule femme ; puis, une autre chose encore est admirable, c’est ce qu’il fallait à son âme de vigilance et de sollicitude pour se souvenir non seulement de tous en général, mais en particulier de chaque personne estimable et vertueuse. De nos jours, cela n’a rien d’étonnant de la part de ceux qui sont à la tête des Églises, car les troubles d’alors sont apaisés, et les prélats ne sont plus chargés que du soin d’une seule ville ; tandis que, dans ce temps-là, non seulement la grandeur des dangers, mais aussi les distances, les nombreuses préoccupations, le flux et reflux perpétuel des événements, l’impossibilité d’être toujours au milieu de tous, et bien d’autres inconvénients plus graves que ceux-là, étaient de nature à bannir de sa mémoire les gens même les plus recommandables. Mais non, il n’en perdit pas le souvenir. Et comment cela fut-il possible ? C’est que Paul avait l’âme grande et une charité ardente et sincère. Il avait ces personnes-là tellement présentes à sa pensée, qu’il en faisait souvent mention même dans ses lettres. Mais voyons quel était le caractère, là condition de ces fidèles qui captivèrent Paul à ce point, et s’attirèrent son affection personnelle. C’étaient peut-être des consuls, des préteurs, des procurateurs, d’autres dignitaires illustres, ou de ces grands, de ces riches qui mènent la ville comme ils veulent ? Non, rien de pareil, mais tout à fait le contraire : des pauvres, des indigents vivant du travail de leurs mains. Car leur état, dit l’Écriture, était de fabriquer des tentes ; et Paul n’avait point honte et ne regardait nullement comme un opprobre pour la ville royale par excellence et pour ce peuple orgueilleux, de lui recommander de saluer ces artisans ; il ne croyait pas faire injure aux Romains par l’amitié qu’il portait à ces mêmes artisans : tant il avait appris alors la véritable sagesse à tous les fidèles. Et nous, quand nous avons dans notre famille des gens un peu plus pauvres que nous, souvent nous les excluons de notre familiarité ; nous nous croirions déshonorés, si l’on venait à découvrir qu’ils tiennent à nous par quelque parenté. Ce n’était pas ainsi que se comportait Paul : loin de là, il en tire gloire, et il proclame non seulement devant son époque, mais pour tous les âges à venir, que ces faiseurs de tentes occupaient un des premiers rangs dans son amitié. Et qu’on ne vienne pas me dire : Qu’y a-t-il donc de grand et d’admirable, qu’ayant lui-même cet état, il n’ait point rougi de ceux de son métier ? Comment ? C’est précisément là ce qu’il y a de plus grand, ce qu’il y a d’admirable ! Lorsqu’on peut citer des ancêtres illustres, on rougit moins de ceux dont la position est infime comparée à la nôtre, que lorsque, d’une condition jadis aussi humble que la leur, on s’est ensuite élevé tout d’un coup à un certain éclat, à un poste en vue. Or personne alors n’était plus illustre, ni plus en évidence que Paul, il était plus célèbre que les rois mêmes ; cela est reconnu de tout le monde. En effet, l’homme qui commandait aux malins esprits, qui ressuscitait les morts, qui pouvait d’une seule injonction rendre les gens aveugles et guérir ceux qui l’étaient, l’homme dont les vêtements et l’ombre elle-même dissipaient toute espèce de maladie, était bien évidemment regardé non plus comme un homme, mais comme un ange descendu des cieux. Malgré cela, avec toute cette gloire dont il jouissait, cette admiration qui le suivait en tous lieux, tous les regards se fixant sur lui n’importe où il se montrait, il ne rougissait point d’un faiseur de tentes, et il ne pensait pas avilir la dignité des personnages si haut placés. Car dans l’Église de Rome il y avait naturellement bien des personnages illustres, qu’il chargeait ainsi de saluer ces pauvres gens. C’est qu’il savait, il savait parfaitement que la noblesse ne vient pas de l’éclat de la fortune, de l’abondance des richesses, mais de la bonne conduite ; de sorte que si l’on est dépourvu de cette dernière, et que l’on s’enorgueillisse de la gloire de ceux auxquels on doit le jour, on se pare seulement du vain nom de la noblesse, sans en avoir la réalité ; disons mieux, il se trouve souvent que le nom même est dérobé, s’il prend idée à quelqu’un de remonter plus haut que ces nobles ancêtres. Tel en effet, illustre et en vue lui-même, peut encore nommer un père et un aïeul célèbres ; mais en cherchant bien, vous lui trouverez souvent un bisaïeul obscur et sans nom ; de même que si nous voulons scruter, en remontant par degrés, toute la généalogie de ceux que nous croyons de basse naissance, nous leur trouverons souvent pour aïeux éloignés des procurateurs, des préteurs, dont les descendants ont fini par devenir des éleveurs de chevaux, des engraisseurs de porcs. Rien de tout cela n’échappait à saint Paul : aussi faisait-il peu de cas de cette sorte d’avantages, mais il cherchait la noblesse de l’âme, et il apprit aux autres à admirer cette qualité. En attendant, nous tirons de là un fruit qui n’est pas médiocre, c’est de ne rougir d’aucun de ceux dont la condition est plus humble que la nôtre, de rechercher la vertu de l’âme, et de considérer comme superflues et inutiles toutes les circonstances qui nous sont extérieures. 3. Il y a encore un autre avantage non moins grand à en recueillir, et qui, mis à profit, exerce on ne peut plus d’influence sur la règle de notre vie. Quel est-il ? C’est de ne point accuser le mariage, c’est de ne pas regarder comme un empêchement et un obstacle au chemin qui mène à la vertu, d’avoir une femme, d’élever des enfants, d’être chef d’une famille, et d’exercer une profession manuelle. Voyez, dans l’exemple qui nous occupe, il y avait aussi un mari et une femme, ils étaient à la tête d’un atelier, ils travaillaient de leurs mains, et ils offraient le spectacle d’une vertu bien plus parfaite que ceux qui vivent dans des monastères. Et qu’est-ce qui nous le prouve ? Le salut que Paul leur adresse ; ou plutôt, non pas le salut seulement, mais ce qu’il atteste ensuite. Car après avoir dit : Saluez Priscille et Aquila, il ajouta aussi leur titre. Et quel titre ? Il n’a pas dit ces riches, ces personnages illustres, de famille noble ; qu’a-t-il dit ? Mes coopérateurs dans le Seigneur. Or, il ne saurait y avoir rien d’égal à cela comme recommandation de vertu, et ce n’est pas là le seul trait qui nous fasse voir leur vertu, c’est encore qu’il ait demeuré chez eux, non pas un jour, non pas deux ou trois, mais deux années entières. En effet, de même que les puissants de la terre ne choisissent jamais pour y descendre les maisons des gens obscurs et de basse condition, mais qu’ils recherchent les splendides demeures de quelques personnes marquantes, de sorte que la bassesse du rang de leurs hôtes ne porte pas atteinte à la grandeur de leur, dignité ; ainsi faisaient les apôtres : ils ne descendaient pas chez les premiers venus, et si les grands s’attachent à la splendeur de la résidence, les Apôtres demandaient la vertu de l’âme, ils recherchaient avec soin les fidèles qui leur étaient dévoués et ils venaient loger dans leur maison. En effet, il y avait un précepte du Christ qui l’ordonnait ainsi. Quand vous entrerez, dit-il, dans une ville ou dans une maison, demandez qui de ses habitants mérite de vous recevoir, et demeurez-y. (Luc 9,4) Ainsi, Priscille et Aquila étaient dignes de Paul ; et s’ils étaient dignes de Paul, ils étaient dignes des anges. Quant à moi, j’appellerais hardiment cette pauvre maisonnette une église, un ciel. Car où était Paul, là aussi était le Christ. Cherchez-vous, dit-il, une preuve du Christ qui parle en moi ? (2Co 13,3) Et là où était le Christ, là aussi les anges se portaient continuellement en foule. Or ces fidèles qui, même auparavant, s’étaient Montrés dignes des attentions de saint Paul, songez ce qu’ils durent devenir, en habitant deux ans avec lui, à même d’observer sa tenue, sa démarche, son regard, sa mise, toutes ses actions, toutes ses habitudes. Car, dans les saints, ce ne sont pas seulement les paroles, ni les enseignements et les exhortations, mais encore tout le reste de la conduite de la vie qui est capable de devenir pour les gens attentifs une école complète de sagesse. Figurez-vous ce que ce devait être de voir Paul prendre ses repas, adresser des reproches ou des exhortations, prier, verser des larmes, enfin dans toutes ses démarches. Si nous autres, qui ne possédons de lui que quatorze lettrés, nous les portons par tout l’univers, ceux qui possédaient la source de ces épîtres et là langue même de l’univers, la lumière des Églises, le fondement de la foi, la colonne et la base de la vérité, quels ne seraient-ils pas devenus, dans le commerce d’un tel ange ? Et si ses vêtements étaient redoutables aux malins esprits, et avaient une si grande vertu, avec quelle abondance sa société intime n’aurait-elle pas attiré la grâce du Saint-Esprit. Voir le lit où Paul reposait la couverture qui l’enveloppait, les sandales où il mettait ses pieds, cela n’aurait-il pas suffi pour leur inspirer une componction continuelle ? Car si les démons tressaillaient à la vue de ses vêtements, bien plus les fidèles qui vivaient avec lui devaient-ils se sentir contrits et humiliés à cet aspect. Mais, une chose qui vaut la peine d’être examinée, c’est le motif qui lui fit nommer, dans cette salutation, Priscille avant son mari. Il ne dit pas : Saluez Aquila et Priscille, mais, Priscille et Aquila. Ce qu’il n’a point fait au hasard, mais, je pense, parce qu’il lui savait plus de piété que son mari. Et ce que j’avance là, vous pouvez vous convaincre, par la lecture même des Actes, que ce n’est pas une simple conjecture. Apollo, homme éloquent et très-versé dans les saintes Écritures, mais qui ne connaissait que le baptême de Jean, avait été recueilli par Priscille, qui l’avait initié à la voie de Dieu, et en avait fait un docteur accompli. (Act 18,24-25) Car les femmes du temps des apôtres ne s’inquiétaient pas comme celles d’aujourd’hui, d’avoir de belles toilettes, d’embellir leur visage avec du fard et des traits de couleur, elles ne tourmentaient pas leur mari pour lui faire acheter une robe plus chère que celle de leur, voisine et de leur égale, pour avoir des mulets blancs avec des freins saupoudrés d’or, un cortège d’eunuques, un nombreux essaim de suivantes, et toutes les autres fantaisies les plus ridicules ; elles avaient secoué tout cela, rejeté loin d’elles le luxe du monde, et ne cherchaient qu’une chose, d’avoir part à la société des Apôtres, et de conquérir avec eux un même butin spirituel. Aussi Priscille n’était pas la seule qui se comportât de la sorte ; toutes les autres faisaient de même. Car saint Paul parle d’une certaine Persis, qui, dit-il, a beaucoup travaillé pour nous (Rom 16,12), et il admire Marie et Tryphène pour les mêmes labeurs, c’est-à-dire, parce qu’elles travaillaient avec les Apôtres et s’étaient préparées aux mêmes luttes. Mais alors comment donc, écrivant à Timothée, lui dit-il : Quant à la femme, je ne la charge pas d’enseigner, ni d’exercer l’autorité sur son mari? (1Ti 2,12) C’est dans le cas où l’homme aussi est pieux, où il possède la même foi, où il en partage la même sagesse ; mais lorsque le mari est hors de la foi, lorsqu’il vit dans l’erreur, saint Paul ne refuse pas à la femme cette autorité : ainsi, écrivant aux Corinthiens, il leur dit : Que la femme dont le mari est hors de la foi, ne se sépare pas de lui. Que sais-tu en effet, ô femme, si tu ne sauveras pas ton mari? (1Co 7,13,16) Or, comment la femme qui a la foi aurait-elle pu sauver son mari qui n’avait point la foi ? Il est clair que c’est en le catéchisant, en l’instruisant, en l’amenant à la foi, exactement comme Priscille l’a fait pour Apollo. D’ailleurs, lorsqu’il dit : Je ne charge pas la femme d’enseigner, il parle de l’enseignement que l’on donne du haut de la chaire, du discours en public, de celui qui est dans les attributions du sacerdoce ; mais il n’a pas interdit à la femme de donner en particulier des exhortations et des conseils. Car si cela eût été défendu, il n’aurait pas donné des éloges à celle qui le faisait. 