‏ Romans 3

HOMÉLIE VI.

MAIS TOI QUI PORTES LE NOM DE JUIF, QUI TE REPOSES SUR LA LOI ET TE GLORIFIES EN DIEU, QUI CONNAIS SA VOLONTÉ, ET QUI, INSTRUIT PAR LA LOI, SAIS DISCERNER CE QUI EST LE PLUS UTILE. (II, 17, 18, JUSQU’À III, 8)

Analyse.

  • 1 et 2. La simple connaissance extérieure de la loi sans l’application à s’y conformer, ne servira de rien au Juif, et il en est de même de la circoncision.
  • 3. Ce n’est qu’à l’homme vertueux qu’elle donne un avantage particulier.
  • 4. Objection : quel avantage reste-t-il donc au Juif ? – Réponse.
  • 5. Autre objection : Mais si nos prévarications ont servi à faire paraître la justice de Dieu, Dieu n’est-il pas injuste de faire tomber sur nous sa colère ? – Réponse.
  • 6. C’est par la pureté de leur vie que les chrétiens convertiront les infidèles. – Que l’avarice est une véritable idolâtrie.

1. Après avoir dit que rien ne manque au Gentil pour se sauver, s’il observe la loi, et avoir établi son admirable comparaison, il expose les avantages des Juifs et ce qui leur inspirait de l’orgueil par rapport aux Grecs. Et d’abord leur nom, qui était très-respectable, comme l’est maintenant celui du christianisme, et qui à lui seul formait une grande différence : aussi commence-t-il par là. Et voyez comme il montre le néant de cet avantage. Il ne dit pas : Toi qui es Juif, mais, « toi qui portes le nom de Juif et te glorifies en Dieu », c’est-à-dire, comme objet de son amour et son privilégié entre tous les hommes. Il me semble ici les railler légèrement de leur orgueil et de leur grande vanité, en ce qu’ils ne profitaient point du don pour leur salut, mais en abusaient pour s’élever au-dessus des autres et les mépriser. « Et qui connaît la volonté de Dieu et discerne ce qui est le plus utile ». Sans les œuvres, c’est là un défaut. Et pourtant cela semblait un avantage : Aussi fait-il soigneusement là distinction. Il ne dit pas : qui fais, mais, « Qui connais et discernes », sans pratiquer, sans agir. « Tu te flattes d’être le guide des aveugles ». Ici encore il ne dit pas : Qui es le guide des aveugles, mais. « Qui te flattes », qui te vantes de l’être : car la présomption des Juifs était grande. Aussi emploie-t-il à peu près les expressions dont les Juifs se servaient eux-mêmes dans leur jactance. Voyez dans les Évangiles ce qu’ils disent : « Tu es né tout entier dans le péché et tu nous enseignes ? ». (Jn 9,34). Et ils se montraient fiers à l’égard de tout le monde. C’est ce que Paul continue à leur reprocher, en élevant les Gentils et en les abaissant eux-mêmes, afin de mieux les atteindre et de donner plus de poids à son accusation.

Aussi va-t-il encore plus loin en variant ses expressions. « Tu te flattes d’être le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants, le maître des enfants, ayant la règle de la science et de la vérité dans la loi ». Il ne dit pas : Dans la conscience, dans les actions, dans les bonnes œuvres, mais : « Dans la loi ». Et après avoir dit cela, il fait ce qu’il a fait pour les Gentils. En effet, comme il a dit plus haut. « En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même », de même il dit ici : « Toi donc qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même ? » Mais là il a été plus sévère, ici il est plus doux. Il ne dit point : Et pour cela tu mérites un plus grand châtiment, parce que tu n’uses convenablement d’aucun des grands biens qui t’ont été confiés ; mais il procède par interrogation pour les faire rougir et dit : « Toi donc qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même ? » D’autre part voyez encore la prudence de Paul ! Il rappelle ceux des privilèges des Juifs qui n’étaient point le résultat de leur zèle, mais des dons d’en haut, et fait voir que non seulement ils sont inutiles à ceux qui les négligent, mais qu’ils entraînent une aggravation dans le châtiment. Car ce n’est point à cause de leurs mérites qu’ils sont appelés Juifs, qu’ils ont reçu la loi, et tous, les autres bienfaits énumérés plus haut ; mais c’est un effet de la grâce divine. Dès l’abord il avait dit qu’il ne sert à rien d’avoir écouté la loi, si on ne la pratique : « Ce ne sont que ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu ».