4. Que les maris écoutent cela, que les femmes l’écoutent aussi : ces dernières, afin d’imiter une personne du même sexe et de la même nature qu’elles ; les premiers, pour ne pas se montrer plus faibles qu’une femme. En effet, quelle excuse sera la nôtre, quel pardon mériterons-nous, lorsqu’ayant l’exemple de ces femmes qui ont fait preuve d’un si grand zèle et d’une si haute sagesse, nous restons perpétuellement enchaînés par les affaires du monde. Que tous l’entendent, dignitaires et subordonnés, prêtres et laïques, afin que les uns, ait lieu d’admirer les riches et d’être à la piste des familles illustres, recherchent la vertu jointe à la pauvreté, qu’ils ne rougissent point de leurs frères plus dénués qu’eux, qu’ils ne délaissent pas là le faiseur de tentes, le corroyeur, le marchand d’étoffes de pourpre, le forgeron, pour aller faire leur cour aux potentats ; afin aussi que les subordonnés ne s’imaginent point que rien les empêche de recevoir chez eux les saints, mais que, songeant à la veuve qui reçut Élie lorsqu’elle n’avait qu’une poignée de farine (1Ro 17,10 et suiv), et à ceux-ci, qui donnèrent deux ans l’hospitalité à saint Paul, ils ouvrent leurs maisons à ceux qui ont besoin, et que tout ce qu’ils possèdent, ils le mettent en commun avec leurs hôtes. N’allez pas me dire, en effet, que vous n’avez pas de domestiques pour vous servir. Quand vous en auriez dix mille, Dieu vous ordonne de cueillir vous-même le fruit de l’hospitalité. C’est pourquoi saint Paul s’adressant à la femme veuve, et lui commandant d’exercer l’hospitalité, lui ordonnait de le faire non par d’autres, mais par elle-même. Car après avoir dit : Si elle a exercé l’hospitalité, il ajouta : Si elle a lavé les pieds des saints. (1Ti 5,10) Il n’a pas dit : si elle a dépensé de l’argent, ni : si elle a ordonné à ses domestiques de rendre aux saints ce service, mais : si elle l’a accompli elle-même. C’est pour cela aussi qu’Abraham, qui avait trois cent dix-huit serviteurs, courait lui-même au troupeau, portait le veau, et faisait tous les autres offices, associant sa femme aux fruits de cette hospitalité. C’est encore pour cela que Notre-Seigneur Jésus-Christ vient au monde dans une étable ; qu’une fois né, il est élevé dans sa famille, et que, devenu grand, il n’avait pas où reposer sa tête, pour vous enseigner de toutes les manières à ne pas soupirer après les splendeurs de cette vie, à aimer en tout la simplicité, à rechercher la pauvreté, à fuir le luxe, et à vous orner intérieurement. Car, dit l’Écriture, la gloire de la fille d’un roi est tout intérieure. (Psa 45,14) Si vous avez l’intention de l’hospitalité, vous en avez le trésor tout entier, quand vous ne posséderiez qu’une obole ; mais si vous avez dans le cœur de l’aversion pour l’humanité et pour vos hôtes, nageriez-vous dans l’abondance de toutes choses, vos hôtes sont à l’étroit dans votre maison. Priscille ne possédait pas de lits à garnitures d’argent, mais elle possédait une grande chasteté ; point de couverture de parade, mais une intention de bonté et d’hospitalité ; point de balustres brillants, mais une éclatante beauté d’âme ; son logis n’offrait ni murs revêtus de marbre, ni dalles émaillées de marqueterie, mais elle était elle-même un temple du Saint-Esprit. Voilà ce que loua Paul, voilà ce dont il fut épris ; c’est pour cela qu’il resta deux ans sans quitter cette maison ; c’est pour cela qu’il se souvient toujours de ses habitants, et leur compose un éloge grand et admirable, non pour ajouter à leur gloire, mais pour amener les autres au même zèle, pour persuader aux autres de regarder comme bienheureux, non pas les riches ni les puissants, mais les hommes qui aiment leurs hôtes, qui exercent la miséricorde, qui ont de la charité pour leurs semblables, ceux enfin qui donnent la preuve d’une grande affection pour les saints. 5. Eh bien ! donc, nous aussi, instruits que nous sommes par cette salutation, prouvons-le par notre conduite, cessons de regarder à la légère les riches comme bienheureux, ne dédaignons pas les pauvres, rie rougissons point des professions manuelles, que l’opprobre soit à nos yeux, non pas de travailler, mais d’être paresseux, et de ne savoir que faire. Car si le travail était une honte, Paul ne s’y serait point adonné, il ne s’en serait point glorifié plus que d’autre chose, en disant : Car je n’ai point lieu de me vanter de ce que j’annonce l’Évangile. Et quelle est donc ma récompense ? C’est en prêchant l’Évangile du Christ, de le répandre gratuitement. (1Co 9,16-18) Si les métiers étaient un opprobre, il n’aurait pas condamné ceux qui n’en exerçaient aucun à ne pas manger. (2Th 3,10) C’est qu’il n’y a que le péché qui soit honteux ; or la paresse l’engendre ordinairement, et noie-seulement une espèce de péchés, non seulement deux ou trois ; mais toute la malice d’un seul coup. Aussi un sage, qui faisait voir que la paresse nous a appris tous les vices, dit-il en perlant des serviteurs : Mets-le à l’ouvrage, afin qu’il ne soit pas oisif. Car ce que le frein est au cheval, le travail l’est à notre nature. Si la paresse était un bien, la terre produirait tout, sans semailles ni labour ; or elle ne fait rien de tel. Primitivement, il est vrai, Dieu lui ordonna de tout faire pousser sans être labourée ; mais depuis, il en a disposé autrement : il a obligé les hommes à atteler des bœufs, à leur faire traîner une charrue, et ouvrir un sillon, à répandre des semences, à donner une foule d’autres soins à la vigne, aux arbres et aux semailles, afin que l’occupation de ces travaux écarte de tout vice la pensée des travailleurs. Au commencement, pour prouver sa puissance, il voulut que tout sortît de terre sans labeur de notre part : Que la terre, dit-il, fasse germer les pousses de l’herbe (Gen 1,11) ; et à l’instant tout se couvrit de verdure ; mais plus tard il n’en fut pas ainsi : il ordonna que ces mêmes productions fussent arrachées à la terre par notre labeur, afin de nous apprendre que c’est pour notre bien, pour notre avantage qu’il a introduit le travail parmi nous. Cela nous semble un châtiment, une vengeance, d’entendre cette parole : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front (Gen 3,19) ; mais en réalité, c’est un avertissement et une leçon, c’est le remède aux blessures qui nous viennent du péché. C’est pourquoi Paul lui-même travaillait sans relâche, non seulement le jour, mais la nuit ; c’est ce qu’il proclame en ces termes : Travaillant nuit et jour, afin de n’être à charge à aucun de vous. (1Th 2,9) Et ce n’était pas simplement par plaisir et pour se distraire qu’il se livrait au travail, comme faisaient plusieurs des frères, mais il se donnait toute cette peine afin de pouvoir en outre secourir les autres. Car, dit-il, mes mains ont subvenu à mes besoins, et à ceux de mes compagnons. (Act 20,34) Un homme qui commandait aux malins esprits, le docteur de l’univers, aux soins duquel avaient été confiés tous les habitants de la terre, qui prodiguait sa sollicitude à toutes les Églises du monde, à cette multitude de peuples, de nations et de villes, cet homme travaillait nuit et jour, sans donner un moment de relâche à de tels labeurs. Et nous, qui n’avons pas la dix-millième partie de ses préoccupations, qui même ne pouvons nous en faire une idée, nous passons toute notre vie dans la paresse. Et quelle excuse aurons-nous, quelle indulgence mériterons-nous, dites-moi ? La source d’où tous les maux se sont répandus dans notre vie, c’est que bien des gens regardent comme un fort grand mérite de ne point exercer leur métier, et comme la dernière confusion de paraître savoir quelque chose de semblable. Paul cependant ne rougissait pas, en même temps qu’il maniait le tranchet et qu’il cousait des peaux, de parler avec les gens élevés en dignité ; il était même fier de ses occupations, lui à qui venait s’adresser une foule de personnages distingués et illustres. Et non seulement il ne rougissait point de son métier, mais il le gravait pour ainsi dire orgueilleusement dans ses épîtres comme sur un cippe d’airain. Ainsi, ce qu’il avait appris dans le commencement, il l’exerçait encore par la suite, et même alors, qu’il avait été ravi au troisième ciel, qu’il avait été transporté dans le paradis, et qu’il avait reçu de Dieu communication de paroles mystérieuses ; et nous, qui ne sommes pas même dignes de ses sandales, nous rougissons de ceux dont lui était fier ; nous qui prévariquons tous les jours, nous ne nous convertissons pas, et nous ne regardons pas cela comme un opprobre ; mais nous fuyons comme un sujet de honte et de risée une vie qui s’entretient d’un travail légitime. Quel espoir de salut aurons-nous donc, dites-le-moi ? Car si vous avez honte, ce devrait être d’avoir péché, d’avoir offensé Dieu, et fait quelque action contraire à votre devoir ; mais quant aux métiers et aux travaux, vous devriez au contraire en être fiers. Car c’est par là, c’est par l’occupation du travail, que nous pourrons chasser aisément de notre esprit les mauvaises pensées, secourir les malheureux, ne point fatiguer les autres en assiégeant leur porte, et accomplir la loi du Christ qui a dit : C’est une plus grande bénédiction de donner que de recevoir. (Act 20,35) En effet, si nous avons des mains, c’est pour nous aider nous-mêmes, et pour fournir, de nos propres ressources, tout ce qui est en notre pouvoir, à ceux qui ont des infirmités ; de sorte que l’homme qui passe sa vie dans la paresse, est plus malheureux, même lorsqu’il se porte bien, que les gens qui ont la fièvre ; car ceux-ci ont leur maladie pour excuse, et ils méritent la commisération ; mais les autres, qui déshonorent leur bonne santé, s’attirent à bon droit la haine de tout le monde, comme transgressant les lois de Dieu, comme portant préjudice à la table des malades, et comme avilissant eux-mêmes leur âme. En effet, le mal n’est pas seulement qu’au lieu de tirer leur subsistance, comme ils le devraient, de leur maison et de leur personne, ils assiègent en importuns les maisons d’autrui ; mais c’est encore qu’ils deviennent eux-mêmes ce qu’il y a de pire au monde. Car il n’est rien, non rien absolument, qui ne se perde par la paresse. Voyez l’eau : celle qui séjourne se corrompt ; celle qui courre et erre de tous côtés conserve sa vertu ; le fer : celui qui reste en repos, est miné à force de rouille, il perd de sa solidité et de sa valeur ; celui au contraire qui sert à différents travaux, devient à la fois bien plus utile et bien plus beau : il brille à l’égal de l’argent le plus pur. Chacun peut remarquer encore qu’une terre laissée inactive ne produit rien de bon, mais seulement de mauvaises herbes, des épines, des chardons, et des arbres stériles : celle au contraire qui a le bonheur d’être cultivée, se couvre de fruits savoureux. En un mot, tout ici-bas se perd par la paresse et devient plus utile par son travail propre. Eh bien ! donc, puisque nous savons tout cela, tout le dommage qui résulte de la paresse, et tout le profit que l’on retire du travail, fuyons l’une et recherchons l’autre, afin de passer honorablement notre vie présente, de secourir les malheureux avec ce que nous avons, et après avoir rendu notre âme meilleure, d’avoir en partage les biens éternels : puissions-nous tous obtenir cette faveur, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXXI.
SALUEZ MON CHER ÉPÉNÉTE, QUI A ÉTÉ LES PRÉMICES DE L’ASIE, POUR JÉSUS-CHRIST. (XVI, 5, JUSQU’À 16)
Analyse.
- 1.3. De l’utilité de l’étude des noms propres dans l’Écriture Sainte. – Sur Epénéte, Marie et les saintes femmes des temps apostoliques ; Andronigne et Junie, parents de saint Paul et captifs avec lui ; Amplias, Urbain, Slachys, Appelle, la famille d’Aristobule, Hérodion, la maison de Narcisse, Tryphène et Tryphose, Perside, Rufus et sa mère, et autres saints personnages, hommes et femmes ; détails divers.
- 4 et 5. Réflexions sur la considération dont saint Paul était entouré. – De l’inégalité des rangs dans le ciel. – De l’inégalité dans les mérites des hommes dont parle l’Écriture. – De l’inégalité des châtiments. – Dans quel lieu et la géhenne. – Il est bien moins important de le savoir que d’éviter d’y tomber. – Contre l’indifférence à ce sujet. – Pourquoi résister à la bonté du Dieu qui veut notre salut ?
1. Un grand nombre, même des personnes jalouses de bien faire, passeront, j’imagine, cette partie de l’épître, comme inutile, et sans grand intérêt ; c’est précisément ce qu’elles font, je pense, de la généalogie qui se trouve dans l’Évangile ; en effet, comme il n’y a là qu’un catalogue de noms propres, elles ne croient pas y trouver grand profit. Cependant ceux qui cherchent l’or, en ramassent minutieusement les plus petites parcelles, et les personnes dont je parle négligent des lingots d’un or si précieux. Il suffira de ces quelques paroles pour prévenir cette indifférence, et les corriger. La grande utilité que présente ici l’épître, est manifeste par ce que nous avons dit plus haut ; ces divers saluts ont déjà élevé vos âmes ; et, aujourd’hui encore, nous allons essayer d’extraire l’or de ce passage. Des noms qui ne sont rien en apparence, renferment quelquefois un trésor. Si vous comprenez pourquoi Abraham a reçu ce nom, et, de même pour Sara, pour Israël, pour Samuel, vous apprendrez, du même coup, un grand nombre de faits de l’histoire. Ces circonstances de temps et de lieu vous fourniront aussi leurs enseignements. Avec de la bonne volonté, on trouve là des moyens de s’enrichir ; le négligent ne tire aucun profit même des leçons les plus claires. Ainsi le goal d’Adam est tout un enseignement de haute sagesse, et il en faut dire autant, du nom de son fils, du nom de sa femme, et de beaucoup d’autres. En effet, les noms sont des monuments d’une grande éloquence ; ils témoignent des bienfaits de Dieu et de la reconnaissance des femmes ; elles conçoivent par la grâce de Dieu répandue sur elles, et ensuite elles donnent, elles donnaient ainsi autrefois des noms à leurs enfants. Mais à quoi bort discourir en ce moment sur des noms, lorsque nous négligeons tant et de si précieuses pensées, lorsque tant de personnes ne connaissent même pas les noms des livres saints ? Toutefois, ce n’est pas pour nous une raison d’abandonner cette étude : « Vous « deviez », dit la parabole, « mettre votre argent entre les mains des banquiers ». (Mat 25,27). Aussi, quand personne ne devrait nous entendre, voulons-nous faire notre devoir, montrer qu’il n’y a rien d’inutile, rien de livré au hasard dans les Écritures. Si les détails où il entre n’avaient pas leur utilité, l’apôtre ne les aurait pas ajoutés à sa lettre, Paul n’aurait pas écrit ce qu’il a écrit. Mais il y a des hommes tellement engourdis, lâches, indignes du ciel, que ce ne sont pas seulement des noms, mais des livres tout entiers qu’ils regardent comme superflus, ainsi le Lévitique, le livre de Josué et plusieurs autres. C’est ainsi que l’Ancien Testament a été rejeté par un grand nombre d’insensés, et, s’avançant plus encore dans cette voie détestable, des hommes en délire ont été jusqu’à mutiler, en grande partie, le Nouveau Testament. Mais ce sont des malheureux adonnés à l’ivresse, vivant dans la chair ; nous n’avons pas à en tenir compte ; s’il est des amis de la vraie sagesse, des âmes amoureuses des choses spirituelles, écoutez ; ce qui semble le moins relevé dans l’Écriture n’y est pas jeté au hasard et sans utilité, les plus vieux récits ont une importance considérable. « Toutes ces choses sont des figures », dit l’Apôtre, « et elles ont été écrites pour notre instruction ». (1Co 10,11) Aussi disait-il à Timothée : « Appliquez-vous à la lecture, et à l’instruction » (1Ti 4,13), pour le porter à la lecture de l’Ancien Testament, parce qu’il voyait d’ailleurs en lui, un homme que l’Esprit vivifiait, qui ressuscitait les morts. Appliquons-nous donc à notre sujet. « Saluez mon cher Epénète ». On peut voir ici, la diversité des éloges que Paul fait de chacun. Ce n’est pas un mince éloge, au contraire, c’est le plus glorieux, c’est celui qui montre le mieux la vertu d’un fidèle que d’être aimé de ce Paul, qui n’aimait pas par entraînement, mais par choix. Autre éloge maintenant : « Qui a été les prémices de l’Achaïe ». Paul entend par là qu’avant tous les autres Epénète s’est élancé dans la voie nouvelle, acceptant la foi, ce qui n’est pas un mince éloge, ou il veut dire que sa piété surpasse celle de tous les autres. Aussi, après avoir dit : « Qui a été les prémices de l’Achaïe », Paul ne s’arrête-t-il pas là ; mais pour empêcher qu’on ne soupçonnât une gloire selon le monde, il ajoute : « Pour Jésus-Christ ». En effet si, dans le gouvernement des États, celui qui entreprend te premier une grande affaire, a pour lui le mérite, la gloire, à bien plus forte raison en est-il de même en ce qui concerne les affaires du Seigneur. On peut croire qu’Epénète était d’une basse naissance, et Paul marque de lui, ce qui constitue vraiment la naissance, la prééminence, et c’est par là qu’il le décore. Et ce n’est pas de Corinthe seulement, mais de la province tout entière qu’il le nomme les prémices, il a été comme la porte, le vestibule par où les autres sont entrés. La récompense des hommes qui lui ressemblent, n’est pas à dédaigner ; un pareil homme récoltera un fruit précieux, même des vertus des autres, juste récompense du grand service par lui rendu aux premiers jours. « Saluez Marie, qui a beaucoup travaillé a pour vous (6) ». Qu’est-ce à dire ? Encore une femme couronnée, célébrée, encore un motif de confusion pour nous, qui nous nommons des hommes. Je me trompe, ne nous contentons pas de rougir ; rougissons, et soyons fiers ; soyons fiers d’avoir auprès de nous de telles femmes ; rougissons d’être si loin de les égaler, nous, qui nous nommons des hommes. Mais, du moment que nous aurons compris d’où leur vient cet éclat de beauté, nous aussi nous ne serons pas longtemps à les dépasser. D’où leur vient donc l’éclat dont elles brillent ? Écoutez, hommes et femmes ; les bracelets, les colliers, les eunuques, les servantes, les vêtements d’or n’y sont pour rien ; elles ne doivent rien, ces femmes, qu’aux sueurs qu’elles ont répandues pour la vérité. « Qui a », dit-il, « beaucoup travaillé pour nous » ; non seulement pour elle, pour perfectionner sa propre vertu, ce que font beaucoup de femmes, jeûnant, couchant sur la dure, mais, de plus, travaillant pour les autres, courant par le monde comme les apôtres, comme les évangélistes. Mais alors d’où vient que Paul dit « Je ne permets point à la femme d’enseigner ? » (1Ti 2,12) Il ne veut pas qu’elle préside au milieu des docteurs, il ne veut pas qu’elle monte en chaire, mais il ne lui interdit pas d’enseigner. Autrement, comment aurait-il dit à la femme dont le mari est infidèle : « Que sais-tu, ô femme, si tu ne sauveras pas ton mari ? ». (1Co 7,16) Comment lui aurait-il permis de former l’esprit de ses enfants ? comment aurait-il dit : « Elle se sauvera néanmoins par les enfants qu’elle aura mis au monde, s’ils persévèrent dans la foi, dans la charité, dans la sainteté de la sagesse ? » (1Ti 2,15) Comment Priscille a-t-elle instruit Apollon ? (Act 18,26) L’apôtre n’a donc pas voulu supprimer les entretiens secrets, les conversations particulières utiles, niais les discours publics, les harangues, sur un théâtre, l’enseignement qui ne sied qu’aux maîtres et aux docteurs. Et quand le mari est fidèle, solide dans la foi, capable d’instruire sa femme, de lui communiquer la sagesse, il ne lui interdit pas, à lui non plus, d’instruire sa femme et de la redresser. Remarquez d’ailleurs que Paul n’a pas dit : Qui a beaucoup enseigné, mais : « Qui a beaucoup travaillé » ; ces paroles montrent que Marie, outre ses bonnes paroles, rendait une foule d’autres services, par les dangers qu’elle courait, par ses secours en argent, par ses voyages. 2. C’est qu’il y avait, à cette époque, des femmes, des lions, plus ardentes encore, qui prenaient, avec les apôtres, leur part des fatigues de la prédication ; pour ce motif, elles voyageaient avec eux, et elles leur rendaient toute espèce de services. Le Christ aussi était suivi de femmes qui pourvoyaient à ses besoins, par leurs ressources, et qui étaient au service du Maître. « Saluez Andronique et Junte, mes parents (7) ». Ces paroles aussi paraissent un éloge, mais ce qui suit l’est bien plus encore. Qu’ajoute-t-il donc ? « Qui ont été compagnons de mes liens » ; voilà la plus insigne des couronnes, la gloire qu’on ne peut trop célébrer. Mais où donc Paul a-t-il été prisonnier, de manière à pouvoir dire : « Qui ont été compagnons dé mes liens ? » Il n’avait pas été prisonnier, mais il avait souffert des traitements bien plus rigoureux que dans les prisons, non seulement loin de sa patrie et de sa famille, mais luttant contre la faim, contre une mort qui le menaçait toujours, contre d’autres périls innombrables. Il n’y a d’affreux pour le prisonnier que d’être loin des siens, et souvent esclave, au lieu de vivre en liberté ; mais les épreuves tombaient comme les eaux du ciel sur ce bienheureux Paul, entraîné, violemment promené en tout lieu, fouetté, mis aux fers, lapidé, englouti dans les flots, assailli de milliers d’ennemis. Les prisonniers, une fois qu’on les a emmenés, n’ont plus à redouter la haine ; ceux qui les ont saisis, pourvoient à leurs besoins : mais Paul était sans relâche tourmenté par tous les ennemis qui l’environnaient de toutes parts ; de toutes parts il voyait les lances dirigées contre lui, les épées aiguisées, partout des combats tout prêts, des batailles. Donc il faut croire que ces saints personnages avaient partagé ses périls, et voilà pourquoi l’apôtre les appelle compagnons de ses liens ; c’est ainsi qu’il dit, dans un autre passage : « Aristarque, compagnon de mes liens ». (Col 4,10) Autre éloge maintenant : « Qui sont considérables entre les apôtres ». Or c’était certes déjà une assez grande gloire que d’être au rang des apôtres ; mais être ; parmi eux, considérables, essayez de comprendre tout ce qu’il y a là de glorieux ! Considérables, par leurs œuvres, par leurs vertus. Ah ! quelle ne dut pas être la sagesse de cette femme, si elle fut jugée digne d’être mise au rang des apôtres ! Et Paul ne s’arrête pas encore là, il ajoute encore un autre titre : « Et qui ont été avant moi en Jésus-Christ ». C’était, en effet, là encore un éloge insigne, d’avoir pris son élan le premier, d’être arrivé avant les autres. Voyez cette âme sainte, comme elle est pure de toute vaine gloire ! Ce Paul qui a conquis une gloire si éclatante, et quelle espèce de gloire ! il met les autres au-dessus de lui-même, il ne veut pas qu’on ignore qu’il n’est venu qu’après eux, il ne rougit pas de cette confession. Et à quoi bon admirer ici sa confession, lorsqu’on le voit flétrir sans hésiter sa vie première, se donner les noms de blasphémateur, de persécuteur du Christ ? Donc, dans l’impossibilité où il se trouve de produire des titres qui leur donnent d’ailleurs la supériorité sur lui, il s’en prend à ce fait qu’il est venu après eux, il y voit un moyen de leur composer un éloge, et il dit : « Et qui ont été avant moi, en Jésus-Christ. Saluez mon cher Amplias (8) ». Encore un personnage pour qui l’affection de Paul est un éloge ; car l’affection de Paul, toute en Dieu, suppose des vertus sans nombre. S’il est glorieux d’être aimé d’un roi, quel titre que d’être aimé de Paul ! Assurément ce n’est pas sans avoir prouvé une grande vertu, qu’Amplias s’est concilié un tel attachement. L’apôtre n’hésite pas non seulement à priver de son amour, mais à frapper d’anathème ceux dont la vie est mauvaise ; c’est ainsi qu’il s’écrie : « Si quelqu’un n’aime point Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème » (1Co 16,12) ; et encore : « Si quelqu’un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ». (Gal 1,8) – « Saluez Urbain, qui a travaillé avec moi, en Jésus-Christ (9) ». Cet éloge est plus éloquent que l’éloge qui précède, le dernier, en effet, comprend l’autre. « Et mon cher Stachys », encore la même couronne. « Saluez Apolle, éprouvé en Jésus-Christ (10) ». Éloge que rien n’égale ; voilà un homme irréprochable, ne laissant aucune prise à la réprimande, en ce qui concerne le service de Dieu. « Éprouvé en Jésus-Christ », c’est tout dire, c’est toute la vertu, en résumé. Et pourquoi l’apôtre ne dit-il nulle part, mon seigneur un tel, mon maître ? C’est que les éloges qu’il donne sont bien autrement expressifs ; ces termes qu’il n’emploie pas, n’expriment que la considération ; les paroles de l’apôtre rendent témoignage de la vertu. Et, dans ces pensées, Paul ne prodigue pas indifféremment ses marques d’honneur, il a soin de mêler un grand nombre de personnes, d’un rang inférieur, aux personnages élevés et puissants. En les nommant, en les saluant tous ensemble, et cela dans la même épître, il les associe tous également à l’honneur qu’il leur fait ; d’ou autre côté en décernant à chacun les éloges qu’il mérite spécialement, il nous montre la vertu propre de chacun d’eux ; de cette manière il n’excite pas l’envie qui résulterait de l’honneur fait aux uns, refusé aux autres, et en même temps il n’autorise pas le relâchement des mœurs, et il évite la confusion qui s’ensuivrait, s’il eût décerné à tous des éloges qui ne seraient pas tous mérités. 