Maintenant allant beaucoup plus loin, il fait voir que non seulement l’audition, mais (ce qui est bien plus que l’auditions) l’enseignement même de la loi ne sert de rien au maître, s’il ne pratique ce qu’il enseigne ; que non seulement cet enseignement ne servira à rien, mais attirera un plus grand châtiment. Et il choisit à propos ses expressions, il ne dit pas : « Tu as reçu la loi, mais : « Tu te reposes sur la loi », car le Juif n’était point obligé de courir çà et là et de chercher ce qu1l avait à faire, il trouvait sans peine dans la loi le chemin qui conduit à la vertu. Si les Gentils ont le raisonnement naturel, par où ils l’emportent sur les Juifs ; puisqu’ils accomplissent tout sans avoir entendu aucun précepte positif, il n’en est pas moins vrai que ceux-ci ont plus de facilité. Si vous dites. Je n’écoute pas seulement, mais j’enseigne, vous ne faites qu’ajouter une raison de plus pour être puni. Et comme leur orgueil s’en gonflait, il leur montre qu’il n’en sont que ridicules. En effet, quand il dit : « Guide des aveugles, docteur des ignorants, maître des enfants », il fait allusion à leur orgueil, car ils abusaient étrangement de leurs prosélytes (c’était le nom qu’ils leur donnaient).

2. Aussi parle-t-il sous toutes les formes de ce qui semblait leurs gloires ; parce qu’il sait que ce sont autant de motifs de plus pour l’accusation. « Ayant la règle de la science et de la vérité dans la loi ». C’est comme si quelqu’un ayant l’image du roi n’en reproduisait aucun trait, tandis que ceux à qui elle n’aurait point été confiée la copieraient fidèlement, Après avoir rappelé les avantages qu’ils ont reçus de Dieu, il mentionne les vices que leur reprochaient les prophètes : « Toi qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même ? toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes ? toi qui dis qu’il ne faut pas être adultère, tu es adultère ? toi qui as en horreur les idoles, tu commets le sacrilège ? » Il était sévèrement défendu de toucher à rien de ce qui appartenait aux idoles, comme étant abominable ; mais, dit l’apôtre, la tyrannie de l’avarice vous a fait fouler cette loi aux pieds. Ensuite il réserve pour la fin le reproche le plus grave, disant : « Toi qui te glorifies dans la loi, tu déshonores Dieu par la violation de la loi ? »

Il y a ici deux reproches, ou plutôt trois ils déshonorent, ils déshonorent par ce qui leur a été accordé à titre d’honneur, ils déshonorent celui qui les a honorés : ce qui est le comble de l’ingratitude. Et pour ne pas avoir l’air de faire ces reproches dé son chef, il cite le prophète qui les accuse ici en abrégé, sommairement et comme en gros, mais plus tard en détail ; ici encore Isaïe, puis ensuite David, après qu’il aura produit plusieurs réfutations. Pour preuve, leur dit-il, que ce n’est pas moi qui vous accuse, écoutez Isaïe : « À cause de vous le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations ». (Isa 52,5) Voici encore deux autres accusations. Non seulement, dit-il, ils outragent Dieu, mais ils le font encore outrager par les autres. À quoi vous sert donc d’instruire, si vous ne vous instruisez pas vous-mêmes ? Plus haut il s’était contenté de dire cela, maintenant il le tourne dans le sens contraire ; car non seulement vous ne vous instruisez point vous-mêmes, mais vous n’apprenez pas aux autres ce qu’ils doivent faire, chose bien pire encore, non seulement vous ne leur apprenez pas la loi, mais vous leur enseignez tout le contraire, à blasphémer Dieu, ce qui est l’opposé de la loi.

Mais, direz – vous, la circoncision est une grande chose. J’en conviens, pourvu cependant qu’elle soit accompagnée dé la circoncision intérieure. Et voyez la prudence de Paul, avec quel à propos il amène la question de la circoncision. Il n’a point commencé par là, parce qu’on en avait une haute idée ; mais après leur avoir prouvé qu’ils ont péché en matière plus grave et qu’ils ont fait blasphémer Dieu ; assuré que l’auditeur les condamne et leur ayant ôté leur privilège, il parle de la circoncision, dans la confiance que personne n’osera plus la soutenir, et il dit « A la vérité la circoncision est utile si tu observes la loi ». Il avait pourtant un autre moyen de la rejeter ; il pouvait dire : Qu’est-ce que la circoncision ? Est-elle un mérite pour celui qui l’a reçue ? est-elle une preuve de bonne volonté ? On la donne avant l’âge de raison ; ceux qui étaient dans le désert, sont restés longtemps incirconcis ; on voit d’ailleurs en plus d’un endroit qu’elle n’est pas très-nécessaire. Ce n’est cependant point par ce côté qu’il la rejette, mais par où il fallait surtout l’attaquer, par Abraham. C’était là le plus beau triomphe, de la montrer méprisable là où elle leur paraissait respectable. Il aurait pu dire que les prophètes ont souvent appelé les Juifs incirconcis, mais c’étaient là la faute de ceux qui la recevaient et non celle de la circoncision elle-même. La question était de prouver qu’elle était sans vertu dans une vie parfaite, et c’est ce qu’il va faire. Jusqu’ici il n’a point parlé du patriarche, mais après avoir d’abord déconsidéré la circoncision par d’autres motifs, il porte plus tard son attention sur Abraham, à l’occasion de la foi, et dit : « Quand la foi a-t-elle été imputée à Abraham ? Dans la circoncision, ou avant la circoncision ? » (Rom 4,10)

Tant que la circoncision combat le païen et l’incirconcis, il ne veut pas tenir ce langage, pour ne pas blesser trop vivement ; mais quand elle est opposée à la foi, alors il l’attaque résolument. En attendant, la lutte est contre l’incirconcision ; c’est pourquoi il est moins vif et dit : « A la vérité la circoncision est utile, si tu observes la loi ; mais si tu la violes, la circoncision devient incirconcision (18, 25) ». Il suppose ici deux circoncisions et deux incirconcisions, comme il y a deux lois. Car il y a la loi naturelle et la loi civile, et un intermédiaire entre elles, la loi dans les, œuvres. Et voyez comme il indique et met en avant ces trois lois. « En effet. », dit-il, « quand les Gentils qui n’ont pas la loi » : De quelle loi s’agit-il ? de la loi écrite. « Font naturellement ce qui est selon la loi ». Selon quelle loi ? selon la loi parles œuvres. « N’ayant pas la loi ». Laquelle ? la loi écrite. « Ils sont à eux-mêmes la loi ». Comment cela ? en suivant la loi naturelle. « Montrant ainsi l’œuvre de la loi » : De quelle loi ? de la loi par les couvres. La loi écrite est extérieure, la loi naturelle est intérieure ; mais la troisième est dans les actes. Ainsi l’une est exprimée par l’Écriture, l’autre par la nature, et la troisième par les œuvres. C’est cette dernière qui est nécessaire, puisque c’est pour elle qu’existent les deux autres, la loi écrite et la loi naturelle ; et sans elle, celles-ci sont inutiles et même très-nuisibles. Et c’est ce que l’apôtre indique en parlant de la loi naturelle : « En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même » ; puis de la loi écrite : « Toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes ? » De même il y a deux incirconcisions, l’une de la nature et l’autre des œuvres ; et deux circoncisions : l’une dans la chair et l’autre dans la volonté. Par exemple, quelqu’un est circoncis le huitième jour, voilà la circoncision de la chair ; quelqu’un accomplit toutes les prescriptions légales, voilà la circoncision, du cœur, celle que Paul demande surtout, aussi bien que la loi elle-même.

3. Voyez donc comme après l’avoir d’abord admise en parole, il la supprime en effet. Il ne dit point : la circoncision est superflue, inutile, stérile ; que dit-il donc ? « À la vérité la circoncision est utile si tu observes la loi ». Il l’avait admise, en disant : J’en conviens, je ne dis pas le contraire, la circoncision est bonne ; mais quand ? quand elle est jointe à l’observation de la loi. « Mais si tu la violes, ta circoncision devient incirconcision ». Il ne dit pas : Elle est inutile, pour ne pas avoir l’air de la déshonorer ; mais en en dépouillant le Juif, il l’attaque par le fait. L’injure alors ne s’adresse plus à la circoncision, mais à celui qui l’a perdue par sa lâcheté. Paul agit dans cette circonstance comme les juges qui privent d’abord de leurs honneurs et punissent ensuite les hommes constitués en dignités, lorsqu’ils sont convaincus de quelques grands méfaits. Car après avoir dit : « Si tu la violes », il ajoute : « La circoncision devient incirconcision » ; et après avoir déclaré le Juif incirconcis, il n’hésite plus à le condamner. « Si donc l’incirconcis garde les préceptes de la loi, son incirconcision ne devient-elle pas circoncision (26) ? »