3. Voyez donc maintenant comment il arrive aux femmes d’une admirable vertu. Après avoir dit, en continuant : « Saluez la famille d’Aristobule, et Hérodion, mon cousin, et ceux de la famille de Narcisse (11) », (peut-être n’y trouvait-on pas tout ce qu’on voyait dans les précédents, aussi Paul ne donne-t-il pas les noms propres de tous ceux de la famille, tout en leur rendant l’hommage qui leur est dû, à savoir qu’ils sont fidèles ; car c’est là ce que veut dire, ce qu’il ajoute : « Qui sont dans le Seigneur) » ; eh bien ! maintenant, c’est aux femmes qu’il arrive : « Saluez Tryphène et Tryphose, qui travaillent dans le Seigneur (12) ». Il a déjà dit, à propos de Marie, qu’elle a beaucoup travaillé pour nous ; il dit maintenant, de celles-ci, qu’elles travaillent encore. Ce n’est pas un mince éloge que de savoir s’occuper tout à fait, et non seulement s’occuper, mais travailler, se fatiguer. Quant à Perside, c’est sa chère Perside qu’il l’appelle, montrant par là qu’elle est supérieure aux autres. « Saluez », dit-il, « ma chère Perside », et il témoigne de ses labeurs considérables en disant : « Qui a beaucoup travaillé dans le Seigneur ». C’est ainsi qu’il s’entend à les nommer individuellement selon leurs mérites, il veut ranimer leurs courages, en leur payant tout ce qu’il leur doit, en publiant, même leur moindre titre de distinction ; il provoque, en même temps, un zèle plus ardent de la part des autres, il les invite à mériter les éloges : qu’il distribue. « Saluez Rufus, l’élu du Seigneur, et sa mère, qui est aussi la mienne (13) ». Ici, rien ne manque, c’est la plénitude de tous les biens ; avec un tel fils, avec une telle mère, la maison est remplie de bénédictions, racine et fruit conformes. L’apôtre n’aurait pas dit à la légère : « Sa mère, qui est aussi la mienne », s’il ne voulait pas rendre témoignage de la grande vertu de cette femme. « Saluez Asyncrite, Phlégon, Hermas, Patrobe, Hermes, et nos frères qui sont avec eux (14) ». Ici, ne faites pas la remarque qu’il en parle sans ajouter à leurs noms des paroles d’éloges ; mais remarquez plutôt, qu’il ne dédaigne pas de nommer, même les moins importants de tous ; ou plutôt il leur décerne un grand éloge, en les appelant du nom de frères, comme les saints qui viennent ensuite : « Saluez », dit-il, « Philologue, et Julie, et Nérée, et sa sueur, et Olympiade, et tous les saints qui sont avec eux (13) ». C’était là la marque de la plus grande dignité, l’honneur d’une grandeur inexprimable. Ensuite, pour prévenir toute jalousie querelleuse qui proviendrait de ce qu’il parle des uns, d’âne manière, des autres, d’une manière différente ; de ce qu’il y en a qu’il nomme, tandis qu’il ne distingue pas les autres, de ce qu’il fait plus d’éloges des uns, moins d’éloges des autres, il se met à les confondre tous ensemble dans l’égalité de la charité, il les rapproche par le saint baiser : « Saluez-vous, les uns les autres, par un saint baiser (16) » ; baiser pacifique, qui lui sert à bannir toute pensée qui les troublerait ; il ne laisse ainsi aucune prise aux sentiments de rivalité ; il s’arrange de telle sorte que le plus grand ne méprise pas te plus petit, que le petit ne soit pas envieux du plus grand, que l’orgueil et la jalousie disparaissent, sous ce baiser qui égale et adoucit tout. Aussi ne leur conseille-t-il pas seulement de se saluer, mais il leur envoie de même le salut de toutes les Églises. « Recevez », dit-il, « le salut », non pas de tel ou tel en particulier, mais le salut commun, de tous, « de toutes les Églises de Jésus-Christ ». Comprenez-vous quels fruits qui ne sont pas à dédaigner, nous avons recueillis de ces salutations ? Que de trésors nous aurions négligés, si nous n’avions pas étudié cette partie de la lettre avec toute la sagacité dont nous sommes capables ? Qu’un homme habile, et pénétré de l’Esprit, s’y applique, la pénètre avec plus de profondeur, il y trouvera bien d’autres perles encore. Mais quelques personnes nous avant souvent demandé pourquoi l’apôtre adresse tant de salutations dans cette lettre, ce qu’il ne fait dans aucune autre, nous répondrons que c’est par la raison qu’il n’avait pas encore vu les Romains. Fort bien, dira-t-on, mais il n’avait pas encore vu les Colossiens, et cependant il ne leur écrit rien de pareil. C’est que les Romains avaient plus de célébrité que les autres peuples, c’est que, des autres villes, on se transportait à Rome, comme dans une ville plus sûre et qui était une résidence impériale. Donc les fidèles étant dans une ville étrangère, comme il était important qu’ils y trouvassent toute espèce de sûreté, comme quelques-uns d’entre eux étaient personnellement connus de Paul, que certains d’entre eux avaient rendu en son nom de nombreux et signalés services, il était naturel que l’apôtre les recommandât dans sa lettre. C’est qu’en effet la gloire de Paul était éclatante alors, et à ce point que ses lettres seules étaient des titres sérieux de recommandation : non seulement on avait pour lui de la vénération, mais on le craignait. Autrement, il n’aurait pas dit : « Car elle en a assisté elle-même plusieurs, et moi en particulier » ; ni : « J’aurais voulu moi-même être anathème ». (Rom 9,3) Il écrivait à Philémon : « Quoique je sois Paul, vieux, et de plus, maintenant prisonnier pour Jésus-Christ » (Phm 1,9) ; et aux Galates : « Je vous dis, moi, Paul » ; et : « Vous m’avez reçu comme Jésus-Christ ». (Gal 5,2 ; 9, 14) II écrivait aux Corinthiens : « Il y en a, parmi vous, qui s’enflent de présomption, comme si je ne devais plus vous aller voir » ; et encore : « J’ai proposé ces choses sous mon nom, et sous celui d’Apollon, afin de vous « apprendre à ne pas avoir de vous d’autres sentiments que ceux que je viens de marquer ». (1Co 4,18 et 6) Il ressort de toutes ces paroles, que sa gloire éclatait partout. Donc voulant procurer aux fidèles et sûreté et considération, il les salue individuellement avec les éloges convenables. L’un, il l’appelle, mon cher ; l’autre, mon parent ; un autre est à la fois son ami et son parent ; un autre est le compagnon de ses liens ; un autre, il le traite de fidèle éprouvé dans le Seigneur ; un autre, d’élu du Seigneur. Il y a une femme qu’il a nommée en marquant sa dignité ; car ce n’est pas au hasard qu’il dit de Phébé : « La diaconesse » ; si l’expression eût été indifférente, il l’eût appliquée à Triphène et à Perside ; mais il dit, de l’une, qu’elle a le titre de diaconesse ; d’une autre, qu’elle travaille avec lui, et qu’elle l’assiste ; celle-ci, il l’appelle sa mère ; celle-là, il la glorifie, Four les fatigues qu’elle a supportées ; pour les hommes, ou il cite la famille à laquelle ils appartiennent, ou il leur donne le nom de frères, le nom de saints, ou il se borne à dire leur nom propre ; il en est qu’il appelle prémices, il en est qu’il honore, parce qu’ils ont embrassé la foi les premiers ; les plus distingués sont Priscilla et Aquilas. C’est que, si tous ces saints personnages étaient des fidèles, ils ne l’étaient pas tous également, ils n’avaient pas des titres égaux aux récompenses. Voilà, pourquoi l’apôtre, jaloux de les animer tous d’un zèle toujours plus ardent, ne cache aucun des titres qui donnent des droits à un juste éloge. Si les plus méritants ne devaient pas être plus récompensés, on verrait le relâchement chez le grand nombre. 4. Voilà pourquoi il n’y aura pas égalité d’honneur dans le royaume de Dieu ; voilà pourquoi il n’y a pas égalité entre tous les disciples ; trois, parmi eux, avaient la prééminence sur tous les autres, et, entre ces trois, il y avait encore une grande inégalité. C’est que Dieu apprécie tout avec l’exactitude la plus rigoureuse, jusque dans les rangs les plus reculés. « L’étoile », dit l’apôtre, « diffère de l’étoile, en éclat ». (1Co 15,41) Sans doute, les apôtres t’étaient tous, et tous devaient siéger sur douze trônes, et tous avaient quitté ce qui leur appartenait, et tous s’étaient attachés à Jésus-Christ ; cependant le Christ en choisit trois parmi eux. Et ce n’est pas tout ; parmi ceux-là, il en est dont il constata l’excellence qui les distinguait, qui les rendait supérieurs ; car il dit : « Pour ce qui est d’être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n’est point à moi à vous le donner, mais ce sera pour ceux à qui il a été préparé » (Mrc 10,40) ; et il met Pierre au-dessus d’eux, par ces paroles : « M’aimez-vous plus que ne font ceux-ci ? » (Jn 21,15) Et Jean était chéri par-dessus tous. Il sera tenu de toutes choses un compte exact, et si faible que soit votre supériorité sur votre prochain, si mince, si insignifiante qu’elle vous semble, elle n’échappera pas au jugement de Dieu. L’histoire des anciens jours le démontre. Loth était juste, mais non autant qu’Abraham ; Ezéchias aussi, mais non autant que David ; et de même, pour tous les prophètes, mais ils ne l’étaient pas comme Jean. Où sont-ils, quand la justice de Dieu est si exacte, ceux qui ne veulent pas qu’il existe une géhenne ? S’il est vrai que tous les justes ne doivent pas jouir des mêmes récompenses, si faible que soit la supériorité des uns sur les autres (car l’étoile, dit l’apôtre, diffère de l’étoile, en éclat), comment les pécheurs jouiront-ils des mêmes biens que les justes ? Un homme ne donnerait pas les mains à cette confusion, et Dieu la ferait ? Voulez-vous que je vous montre, à propos des pécheurs qui ont paru dans le monde, par les faits accomplis, la diversité des traitements, l’exactitude rigoureuse de la justice ? Voyez : Adam a péché ; Eve aussi a péché ; tous les deux ont enfreint la loi, mais il n’y a pas eu d’égalité dans leurs péchés ; et, par conséquent, il n’y a pas eu d’égalité dans leurs châtiments. La différence a été si grande que Paul a pu dire : « Adam n’a point été séduit, mais la femme ayant été séduite, est tombée dans la désobéissance ». (1Ti 2,14) Assurément ils ont été tous les deux égarés par le fait d’une seule et même séduction, toutefois l’exactitude du jugement de Dieu a fait voir toute cette différence que Paul a exprimée. Autre exemple : le châtiment de Caïn ; après lui, Lamech fut aussi un meurtrier, et cependant il n’a pas eu le sort de Caïn ; pourtant il y avait bien, d’une part, un meurtre, et d’autre part, un meurtre ; et Lamech était de beaucoup plus coupable, puisque l’exemple n’avait pas servi à l’amender ; mais, comme il n’avait ni méprisé les avertissements, ni tué son frère, ni attendu qu’on l’accusât, ni répondu avec impudence aux questions de Dieu, comme il avait prévenu toute accusation, pour se dénoncer lui-même, pour se condamner, il obtint son pardon ; la conduite tout opposée de Caïn lui attira son châtiment. Voyez avec quelle exactitude rigoureuse Dieu pèse les actions. De là encore la diversité des vengeances ; dans le déluge et dans l’incendie de Sodome, la diversité des châtiments contre les Israélites, dans la captivité de Babylone, et sous la domination d’Antiochus ; preuve de l’exactitude des jugements de Dieu sur nous. D’une part, servitude de soixante-dix ans ; d’autre part, servitude de quatre cents ans ; ils mangèrent leurs enfants, ils furent enveloppés dans mille autres innombrables calamités, qui ne suffirent pas cependant à les affranchir envers Dieu, ni ce peuple, ni ceux qui furent brûlés vifs à Sodome. Car, dit le Seigneur : « Au jour du jugement Sodome et Gomorrhe seront traités moins rigoureusement que cette ville ». (Mat 10,15) Si Dieu ne prenait aucun souci ni de nos fautes, ni de nos bonnes œuvres, il y aurait peut-être quelque raison de dire que le châtiment n’existe pas ; mais quand on le voit, d’un soin si jaloux, prévenir nos péchés, tout faire et de si grandes choses pour nous porter aux bonnes œuvres, il est manifeste qu’il punit les pécheurs et qu’il couronne ceux qui font le bien. Mais voyez donc un peu jusqu’où va la contradiction dans les jugements des hommes. Ils accusent tant de preuves qu’il donne de sa patience ; ou répète que Dieu ne frit pas attention à la foule des pervers, des fornicateurs, des hommes de violence qu’il laisse impunis ; et maintenant, Dieu fait-il des menaces, les mêmes voix s’emportent en accusations amères, acharnées. Cependant, si vous détestez les forfaits, vous devriez approuver, glorifier l’expiation. Mais, ô délire, ô raison à rebours, et digne des ânes ! O cœur ami du péché, ami de la volupté, ô pensée qui n’a de regards que pour la corruption ! Oui, c’est l’amour de la volupté qui engendre toutes ces opinions, et cela est si vrai qu’il suffirait à ceux qui tiennent ces discours, d’embrasser la vertu, pour être bien vite persuadés de la réalité de la géhenne, pour n’en pas douter. Mais où donc, dira-t-on, en quel lieu se trouvera-t-elle, cette géhenne ? Que vous importe ? La question c’est : il y a une géhenne, et la question n’est pas : où est-elle, dans quel lieu. Quelques-uns content qu’elle sera dans la vallée de Josaphat ; des indications de lieux ont été données au sujet d’une guerre des temps passés ; on les applique bon gré mal gré à la géhenne. Mais dans quel lieu, réplique-t-on, sera-t-elle ? En dehors, je ne sais où ; en dehors, j’imagine, de tout cet univers. De même que les cachots et les mines des rois sont loin de tous les regards, de même, c’est en dehors de cette terre habitée que sera la géhenne. 5. Donc ne nous occupons pas de chercher oui elle est, mais comment nous pourrons l’éviter : Si Dieu ne punit pas ici-bas tous les coupables, ce n’est pas une raison pour refuser de croire aux choses à venir ; Dieu nous aime et il est patient. Voilà pourquoi il menace, et ne précipite pas tout de suite dans le lieu des tourments : « Je ne veux point », dit-il, « la mort du pécheur ». (Eze 18,32) Mais s’il n’y a pas de mort pour le pécheur, ces paroles sont inutiles. Je sais bien que rien n’est plus désagréable, pour vous, que de pareils discours ; mais, pour moi, il n’est rien de plus doux. Et plût au ciel que nous eussions l’habitude, quand nous dînons, quand nous soupons, quand nous sommes aux bains, et partout, de nous entretenir de l’enfer ! car nous cesserions de nous affliger des maux que nous redoutons ici-bas, et de nous tant réjouir des biens présents. Car enfin de quel mai prétendez-vous me parler ? De la pauvreté, de la maladie, de la captivité, de la mutilation de nos corps ? Mais tous ces maux ne sont que risibles, comparés à l’autre châtiment. Et quand vous me parleriez de ceux que la faim torture sans cesse, et de ceux qui, dès l’enfance, sont privés de leurs membres, et des mendiants, ils vivent dans les délices, si on les compare à ceux qui subissent d’autres tortures. Ne nous lassons donc pas de ces réflexions ; on ne tombe pas dans l’enfer, quand on a toujours la pensée de l’enfer. N’entendez-vous pas la voix de Paul ? « Qui souffriront l’éternelle justice, confondus par la face du Seigneur ». (2Th 1,9) N’entendez-vous pas dire ce qu’est devenu Néron, que Paul appelle un mystère de l’Antéchrist ? « Car le mystère d’iniquité se forme », dit-il, « dès à présent ». (Id 2,7) Eh quoi donc ? Il n’y aura aucun châtiment pour Néron ? aucun pour l’Antéchrist, aucun pour le démon ? Donc il y aura toujours l’Antéchrist, et toujours le démon : car ils ne se départiront pas de leur perversité, s’ils ne subissent pas de châtiment. Eh bien ! oui, dira-t-on : Il y a un châtiment, il y a un enfer, ce sont des vérités manifestes, mais les infidèles seuls y tomberont. Pourquoi, je vous prie ? Parce que les fidèles, direz-vous, ont reconnu leur Maître et Seigneur. Que signifie cette raison ? Si leur vie est impure, ils subiront, par cette raison même, de plus sévères châtiments : « Tous ceux qui ont péché sans la foi, périront aussi sans la loi ; et tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés par la loi » (Rom 11,12) ; et : « Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, ne l’aura pis accomplie, sera frappé de mille coups ». (Luc 12,47) Si nous ne devons rendre aucun compte de notre vie, si ces paroles ont été dites au hasard, le démon ne subira pas de châtiment ; car il connaît le vrai Dieu, il est même mieux instruit, sur ce point, que beaucoup d’hommes : et tous les anges de l’enfer connaissent Dieu aussi, et ils frémissent à cause de lui, et ils le proclament leur juge. Donc s’il n’est exigé aucun compte de la vie qu’on a menée, des actions perverses, voilà que les démons seront sauvés, eux aussi. Non, non ; ne vous abusez pas, mes bien-aimés. S’il n’y a pas de géhenne, comment les apôtres jugeront-ils les douze tribus d’Israël ? Comment Paul dit-il : « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? Avec combien plus de raison jugeons-nous les choses de ce monde ? » (1Co 6,3) Comment le Christ a-t-il pu dire : « Les Ninivites s’élèveront au jour du jugement, et condamneront cette race ? » et : « Au jour du jugement, Sodome sera traitée moins rigoureusement ? » (Mat 12,41 ; 11,24) Qu’avez-vous donc à plaisanter où il y a si peu matière à plaisanterie ? Pourquoi vous trompez ; vous vous-mêmes ; pourquoi, ô homme, cherches-tu à en imposer à ton âme ? Pourquoi cette lutte contre la bonté de Dieu ? S’il a fait un enfer, s’il menace de nous y précipiter, c’est pour nous empêcher d’y tomber, c’est pour que la crainte nous rende meilleurs. De sorte que celui qui ne veut pas qu’on en parle, ne fait pas autre chose, sans le savoir, qu’entretenir l’erreur qui nous y pousse et nous y précipite. Gardez-vous donc de paralyser les mains de ceux qui se fatiguent pour la vertu, n’encouragez pas la nonchalance des endormis. Si la plus grande partie des hommes venait à être persuadée qu’il n’y a pas d’enfer, quand les verrait-on renoncer à la corruption ? Et où donc se montrerait la justice ? Je ne dis pas pour faire la distinction des pécheurs et des justes, mais pour séparer les pécheurs des pécheurs. Pourquoi tel a-t-il été puni ici-bas, pourquoi tel autre n’a-t-il pas été puni, quoiqu’il ait commis les mêmes péchés, ou des péchés beaucoup plus graves ? Comprenez bien que, s’il n’y a pas d’enfer, il est impossible de répondre aux accusations contre Dieu. Aussi, je vous en conjure, mettez un terme à des discours qui ne méritent que la dérision, fermons la bouche à nos contradicteurs. Oui, des plus petits péchés, comme des plus petites vertus le compte sera produit avec exactitude. Nous aurons à expier des regards impudiques, des paroles inutiles, des rires, des querelles, des mouvements de colère, la honteuse ivresse ; et nous recevrons aussi notre récompense pour nos bonnes actions, pour un verre d’eau froide, pour une bonne parole, pour un simple gémissement. Écoutez le prophète : « Mettez le signe sur le visage de « ceux qui gémissent, et qui sont dans l’affliction ». (Eze 9,4) Comment donc osez-vous dire que le Dieu qui tient un compte si exact de tout ce qui nous regarde, n’a pas réfléchi, a parlé au hasard, en nous menaçant de la géhenne ? N’allez pas, je vous en conjure, sur de si vaines espérances, vous perdre vous-mêmes, et, avec vous, ceux qui ont foi en vos discours. Si vous vous déliez de nos paroles, interrogez avec soin les Juifs, les Grecs, tous les hérétiques sans exception, et tous, d’une seule voix, vous répondront : Il y aura un jugement et une rétribution. Les hommes ne vous suffisent-ils pas ? Interrogez les démons eux-mêmes, et vous entendrez leurs cris : « Pourquoi venez-vous ici nous tourmenter avant le temps ? » (Mat 8,29) Rassemblez toutes ces preuves, et décidez-vous à renoncer aux vains propos, afin de ne pas faire l’expérience qui prouve la réalité de l’enfer ; retirez de ces preuves la sagesse qui vous permettra d’échapper à ces tourments, et d’obtenir les biens de la vie future, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXXII.
JE VOUS EXHORTE, MES FRÈRES, A PRENDRE GARDE A CEUX QUI CAUSENT LES DISSENSIONS ET LES SCANDALES, CONTRE LA DOCTRINE QUE VOUS AVEZ APPRISE, ET DE VOUS DÉTOURNER D’EUX. CAR DE TELLES GENS NE SERVENT POINT NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, MAIS LEUR VENTRE ; ET, PAR DES PAROLES DOUCES ET FLATTEUSES, ILS SÉDUISENT LES ÂMES SIMPLES. (XVI, 17, 18, JUSQU’À LA FIN DE L’ÉPÎTRE) Analyse.
- 1 et 2. Il faut fuir ceux qui causent des divisions et des scandales. – Douceur de Paul dans ses exhortations. – Douceur funeste des hommes sensuels qui égarent les fidèles par leurs flatteries. – Dans les paroles de saint Paul, la prière et les prophéties s’unissent aux exhortations. – II ne faut ni la prière sans les œuvres, ni les œuvres sans la prière. – Saluts envoyés par divers personnages de la compagnie de saint Paul.
- 3 et 4. Eloge éloquent de saint Paul. – Rome glorifiée parce qu’elle possède les tombeaux de saint Pierre et de saint Paul. – Qui me donnera d’embrasser le corps de Paul ? – Je voudrais voir la poussière de ses mains qui furent chargées de chaînes et imposaient l’Esprit ! – Saint Paul, vainqueur des démons et des sages de la terre. – Et cependant ce n’était qu’un homme comme nous.
1. Encore une exhortation, et une prière après l’exhortation. En effet, après avoir dit de prendre garde à ceux qui causent les dissensions, et de ne pas les écouter, il ajoute : « Que le Dieu de paix brise bientôt Satan sous vos pieds » ; et : « Que la grâce de Notre-Seigneur soit avec vous (20) ». Voyez quelle douceur dans cette exhortation ; il ne conseille pas, il supplie Dieu, et ses paroles sont remplies d’égards pour les fidèles ; il les appelle d’abord ses frères, et ensuite il adresse pour eux au ciel ses supplications. « Je vous exhorte », dit-il, « mes frères ». Ensuite, pour exciter leurs inquiétudes, il leur montre la ruse des ennemis qui les menacent. Comme la perfidie se cache, il l’indique par ces paroles : « Je vous exhorte à prendre garde », c’est-à-dire, à scruter avec un soin rigoureux, à bien vous rendre compte, à vous renseigner exactement. A quel sujet, je vous prie ? Au sujet de ces hommes, « Qui causent les dissensions et les scandales contre la doctrine que vous avez apprise ». C’est que rien ne bouleverse plus l’Église que les divisions : ce sont là les armes du démon, c’est là ce qui met tout sens dessus dessous. Tant que le corps reste uni, impossible à lui d’y pénétrer, mais la division produit le scandale. Maintenant, d’où vient la division ? des doctrines contraires à l’enseignement des apôtres. Et ces doctrines, d’où viennent-elles ? de la sensualité asservie au ventre, et des autres passions. « Car de telles gens », dit-il, « ne servent point Notre-Seigneur, mais leur a ventre ». De telle sorte qu’on ne verrait ni scandales, ni division, si l’on ne concevait pas des doctrines contraires à l’enseignement apostolique ; ce que montrent ici ces paroles : « Contre la doctrine ». Et Paul ne dit pas Que nous vous avons enseignée, mais : « Que « vous avez apprise », il les prévient, il leur montre qu’ils ont été persuadés, qu’ils l’ont entendue, qu’ils l’ont acceptée ! Or, maintenant que ferons-nous à ceux qui mutilent de tels enseignements ? L’apôtre ne dit pas Marchez coutre eux, combattez, mais : « Et de vous détourner d’eux ». En effet, si leur conduite était un effet de l’ignorance ou de l’erreur, il faudrait les redresser ; mais ils savent ce qu’ils font, écartez-vous. Ailleurs encore, il tient le même langage « Retirez-vous », dit-il, « loin de tout frère, qui va et vient, d’une manière déréglée ». (2Th 3,6) Au sujet de l’ouvrier en cuivre, il exhorte Timothée en ces termes « Gardez-vous de lui ». (2Ti 4,15) Ensuite il tourne en dérision les fauteurs de ces désordres, il explique leur conduite, pourquoi ils suscitent la division : « Car de telles gens », dit-il, « ne servent point Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais leur ventre ». C’est ce qu’il écrivait aux Philippiens : « Qui font leur Dieu de leur ventre ». (Phi 3,19) Il me parait ici vouloir désigner les Juifs, qu’il accuse surtout ordinairement d’être asservis à leur ventre. En effet, il écrit à Tite à leur sujet : « Mauvaises bêtes, qui n’ont d’énergie que pour leur ventre ». (Tit 1,12) Et le Christ, les accusant pour la même raison, disait : « Vous dévorez les maisons des veuves ». (Mat 23,14) Les prophètes dirigent contre eux les mêmes accusations : « Il s’est engraissé », dit le texte, « il s’est rempli d’embonpoint, et il s’est révolté, le bien-aimé ». De là les exhortations de Moïse : « Après avoir mangé, après avoir bu, après vous être rempli, souvenez-vous du Seigneur votre Dieu ». (Deu 32,15 ; 6,12-13) Dans l’Évangile, on les entend dire au Christ : « Quel signe nous montrez-vous ? » (Jn 2,18) Et alors, oubliant tous les miracles qu’ils ont vus, ils ne se souviennent que de la manne ; partout ils se montrent possédés de ce vice. Comment ne pas rougir de reconnaître pour ses maîtres des hommes esclaves de leur ventre, quand on est le frère du Christ ? Voilà, d’une part, la cause, l’occasion de ces désordres ; quant à la manière dont cette dépravation se propage, c’est encore une autre maladie ; il faut, d’autre part, reconnaître la flatterie. « Par des paroles douces et flatteuses ils séduisent les âmes simples ». C’est avec raison que l’apôtre dit : « Par des paroles douces et flatteuses », car leur flatterie ne va pas plus loin que les paroles, leur pensée n’a rien qui respire la douceur, elle est pleine de ruse. Et la lettre ne dit pas. Ils vous séduisent, mais : « Ils séduisent les âmes simples ». Paul ne s’arrête pas là ; pour ne pas offenser ceux à qui il s’adresse, il ajoute : « Votre obéissance est parvenue à la connaissance « de tous (t9) ». Ce qu’il dit, c’est pour les empêcher de se déshonorer, il les prévient par ses éloges, il les retient par le grand nombre des témoins qui les regardent. Je ne suis pas le seul, en effet, qui rende de vous ce témoignage, le monde entier en fait autant. Et il ne dit pas : Votre sagesse, mais : « Votre obéissance », c’est-à-dire, votre foi, ce qui est un témoignage de la douceur de leur esprit. « Je m’en réjouis pour vous ». Il n’y a pas là un éloge à dédaigner vient ensuite, après la louange, un avertissement. Il ne veut pas, en les mettant hors d’accusation, vu leur ignorance, autoriser leur relâchement ; de là ce qu’il leur fait entendre par ces paroles : « Mais je désire que vous soyez sages dans le bien, et simples dans le mal ». Voyez-vous maintenant comme il les attaque, quoiqu’il le fasse sans qu’on puisse lui répondre ? Il veut faire entendre que quelques uns parmi eux se sont laissé séduire. « Que le Dieu de paix brise bientôt Satan sous vos pieds (20) ». Après avoir parlé de ceux qui causent les dissensions et les scandales, il les entretient du Dieu de paix pour leur donner la confiance de se voir délivrer des hommes dangereux. Car celui qui aime la paix, fera disparaître ce qui peut la troubler. Et il ne dit pas : Que Dieu soumette ; l’expression est plus énergique : que Dieu « Brise », et non seulement ces pervers, mais leur chef, l’auteur de tous ces désordres, « Satan ». Et non seulement brise, mais : « Sous vos pieds » ; c’est vous qui remporterez la victoire, c’est vous que rendra illustres un glorieux trophée. Autre consolation encore, prise du temps : « Bientôt ». Et il y a là tout ensemble urge prière et une prophétie. « Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous ». C’est l’arme la plus puissante, le mur indestructible, la tour inébranlable ; c’est pour raviver leur ardeur qu’il rappelle la grâce à leurs pensées. Si vous avez été délivrés des maux les plus redoutables, et cela uniquement par la grâce, à bien-plus fore raison vous sauvera-t-elle de ceux (lui le sont moins, parce que vous serez devenus les amis de Dieu, parce que vous aurez contribué de tout ce qui dépend de vous. 2. Voyez-vous comme il ne veut ni de la prière sans les œuvres, ni des œuvres sans la prière ? Ce n’est qu’après avoir rendu témoignage de leur obéissance qu’il prie pour eux, montrant par là le double besoin que nous avons, et d’agir par nous-mêmes, et d’être assistés de Dieu, si nous devons assurer notre salut à force de soins. Nous n’avons pas eu, autrefois seulement, besoin de la grâce, si forts que nous soyons, quelques preuves que nous ayons données, maintenant encore ce secours nous est nécessaire. « Recevez-le salut « de Timothée, compagnon de mes travaux (2l) ». Voyez-vous encore les éloges accoutumés ? « Comme aussi de Lucius, de Jason et de Sosipatre, mes parents ? » Luc fait mention de ce Jason, et nous donne une haute idée de son courage, en le montrant traîné, au milieu des cris du peuple, devant les magistrats de la ville ». (Act 17,5-9) Il est à croire que les autres étaient aussi des personnages remarquables ; car l’apôtre ne les nommerait pas pour la seule raison de la parenté, si leur piété ne les rendait semblables à lui-même. « Je vous salue, moi, Tertius qui ai écrit cette lettre (22) ». Voilà encore un titre qui a bien son prix, être le secrétaire de Paul, mais il ne l’a pas dit pour se louer, mais pour se concilier vivement leur affection par son ministère. « Recevez aussi le salut de Caïus, mon hôte, et l’hôte de toute l’Église (23) ». Voyez quelle couronne il tresse en son honneur, lorsqu’il constate cette hospitalité si large, qui réunit toute l’Église dans sa maison ! Hôte, en effet, ici, veut dire, qui donne l’hospitalité. Maintenant, quand on vous dit qu’il donnait l’hospitalité à Paul, ce n’est pas cette hospitalité seulement qui mérite d’être célébrée par vous, mais la régularité d’une vie parfaite ; si ce saint personnage n’avait pas été digne de recevoir Paul, certes l’apôtre n’aurait pas séjourné chez lui. Car