Voyez ce qu’il fait : il ne dit point que l’incirconcision l’emporte sur la circoncision : ce langage eût vivement déplu à ses auditeurs, mais il dit que l’incirconcision devient circoncision. Ensuite il demande ce que c’est que la circoncision, ce que c’est que l’incirconcision ; il répond que la circoncision ce sont les bonnes œuvres, l’incirconcision, les mauvaises ; et comme il a d’abord fait passer à la circoncision l’incirconcis qui fait le bien, et à l’incirconcision le circoncis qui vit dans le mal ; il donne ainsi naturellement la victoire à l’incirconcis. Il ne dit cependant pas : à l’incirconcis, mais il exprimé la chose même, en disant : « Son incirconcision ne devient-elle pas circoncision ? » Il ne dit pas ; est imputée, mais « devient », ce qui est plus expressif ; de même que plus haut il n’a pas dit : La circoncision est imputée à incirconcision, mais « devient » incirconcision. « Et celui qui est naturellement circoncis condamnera ». Voyez-vous qu’il reconnaît deux incirconcisions, l’une de la nature et l’autre de la volonté ? Ici cependant il parle de celle de 1à nature, mais il ne s’en tient pas, là, car il ajoute : « Celui qui accomplit la loi te condamnera, toi qui, avec la lettre et la circoncision, es prévaricateur de la loi (27) ». Voyez la délicatesse de sa prudence. Il ne dit pas que l’incirconcision naturelle, jugera la circoncision, mais il l’amène sur le point même où elle est victorieuse. Puis quand il y a défaite ; ce n’est pas la circoncision elle-même qu’il déclare vaincue, mais le Juif circoncis, évitant les expressions qui pourraient blesser son auditeur. Et il ne dit pas : toi qui as la loi et la circoncision, mais en termes plus doux : « Toi qui, par la lettre et la circoncision, es prévaricateur de la lettre », c’est-à-dire cette incirconcision venge la circoncision, car celle-ci a été outragée ; elle vient au secours de, la loi, car la loi a été violée ; et il dresse ainsi un glorieux trophée. C’est en effet un – éclatant triomphe que de faire juger le Juif non par le Juif, mais par l’incirconcis, comme il a été dit : « Les Ninivites se lèveront et condamneront cette génération » (Mat 12,41). Il ne déshonore donc point la loi qu’il respecte beaucoup au contraire, mais le transgresseur de la loi.

Ensuite, après avoir démontré tout cela, il définit hardiment ce que c’est que le Juif : et fait voir que ce n’est point le Juif, mais celui quine l’est pas ; que ce n’est pas la circoncision, mais l’incirconcis, qu’il repousse. Il semble prendre en mains la cause de la circoncision, mais en jugeant d’après le fait, il la déprécie. non seulement il démontre qu’il n’y a pas de différence entre le Juif et l’incirconcis, mais que celui-ci l’emporte, s’il veille attentivement sur lui-même, et qu’il est le vrai Juif ; c’est pourquoi il ajoute : « Car le Juif n’est pas celui qui le paraît au-dehors, ni la circoncision celle qui se voit à l’extérieur sur la chair ». Ici il s’adresse à ceux qui font tout pour l’apparence. « Mais le Juif est celui qui l’est intérieurement, et la circoncision est celle du cœur, faite en esprit et non selon la lettre… (28, 29) ».

4. Par ces paroles il exclut tout ce qui est corporel. La circoncision, les sabbats, les sacrifices, les purifications étaient extérieurs toutes choses qu’il a en vue, quand il dit : « Car le Juif n’est pas celui qui le paraît au-dehors ». Mais comme la circoncision avait une grande importance, au point que le sabbat même lui cédait la place, c’est avec raison qu’il s’étend davantage sur elle. En disant « Celle du cœur », il ouvre la voie aux institutions de l’Église et prépare à la foi : car c’est celle qui est dans le cœur et dans l’esprit que Dieu approuve. Et pourquoi n’a-t-il pas démontré que le gentil qui fait le bien n’est pas au-dessous du Juif qui fait le bien, mais seulement que le gentil qui fait le bien l’emporte sur le Juif prévaricateur ? Pour rendre sa victoire incontestable. Car, ce point une fois admis, la circoncision de la chair est nécessairement mise de côté, et la nécessité des œuvres devient évidente. En effet si le Grec se sauve sans cela, et si le Juif se perd avec cela, c’en est fait du judaïsme. Or pour Paul le gentil n’est point l’idolâtre, mais l’homme pieux, vertueux, non assujetti aux observances légales. « Qu’est-ce, donc que le Juif a de plus ? » (3, 1)