celui dont le zèle ardent voulait dépasser la rigidité d’un grand nombre de préceptes du Christ, n’aurait pas, à coup sûr, enfreint la loi qui ordonne de s’enquérir avec le plus grand soin des hôtes qui vous reçoivent, et de ne demeurer que chez des personnes recommandées par leur vertu. « Recevez le salut d’Eraste, trésorier de la ville, et de notre frère Quartus ». Ce n’est pas sans raison qu’il ajoute : « Trésorier de la ville » ; il écrivait aux Philippiens : « Ceux de la maison de César vous saluent » (Phi 4,22), pour montrer que la prédication touchait de grands personnages ; de même ici, il a son but quand il mentionne la charge importante d’Eraste, il montre que celui qui prête son attention à la parole, ne trouve d’obstacles ni dans sa fortune, ni dans les soucis de l’autorité, ni dans rien de ce qui y ressemble. « Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous. Amen (24) ». Comprenez-vous quel doit être le point de départ et le point d’arrivée pour toutes choses ? Ce qui a fait la première base de sa lettre, lui sert à en faire le couronnement ; les mêmes expressions sont une invocation à cette mère de tous les biens désirés par lui pour eux, et en même temps elles rappellent tout ce qu’il y a en lui d’active bonté. Car ce qui distingue un maître généreux, ce n’est pas seulement la parole, c’est, avant tout, la prière qu’il fait pour l’utilité de ceux qui s’instruisent auprès de lui. Aussi le livre des Actes dit-il : « Pour nous, nous nous appliquerons surtout à la prière, et à la dispensation de la parole ». (Act 6,4) Qui donc priera aussi pour nous, puisque Paul est parti ? Ce sont les imitateurs d e Paul que je vois ici ; montrons-nous seulement dignes d’un tel patronage, afin que tout ne se borne pas, pour nous, à entendre ici la voix de Paul, mais qu’après notre départ d’ici, nous soyons jugés dignes de voir là-haut l’athlète de Jésus-Christ : je me trompe, si nous l’écoutons ici-bas, là-haut, il n’en faut pas douter, nous le verrons ; quand même nous ne serions pas tout près de lui, nous le verrons, il n’en faut pas douter, resplendissant, près du trône royal, où les Chérubins font entendre leurs hymnes de gloire, où planent les Séraphins. Là, nous verrons Paul avec Pierre, nous verrons, dans le chœur des saints, le chef et le prince, et là nous jouirons du vrai et pur amour. Car si Paul sur la terre a tant aimé les hommes qu’au lieu de voir rompre ses liens, de vivre auprès du Christ, il a préféré de rester parmi nous ; bien autrement brûlant sera l’amour qu’il nous montrera dans le ciel. Je veux vous dire pourquoi j’aime Rome, quoiqu’il y ait tant de raisons pour la célébrer, quoiqu’on puisse exalter sa grandeur, son origine antique, sa beauté, sa population si nombreuse, sa puissance, ses richesses, sa gloire dans les combats ; mais je veux tout oublier, et je dis que Rome est bien heureuse, parce que c’est à elle qu’écrivait Paul vivant, parce que Paul avait tant d’amour pour elle, parce que Paul fut présent et fit entendre ses discours au sein de ses murailles, parce que c’est dans Rome qu’il termina sa carrière. Oui, voilà pourquoi c’est une illustre cité, et cette gloire efface toutes ses autres gloires ; Rome, c’est un corps de grande taille et vigoureux, qui a deux yeux étincelants, les corps de ces deux saints. Moins resplendissant est le ciel illuminé des rayons du soleil, que Rome avec ces deux flambeaux qui rayonnent sur tous les points de l’univers. C’est de Rome que Paul sera ravi au ciel, c’est de Rome que Pierre prendra son essor. Concevez, frissonnez en concevant le spectacle réservé aux regards de Rome ; Paul tout à coup se relève de cet illustre tombeau, il s’enlève avec Pierre, ils vont à la rencontre du Seigneur ; quelle rose le Christ reçoit de la part de Rome, quelles couronnes ceignent le front de la ville sainte, quelles ceintures d’or l’embellissent, quelles sources elle épanche ! Voilà pourquoi je l’admire ; ni ses trésors, ni les colonnes de ses palais ne m’occupent, non plus que tout son faste, c’est elle qui les possède ces deux colonnes de l’Église. 3. Qui me donnera donc d’embrasser le corps du glorieux Paul, de demeurer attaché à son tombeau, de voir les cendres de ce corps qui suppléait dans sa chair à ce qui manquait aux souffrances de Jésus-Christ, qui portait les stigmates du Sauveur, qui répandait partout la prédication ? la poussière de ce corps qui rendait l’Évangile partout présent ; la poussière de cette bouche qui faisait parler le Christ ; dont l’éloquence brillait plus que l’éclair ; dont la voix tombait, plus terrible que le tonnerre, sur les démons ; de cette bouche qui prononçait cette grande et bienheureuse parole : « J’eusse désiré être anathème pour mes frères » (Rom 9,3) ; par qui l’apôtre parlait aux rois en face et sans rien craindre ; par qui nous avons appris à connaître Paul, par qui nous avons connu le Maître de Paul ? Non, le tonnerre n’est pas pour nous aussi formidable que l’était cette voix pour les démons. S’ils frissonnaient à l’aspect de ses vêtements, à bien plus forte raison, au bruit de sa voix. Cette voix les emmenait captifs, cette voix purifiait la terre, cette voix guérissait les maladies, exterminait la malignité, ramenait la vérité, proclamait le Christ qui l’inspirait, qu’elle accompagnait en tout lieu ; on entendait les Chérubins eux-mêmes, lorsqu’on entendait la voix de Paul. Le Christ qui réside en ces vertus, résidait de même dans sa langue. Car elle s’était rendue digne de recevoir le Christ, cette langue qui ne parlait que pour dire les vérités chères au Christ, et dont les accents s’élevaient comme le vol des Séraphins. Car quoi de plus élevé que ces paroles : « Je suis assuré que ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les futures, ni tout ce qu’il y a de plus haut, ni tout ce qu’il y a de plus profond, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ ? » (Rom 8,38) Ne sont-ce pas là des paroles qui ont des ailes, qui ont des yeux ? Aussi disait-il de Satan : « Nous n’ignorons pas ses desseins » (2Co 2,11) ; aussi les démons le fuyaient-ils, non seulement au bruit de sa voix, mais d’aussi loin qu’ils apercevaient ses vêtements. Je voudrais voir la poussière de cette bouche dont s’est servi le Christ pour publier de grands mystères, des mystères plus grands que ceux qu’il révéla par lui-même ; comme le Christ a fait de plus grandes œuvres par ses disciples que par lui-même, ainsi a-t-il fait entendre de plus grandes choses ; je voudrais la voir la poussière de cette bouche dont l’Esprit s’est servi pour communiquer à la terre ces admirables oracles. Quel bien n’a-t-elle pas opéré cette bouche ? Elle exterminait les démons, elle effaçait les péchés, elle réduisait les tyrans au silence, elle enchaînait les langues des philosophes, elle faisait à Dieu l’oblation du monde, elle inspirait la sagesse aux barbares, elle réglait toutes choses sur la terre ; les choses mêmes du ciel, elle les disposait à son gré, liant ceux qu’elle voulait, ou déliant, dans l’autre vie, selon la puissance qui lui avait été donnée. Non, ce n’est pas de cette bouche seulement, mais de ce grand cœur aussi que je voudrais voir la poussière ; on dirait, la vérité, en appelant ce cœur, le cœur de toute la race humaine, la source inépuisable des biens, le principe et l’élément de notre vie. Car c’était l’esprit de vie qui s’en épanchait sur toutes choses, qui, de là, se communiquait aux membres du Christ ; ce n’était pas le jeu des artères qui le distribuait, mais l’impulsion d’une volonté généreuse. Ce cœur était si large qu’il renfermait des cités tout entières, des peuples, des nations ; car, dit-il : « Mon cœur s’est dilaté ». (2Co 6,11). Cependant, ce cœur si large, s’est resserré, bien souvent contracté par cet amour même qui le dilatait : « C’était dans une grande affliction », dit-il, « avec un serrement de cœur que je vous écrivais alors ». (Id 2,4) Je voudrais voir la cendre de ce cœur embrasé d’amour pour chacun des malheureux qui se perdent ; de ce cœur qui ressentait, pour les enfants avortés, toutes les douleurs d’un enfantement nouveau ; de ce cœur qui voit Dieu, car, dit l’Écriture :« Les cœurs purs verront Dieu » (Mat 5,8) ; de ce cœur devenu victime : « C’est une victime pour Dieu, qu’un esprit contrit » (Psa 51,15) ; de ce cœur plus élevé que le plus haut des cieux, plus large que la terre, plus resplendissant que les rayons du soleil, plus ardent que le feu, plus solide que le diamant, de ce cœur qui versait des eaux vives : Car, dit l’Écriture : « De son cœur jailliront des fleuves d’eau vive » (Jn 7,38) ; de ce cœur d’où jaillissait une source qui n’arrosait pas seulement la face de la terre, mais les âmes ; d’où ne sortaient pas des fleuves seulement, mais aussi des larmes coulant jour et nuit ; de ce cœur où palpitait la vie nouvelle, non la vie que nous menons : « Et je vis, ou plutôt ce n’est plus moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ », dit-il, « qui vit en moi » (Gal 2,20) ; oui, le cœur de ce grand Paul, table du Saint-Esprit et livre de la grâce, ce cœur qui tremblait pour les péchés des autres ; en effet, « J’appréhende », dit-il, « que je n’aie peut-être travaillé en vain pour vous ». (Gal 4,11) « Qu’ainsi que le serpent séduisit Eve. Qu’arrivant vers vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais » (2Co 11,3 ; 12,20). Maintenant, pour lui-même, ce cœur éprouvait la crainte et la confiance : Je crains, dit-il, « qu’ayant prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même » (1Co 11,27) ; et : « Je suis assuré que ni les anges, ni les principautés ne pourront nous séparer ». (Rom 8,38) Je voudrais le voir ce cœur qui mérita d’aimer Jésus-Christ plus que nul antre ne l’aima jamais ; qui méprisait la mort et la géhenne ; qui se fondait dans les larmes répandues sur ses frères. « Que faites-vous », disait-il, « de pleurer ainsi et de broyer mon cœur ? » (Act 21,13), ce cœur si patient, et qui trouvait le temps si long quand il craignait les défaillances des Thessaloniciens. 4. Je voudrais voir la poussière de ces mains chargées de fers, dont l’imposition donnait l’Esprit ; de ces mains qui écrivaient ces lettres « Voyez quelle lettre je vous ai écrite de ma propre main » (Gal 6,11) ; et encore : « J’écris cette salutation de ma main, moi Paul » (1Co 16,21) ; la poussière de ces mains dont le seul aspect a précipité la vipère dans le feu. Je voudrais voir la poussière de ces yeux frappés d’une cécité bienfaisante, dont les regards embrassèrent ensuite le salut du monde, de ces yeux qui ont eu la gloire de contempler le corps du Christ, de ces yeux qui voyaient les choses de la terre et étui ne les voyaient pas, qui apercevaient ce qu’on ne peut apercevoir, qui ne connaissaient pas le sommeil, qui veillaient au milieu des nuits, qui défiaient les poisons dont nous infectent nos yeux. Je voudrais voir la poussière de ces pieds qui ont parcouru la terre, sans ressentir la fatigue, qu’on a liés contre le bois de la prison, quand il secoua et fit trembler les murailles ; la poussière de ces pieds qui franchissaient et les lieux habités et les déserts, de ces pieds toujours en voyage. Mais à quoi bon ces détails ajoutés l’un à l’autre ? Je voudrais voir la tombe où reposent les armes de la justice, les armes de la lumière, les membres maintenant vivants, et qui étaient morts lorsque l’homme était plein de vie, qui tous ne vivaient que dans le Christ, et qui étaient, comme lui, crucifiés pour le monde ; membres du Christ, revêtus du Christ, temple de l’Esprit, demeure sainte, où tout était cimenté par l’Esprit, cloué, rivé par la crainte de Dieu, empreint des stigmates de Jésus-Christ. C’est ce corps qui sert de rempart à la ville éternelle, plus invincible, plus inexpugnable que tous les forts, que tous les retranchements. N’oublions pas le corps de Pierre ; Pierre vivant reçut les hommages de Paul : « Je retournai », dit – il, « pour visiter Pierre ». (Gal 1,18) Et la grâce de Dieu permit, qu’avant de repartir, Paul demeurât avec lui. Je voudrais voir le lion de l’Esprit-Saint. Comme un lion ardent fondant sur des troupeaux de renards, ainsi s’élançait Paul sur les phalanges des démons et des philosophes, c’était la foudre qui exterminait les troupes de Satan. Et le maudit ne cherchait pas à lutter contre lui en bataille rangée, il en avait peur, il tremblait rien qu’à voir son ombre, rien qu’au bruit de sa voix, et s’enfuyait au loin. Voilà donc comment l’apôtre lui livra le fornicateur, pour le lui arracher ; voilà pourquoi il fit de même pour, d’autres pécheurs, afin d’apprendre aux hommes à détester le blasphème. Voyez, considérez de quelle manière il mène au combat ceux qu’il commande, quelle est son adresse à les animer, à les fortifier. Tantôt il dit aux Éphésiens : « Nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances » ; et il montre ensuite le prix réservé dans le ciel : « Car nous ne combattons pas pour les choses de la terre », dit-il, « mais pour le ciel, et pour tout ce qui est renfermé dans le ciel ». (Eph 6,12 ; Heb 12,4) Tantôt il dit à d’autres : « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ; avec combien plus de raison jugeons-nous les choses de ce monde ? » (1Co 6,3) Méditons donc ces pensées, et tenons-nous fièrement debout. Paul était un homme de la même nature que nous, par tous les autres côtés, semblable à nous, mais parce qu’il a montré la perfection de son amour pour le Christ, il s’est élevé au-dessus du ciel, et il a mérité de se tenir avec les anges. Nous n’avons donc nous aussi qu’à vouloir un peu nous relever, allumer en nous la même flamme, et nous pourrons rivaliser avec le glorieux saint. Si ce désir était impossible à satisfaire, il ne nous aurait pas crié : « Soyez mes imitateurs comme je le suis de Jésus-Christ ». (1Co 4,16, et XI, 1) Ne nous bornons donc pas à le contempler dans la stupeur de l’admiration ; mais imitons-le, afin de mériter, à notre départ d’ici-bas, le bonheur de le voir, et de participer à la gloire ineffable : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Traduit par M. C. PORTELETTE. FIN DES HOMÉLIES SUR L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS.
HOMÉLIE XXVII. ▼▼Cette homélie est mise à la fin pour des raisons de versification différente entre notre texte reçu et celui de Chrysostome.
A CELUI QUI EST TOUT-PUISSANT, POUR VOUS AFFERMIR DANS LA FOI DE L’ÉVANGILE ET DE LA DOCTRINE DE JÉSUS-CHRIST, QUE JE PRÊCHE SUIVANT LA RÉVÉLATION DU MYSTÈRE QUI, ÉTANT DEMEURÉ CACHÉ DANS TOUS LES SIÈCLES PASSÉS, A ÉTÉ DÉCOUVERT MAINTENANT PAR LES ORACLES DES PROPHÈTES, SELON L’ORDRE DE DIEU ÉTERNEL, POUR OPÉRER L’OBÉISSANCE A LA FOI, ET EST VENU A LA CONNAISSANCE DE TOUTES LES NATIONS ; A DIEU QUI EST LE SEUL SAGE, GLOIRE, PAR JÉSUS-CHRIST, DANS LES SIÈCLES DES SIÈCLES. AINSI SOIT-IL. (XIV, 24, 25, 26, POUR SAINT JEAN CHRYSOSTOME, ET 25, 26, 27, DU CHAP. XVI DE LA VULGATE) Analyse.
- 1 et 2. De la puissance et de la sagesse de Dieu, dans la manifestation de l’Évangile. – Supporter les faiblesses, rechercher la satisfaction et l’édification du prochain. – Jésus-Christ, divin modèle d’abnégation et de parfait détachement.
- 3 et 4. Fruit précieux de la concorde. – Il faut aimer ses ennemis mêmes. – Rien de plus honteux que la haine implacable. Chaleureuse exhortation à la concorde et à la paix.
1. C’est l’habitude de Paul de toujours terminer ses exhortations par des prières et des paroles à la gloire de Dieu. L’apôtre comprenait bien toute l’efficacité de cette pratique que son amour pour Dieu, que la piété lui avait rendue familière. En effet, il convient à celui qui aime ses enfants, au maître, au docteur qui aime Dieu, de ne pas réduire son enseignement à de simples discours, mais d’attirer aussi, par des prières sur ses disciples, le secours qui vient de Dieu. C’est ce que Paul fait en ce moment. Voici la suite des pensées : A celui qui est tout puissant pour vous affermir, gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. L’apôtre, ici encore, s’attache aux faibles, c’est à eux que son discours s’adresse. Quand il réprimandait, sa réprimande était pour tout le monde ; mais maintenant qu’il prie, c’est pour les faibles qu’il supplie le Seigneur. Il dit : « Pour vous affermir », non sans ajouter, en quoi : « Dans la foi de l’Évangile ». Ce qui montre qu’ils n’étaient pas encore bien assurés ; ils étaient debout, mais chancelants. Ensuite, pour donner de l’autorité à son discours, il ajoute : « Et de la doctrine de Jésus-Christ », ce qui veut dire que Jésus-Christ a prêché lui-même. Or, si c’est lui qui l’a prêchée, cette doctrine n’est pas la nôtre, nous vous donnons les lois de Dieu. Il considère ensuite cette doctrine, il montre que c’est un grand bienfait, que c’est le présent d’un Dieu qui nous comble d’honneur. Ce qui résulte d’abord de la personne même qui nous a annoncé cette doctrine, ensuite des vérités annoncées, des vérités de l’Évangile. Ajoutez à cela ce fait, que personne ne les a connues avant nous. C’est là ce que l’apôtre a insinué par ces paroles : « Suivant la révélation du mystère » : Assurément c’est une preuve d’amitié singulière de nous avoir communiqué des mystères que personne n’a connus avant nous. « Qui étant demeuré caché dans tous les siècles passés, a été découvert maintenant ». Autrefois, ce mystère a été déterminé d’avance, mais c’est maintenant qu’il a éclaté. Comment a-t-il éclaté ? « Par les oracles des prophètes ». Ici encore, il rassure l’infirme. Que craignez-vous ? De manquer à la loi ? Mais la loi ne veut pas autre chose ; mais c’est ce que la loi dès les anciens temps a prédit. Que si vous recherchez, de plus, pourquoi le mystère s’est révélé maintenant, vous êtes un imprudent de poursuivre de vos investigations curieuses les mystères de Dieu, et de lui demander des comptes. Ce n’est pas une vaine curiosité qui convient ici, mais l’affection, l’amour. Voilà pourquoi l’apôtre ferme la bouche aux curieux et dit : « Selon l’ordre du Dieu éternel, pour opérer l’obéissance à la foi ». La foi réclame l’obéissance, et non une activité inquiète ; quand Dieu commande, il faut obéir, et non se livrer à une vaine curiosité. Ensuite l’apôtre trouve encore d’autres raisons pour raffermir la confiance des fidèles « Le mystère est venu à la connaissance de toutes les nations ». Vous n’êtes pas le seul qui ayez cette croyance, c’est la foi de la terre tout entière ; ce n’est pas un homme, c’est Dieu qui l’a enseignée. De là ces paroles : « Par Jésus-Christ ». Et non seulement le mystère a été découvert, mais la connaissance en a été affermie, et tout cela est l’ouvrage de Jésus-Christ. De sorte que toute cette suite doit se lire ainsi : « À celui qui est tout puissant pour vous affermir par Jésus-Christ ». Car, comme je l’ai dit, c’est à Jésus-Christ que l’apôtre attribue et la révélation et la connaissance bien établie du mystère ; ou plutôt, non seulement ces deux bienfaits, mais aussi la glorification du Père. De là ces paroles : « A lui, gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il ». Il le glorifie encore à cause de ce qu’il y a d’incompréhensible dans ces mystères, et cet incompréhensible le jette dans la stupeur. Même aujourd’hui, après la révélation, la pensée ne saurait les comprendre ; il faut la foi ; les saisir autrement, c’est impossible. L’apôtre a bien raison de dire, en parlant de Dieu : « Qui est le seul sage ». Considérez les nations amenées à la religion ; les mélanges des infidèles avec les hommes qui furent les anciens justes ; le salut de ceux qui étaient désespérés ; les pécheurs, indignes de la terre, introduits dans le ciel, ceux qui étaient déchus de la vie présente, appelés à l’ineffable immortalité ; les victimes, foulées aux pieds par les démons, devenues des anges, ayant tous les droits des anges, le paradis ouvert, tous les anciens malheurs effacés, et cela eu un temps si court, et par des moyens si faciles et si rapides, vous comprendrez alors la sagesse divine ; ce que ne connaissaient ni les anges, ni les archanges, les gentils l’ont appris en un instant par le moyeu de Jésus. Ainsi quand il faudrait admirer sa sagesse, le glorifier, vous vous attardez dans des réflexions sans portée, vous restez encore assis dans l’ombre, ce qui certes n’est pas glorifier le Christ. Celui qui n’a pas en lui de confiance, et que la foi n’a pas touché, celui-là ne rend pas témoignage à la grandeur de ses œuvres. Mais Paul, à leur place, glorifie le Seigneur, et les incite à montrer le même zèle que lui. Donc quand vous l’entendez dire : à Dieu, « qui est le seul sage », n’allez pas croire qu’il y ait là rien qui rabaisse le Fils. Si tous les faits qui manifestent la sagesse de Dieu se sont accomplis par le Christ ; si, sans lui, rien n’a été accompli, évidemment leur sagesse est égale. Pourquoi donc l’apôtre a-t-il dit : « Le seul ? » C’est par opposition avec toute la nature créée. Donc, après avoir rendu gloire à Dieu, il reprend son discours, et, s’adressant aux plus forts, il dit : « Nous devons donc, nous qui sommes plus forts » (15,1) ; nous devons, ce n’est pas une faveur que nous faisons ; eh bien, que devons-nous ? « Supporter les faiblesses des infirmes ». 2. Voyez-vous comme il les élève par ces paroles flatteuses, où non seulement il les appelle des forts, mais en outre il les met au même rang que lui ? Et il fait plus encore, il les prend par l’idée de l’utilité, sans rien leur dire de pénible. Vous êtes forts, leur dit-il, et si vous usez de condescendance vous ne vous faites aucun tort ; mais l’infirme court les plus grands dangers s’il n’est soutenu. Maintenant, il ne dit pas les infirmes, mais « les faiblesses des infirmes », afin d’exciter la compassion des fidèles. C’est ainsi qu’ailleurs il dit : « Vous qui êtes spirituels, fortifiez celui qui… » (Gal 6,1) Vous êtes devenus forts ? Payez de retour le Dieu qui vous a rendus tels ; or, vous vous acquitterez envers lui, si vous aidez le malade à se relever. Nous aussi, nous étions faibles, mais la grâce nous a rendus forts. Et maintenant, cette conduite, il ne faut pas la tenir seulement quand il s’agit des faiblesses de la foi, mais encore quand il s’agit de toute autre faiblesse. Par exemple, un homme est sujet à la colère, ou il est porté à proférer des paroles violentes, il a quelque autre défaut, supportez-le. Mais comment ? écoutez la suite. Après avoir dit : « Nous devons supporter », il ajoute : « Et non pas chercher notre propre satisfaction. Que chacun de vous tâche de satisfaire son prochain dans ce qui est bon, et qui peut l’édifier (2) ». C’est-à-dire : Vous êtes fort ? Faites sentir votre force à l’infirme ; faites qu’il sache par expérience quelle est votre vigueur, pensez à le satisfaire. Et il ne dit pas seulement à le satisfaire, mais :« Dans ce qui est bon » ; et il ne se borne pas à dire : Dans ce qui est bon ; le parfait aurait pu répondre : Voyez, je l’attire vers ce qui est bon ; mais l’apôtre ajoute : « Et qui peut l’édifier ». Si donc vous avez en partage la richesse, en partage la force, ce n’est pas pour votre satisfaction à vous, mais pour satisfaire le pauvre et celui qui est dans le besoin ; c’est ainsi que vous jouirez de la véritable gloire, et que vous serez d’une très-grande utilité. La gloire terrestre est prompte à s’envoler ; la gloire spirituelle subsiste, si vous ne vous proposez que l’édification. Voilà pourquoi l’apôtre réclame de tous ce zèle pour le prochain : il ne dit pas seulement, que tel ou tel, mais : « Que chacun de vous ». Ensuite, comme il a donné un précepte d’une grande portée, comme il a prescrit de se relâcher de sa perfection propre afin de corriger les faiblesses du prochain, il fait encore intervenir le Christ. « Puisque Jésus-Christ n’a pas cherché à se satisfaire lui-même (3) ». C’est ce que l’apôtre ne manque jamais de faire. Quand il parle de l’aumône, il montre le Christ, en disant : « Vous connaissez la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, étant riche, s’est rendu pauvre pour nous » (2Co 8,9) ; pour persuader la charité, c’est encore du Christ qu’il s’appuie, disant : « Comme le Christ nous a aimés » (Eph 5,25) ; et quand il conseille de supporter la honte et d’affronter les dangers, il a encore recours au Christ, disant : « Qui, au lieu de la vie heureuse, dont il pouvait jouir, a souffert la croix et méprisé la honte ». (Heb 12,2) De même ici, l’apôtre propose Jésus-Christ pour modèle en le priant de supporter les faiblesses des autres, et il cite un oracle es prophètes : « Selon qu’il a été écrit : Les injures qu’on vous a faites sont retombées sur moi ». Mais maintenant, que signifient ces paroles : « N’a pas cherché à se satisfaire lui-même ? » Il pouvait ne pas supporter les opprobres, il pouvait ne pas souffrir ce qu’il a enduré, s’il n’eût voulu considérer que son intérêt. Mais il ne l’a pas voulu ; ne considérant que nous, il n’a plus pensé à lui-même. Et pourquoi l’apôtre n’a-t-il pas dit : Il s’est renoncé lui-même ? C’est qu’il ne voulait pas montrer uniquement le Dieu fait homme, mais rappeler qu’il a été outragé, couvert d’infamie aux yeux de la foule, qu’il a passé pour un être plein de faiblesses. On lui disait : « Si tu es le Fils de a Dieu, descends de la croix » ; et encore : « Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même ». (Mat 27,40 et 42) L’apôtre rappelle donc ici une preuve qui est considérable dans le sujet qu’il traite, et il prouve beaucoup plus qu’il n’a promis. Car ce n’est pas seulement le Christ qu’il montre couvert d’opprobres, mais le Père en outre ; car il dit : « Les injures qu’on vous a faites, sont retombées sur moi » ; c’est-à-dire, il n’y a rien là de nouveau, rien d’étrange. Ceux qui, sous l’ancienne loi, outrageaient Dieu, ont aussi dans leur fureur outragé son Fils. Or, toutes ces choses ont été écrites afin que nous sachions ce que nous devons imiter. L’apôtre fortifie ensuite les fidèles contre les tentations qu’ils auront à souffrir, il dit : « Car « tout ce qui est écrit, a été écrit pour notre « instruction, afin que nous ayons espérance « par la patience et par la consolation que les « Écritures nous donnent (4) », c’est-à-dire, afin que nous ne fassions pas de chute. En effet, les combats sont de mille espèces, au dedans, au-dehors, et l’apôtre veut que, fortifiés, consolés par les Écritures, nous montrions notre patience ; que la persévérance dans la patience soit pour nous la persévérance dans la foi. Elles s’engendrent l’une l’autre, l’espérance produit la patience, la patience produit l’espérance, et toutes deux naissent des Écritures. L’apôtre convertit encore ici ses exhortations en prières : « Que le Dieu de patience et de consolation vous fasse la grâce d’être toujours unis de sentiment les uns avec les autres, selon l’esprit de Jésus-Christ (5) ». Après avoir dit ses pensées à lui, l’apôtre a tenu à les appuyer des exemples de Jésus-Christ, et du témoignage des Écritures, pour montrer que c’est d’après les Écritures qu’il recommande la patience. « Que le Dieu de patience et de consolation vous fasse la grâce d’être toujours unis de sentiment les uns avec les autres, selon l’esprit de Jésus-Christ ». Car c’est le propre de la charité d’avoir pour les autres les mêmes sentiments que pour soi-même. 3. Ensuite, pour montrer que ce n’est pas un amour quelconque qu’il recommande, il ajoute : « Selon l’esprit de Jésus-Christ ». C’est l’habitude constante de Paul ; il y a en effet un autre amour que celui-là. Et quel est le fruit de la concorde ? « Afin que vous puissiez, d’un même cœur et d’une même bouche, glorifier Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ (6) ». Il ne dit pas seulement : « D’une même bouche », c’est la communion des âmes qu’il prescrit. Voyez-vous comme il cimente encore l’union du corps entier de l’Église, et comme il conclut encore en glorifiant Dieu ? C’est la raison qu’il emploie de préférence pour exciter à la concorde et à l’harmonie. Il reprend ensuite la même exhortation, en disant « C’est pourquoi unissez-vous les uns aux autres, pour vous soutenir mutuellement, comme Jésus-Christ vous a unis avec lui pour la gloire de Dieu (7) ». Encore le modèle d’en haut, et l’avantage ineffable ; car il n’est rien qui glorifie Dieu autant que cette communion de sentiments qui fait notre force. Aussi quel que soit le ressentiment personnel que vous éprouviez contre votre frère, considérez que, si vous apaisez votre colère, vous glorifiez le Seigneur ; faites-le ; et, si ce n’est pas pour votre frère, du moins pour Dieu, réconciliez-vous ; ou plutôt que ce soit pour Dieu principalement que vous pardonniez. Car le Christ ne fait que répéter sans cesse ce commandement, et il disait à son Père : « Ce qui fera connaître à tous que c’est vous qui m’avez envoyé, c’est qu’ils soient un. ». (Jn 17,21) Rendons-nous donc à ce désir de Jésus-Christ, unissons-nous étroitement les uns aux autres. Car ici l’apôtre ne s’adresse pas seulement aux faibles, il exhorte tous les hommes. Si l’on veut se séparer de vous, ne vous séparez pas, ne faites pas entendre cette, froide parole : qui m’aime, je l’aime ; si mon œil droit ne m’aimait pas, je l’arracherais : ce sont là des paroles de Satan, dignes des publicains, et qui respirent les haines des païens. Vous êtes appelés à une vie plus haute, vous êtes inscrits au ciel, vous êtes soumis à des lois plus nobles. Ne tenez donc pas de pareils discours. Celui qui ne veut, pas vous aimer, entourez-le d’une affection plus vive, pour l’attirer à vous ; c’est un de vos membres ; quand un de nos membres vient à être séparé du reste de notre corps, nous faisons tout pour l’y réunir, nous l’entourons alors de plus de soins et d’attention. Plus grande sera votre récompense si vous attirez à vous celui qui ne veut pas vous aimer. Si le Seigneur nous prescrit d’inviter à notre table ceux qui né peuvent pas nous rendre la pareille, et cela, afin que notre récompense soit augmentée, à bien plus forte raison faut-il se conduire de même en amitié. Car celui que vous aimez, et qui vous aime,.vous a payé ce qui vous est dû, tandis que celui que vous aimez et qui ne vous aime pas, a substitué en sa place Dieu pour débiteur auprès de vous ; et en outre, celui qui vous aime, n’a pas besoin de toute votre sollicitude ; au contraire, celui qui ne vous aime pas, c’est celui-là qui a besoin de votre secours. Que ce qui doit vous rendre plus vigilants, ne vous rende pas plus négligents, ne dites pas. voilà un malade, donc je ne m’en occupe pas ; car c’est la froideur de sa charité qui le rend malade : au contraire, attachez-vous à réchauffer cette charité refroidie. Mais, m’objecterez-vous, si je ne parviens pas à la réchauffer ? Persévérez, faites toujours ce qui dépend de vous. Mais s’il ne fait que se détourner de moi davantage ? Il vous assure alors une plus grande récompense, il sert d’autant plus à montrer que vous êtes un imitateur du Christ. Si l’affection mutuelle est la marque distinctive des disciples : « C’est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13,35), jugez de l’affection portée à celui qui vous hait. Votre Seigneur répondait à, ceux qui le haïssaient, en les aimant, en leur adressant ses exhortations ; plus ils étaient faibles, plus il prenait soin d’eux ; il disait d’une voix retentissante : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais ceux qui sont malades » (Mat 9,12) ; et ceux qu’il admettait à sa table, c’étaient des publicains et des pécheurs ; et plus les Juifs avaient d’outrages pour lui, et plus il avait d’égards pour eux, plus il leur prodiguait ses soins ; on ne peut dire jusqu’à quel point son zèle pour eux croissait de plus en plus. Faites comme le Seigneur. Cette vertu n’est pas de peu d’importance, sans elle, un martyr même ne peut être agréable à Dieu, comme le dit Paul. (1Co 13,3) Gardez-vous donc, de dire : On me liait, voilà pourquoi je n’aime pas ; voilà pourquoi, au contraire, vous devez surtout montrer de l’amour. D’ailleurs il est impossible que celui qui aime devienne si facilement un objet de haine ; une bête sauvage répond à l’affection qu’on lui porte par de l’affection ; c’est ce que font, dit le Seigneur, les païens et les publicains. (Mat 5,46-47) S’il est naturel d’aimer ceux par qui l’on est aimé, le moyen de ne pas aimer ceux qui répondent à la haine par de l’amour ? Pratiquez donc cette charité ; ne vous lassez pas de redire : Plus vous me haïrez ; plus je vous aimerai ; voilà une parole qui apaise toutes les querelles, qui attendrit tous les cœurs. Cette maladie de la haine c’est ou une inflammation, ou un refroidissement ; dans les deux cas la douce chaleur de la charité opère la guérison. Ne voyez-vous pas comme ces honteux amants supportent les soufflets, les mépris, les outrages, tout ce que leur font endurer ces misérables courtisanes ? Qui pourrait éteindre cet amour ? les affronts ? Nullement, ils ne font que le raviver : qu’importe que ces malheureuses, outre que ce sont des prostituées, appartiennent à une race obscure et vile ; qu’importe que leurs victimes puissent souvent citer de glorieux ancêtres, et soient illustres à d’autres titres, rien n’y fait, l’indignité même du traitement qu’ils subissent ne les rebute pas, ne les éloigne pas de la femme qu’ils aiment. 4. Ne rougirons-nous pas quand Satan, quand les démons inspirent des amours d’une telle force, de ne pouvoir montrer la même énergie dans un amour, selon le cœur de Dieu ? ne comprenez-vous pas que c’est là, pour frapper le démon, Parme la plus redoutable ? ne voyez-vous pas quelle est l’insistance de ce démon pervers pour attirer à lui l’objet de votre haine, et que c’est un de vos membres dont il veut s’enrichir ? et vous, vous n’y faites pas attention, et vous abandonnez le prix du combat ? Le prix du combat, c’est votre frère, placé au milieu du champ de bataille ; soyez vainqueur ; à vous la couronne ; cédez à votre négligence, et la couronne est perdue, et vous vous retirez honteusement. Cessez donc de faire entendre ce cri satanique : Si mon frère me hait, je ne veux même plus le voir. Rien de plus honteux ; laissez dire la foule qui trouve là une marque de grandeur d’âme ; rien de plus bas, de plus insensé, de plus cruel. Et ce qui m’afflige plus que tout, c’est la confusion que fait le grand nombre, prenant le mal pour de la vertu ; l’humeur dédaigneuse et méprisante pour de la générosité, de (honnêteté. Voilà par où le démon nous prend surtout dans ses filets : nous faisons une bonne renommée à la perversité, ce qui la rend si difficile à détruire. Je n’entends que des gens qui se glorifient de n’avoir aucun commerce avec leurs ennemis : eh bien, votre Seigneur met sa gloire précisément dans le contraire. Que de fois les hommes l’ont conspué ! que de fois ils se sont détournés de lui ! Mais lui ne se lasse pas de courir à eux. Ne dites donc plus : Je ne peux avoir aucun commerce avec ceux qui me détestent ; dites au contraire : Je ne puis rejeter ceux qui me rejettent. Voilà le langage d’un disciple du Christ ; l’autre langage est celui du démon ; l’un donne une gloire éclatante ; l’autre, la honte et le ridicule. Voilà pourquoi nous admirons Moïse ; quand le Seigneur lui dit : « Laissez-moi faire, dans ma colère je les exterminerai » ; Moïse ne put se résoudre à détester ceux qui s’étaient si souvent détournés de lui, et il répondit à Dieu : « Je vous conjure de leur pardonner leurs péchés ; si vous ne le faites pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit ». (Exo 32,10, 31, 32) C’est que Moïse était l’ami et l’imitateur de Dieu. Ne nous glorifions donc pas de ce dont nous avons lieu de rougir ; ne répétons pas avec complaisance ces banalités grossières : je sais rendre haine pour haine ; si nous entendons ce langage, tournons celui qui le tient, en ridicule, et fermons-lui la bouche parce qu’il se glorifie dé ce qui doit exciter la honte. Que dites-vous ; répondez-moi ? Vous détestez un fidèle que le Christ n’a pas détesté quand il était encore infidèle ? Et que dis-je, que le Christ n’a pas détesté ? Le Christ l’a aimé, cet homme, cet ennemi, ce misérable, il l’a aimé jusqu’à mourir pour lui. Cet homme, entendez-vous, cet homme ainsi fait, le Christ l’a aimé de cet amour ; et vous, aujourd’hui, dites-moi, quand cet homme a recouvré sa beauté, vous le détestez, un membre du Christ, une partie du corps du Seigneur ? Ne comprenez-vous pas ce que vous dites ? ne sentez-vous pas jusqu’où va votre audace ? Cet homme a pour tête le Christ, le Christ est sa table, son vêtement, sa vie, sa lumière, son fiancé ; il est tout pour lui, et vous osez dire. Je le déteste ! et non seulement lui, mais une infinité d’autres avec lui ? Arrête, ô homme ! apaise ton délire, reconnais ton frère, reconnais la démence de tes paroles, paroles d’un insensé en fureur ; habitue-toi à dire tout le contraire ; dût-il mille fois me rejeter, me repousser, je ne le quitte pas. C’est ainsi que vous saurez conquérir votre frère, que vous vivrez pour la gloire de Dieu, que vous aurez votre part des biens de la vie à venir ; et puissiez-vous tous les obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.