Après qu’il a tout rejeté, la connaissance de la loi, l’enseignement, le nom de Juif, la circoncision, et tout le reste, en disant : « Le Juif n’est pas celui qui le paraît au-dehors, mais celui qui l’est intérieurement », il voit se dresser une objection et il se met en devoir de lui faire face. Quelle est-elle ? Si tout cela, dira-t-on, ne sert à rien, pourquoi la nation a-t-elle été appelée et la circoncision a-t-elle été donnée ? Que fait Paul, et comment la réfute-t-il ? Comme il a réfuté les autres. Car comme plus haut il ne fait point l’éloge des Juif, ne vante point leurs mérites, mais seulement les bienfaits de Dieu, puisque le nom de Juif, la connaissance de la volonté divine, l’appréciation des choses utiles, n’étaient point l’effet de leur volonté, mais un don de la grâce ce que le prophète leur reprochait déjà quand il disait : « il n’a point traité ainsi toutes les nations, et ne leur a point manifesté ses jugements » (Psa 147) ; et Moïse : « Demandez si rien de semblable s’est jamais passé, si une nation a jamais entendu, sans mourir, la voix du Dieu vivant sortir du milieu des flammes » (Deu 5,26) ; ce que Paul, dis-je, a déjà fait alors, il le fait encore ici. En effet, comme quand il parlait de la circoncision, il ne disait pas qu’elle était inutile sans les œuvres, mais qu’elle était utile, avec les œuvres, rendant ainsi la même idée en termes plus doux ; et encore comme après avoir dit : « Si tu violes la loi », il n’a pas ajouté ; ta circoncision ne te sert à rien, mais : « Ta circoncision devient une incirconcision » ; puis plus bas : « L’incirconcis ne jugera pas la circoncision, mais te jugera toi, prévaricateur de la loi » ; ménageant ainsi la loi, et accusant les hommes : de même fait-il encore ici.

Car s’étant posé à lui-même l’objection, en disant : « Qu’est-ce donc que le Juif a de plus ? » Il ne répond pas ; Rien, mais il effleure le sujet et détruit par la suite l’objection en démontrant que cette prééminence même a été pour eux une source de châtiments. Comment cela ? Je vais vous le dire, après avoir reproduit l’objection : « Qu’est-ce donc que le Juif a de plus, et à quoi sert la circoncision ? Beaucoup de toute manière. Premièrement, parce que c’est aux Juifs que les oracles de Dieu ont été confiés… (2) ». Le voyez-vous, comme je vous l’ai déjà dit, rappelant les bienfaits de Dieu sans faire aucune mention de leurs mérites. Qu’est-ce à dire : « Ont été confiés ? » Parce qu’on leur avait confié la loi, parce que Dieu les avait estimés au point de les rendre dépositaires de ses oracles. Je sais que quelques-uns appliquent ces mots : « Ont été confiés » aux oracles mêmes et non aux Juifs, ce qui voudrait dire la loi a été confiée : mais la suite ne permet pas cette interprétation. D’abord Paul parle ici par manière d’accusation, et montre aux Juifs qu’ils ont reçu de Dieu de grands bienfaits et se sont montrés extrêmement ingrats. D’ailleurs ce qui suit en donne la preuve, puisqu’il ajoute : « Car qu’importe si quelques-uns d’entre eux n’ont pas cru ? » S’ils n’ont pas cru, dira-t-on, comment les oracles leur ont-ils été confiés ? Que veut donc ; dire l’apôtre ? Que Dieu leur a confié sa parole, mais non qu’ils y ont cru : autrement quel sens aurait la suite ? Car il ajoute : « Qu’importe si quelques-uns d’entre eux n’ont pas cru ? » Ce qui vient après prouve encore le même sens : « Leur infidélité rendra-t-elle vaine la fidélité de Dieu ? Non, sans doute (3) ». Il affirme donc que ce qui leur a été confié est un don de Dieu. Voyez encore ici sa prudence. Il ne leur adresse toujours pas de reproche de lui-même, mais sous forme d’objection, comme s’il disait : Peut-être direz-vous : À quoi bon cette circoncision ? Car ils n’en ont point usé convenablement ; la loi leur a été confiée et ils n’y ont pas cru. Cependant l’accusateur n’est pas violent : c’est en paraissant chercher à justifier Dieu, qu’il fait tomber sur eux tout le reproche. Pourquoi, dit-il, objectez-vous qu’ils n’ont pas cru ? Qu’importe à Dieu ? L’ingratitude de ceux qui ont reçu ses bienfaits détruit-elle ces bienfaits ? Fait-elle que d’honneur ne soit pas un honneur ? Car c’est le sens de ces mots : « Leur infidélité rendra-t-elle vaine la fidélité de Dieu ? Non sans doute ». C’est comme si on disait : J’ai accordé un honneur à un tel ; s’il ne, l’a point accepté, on ne saurait m’en faire un reproche ; cela ne détruit point ma bienveillance, mais prouve son insensibilité. Et Paul ne se contente pas e cela, il dit beaucoup plus, à savoir que non seulement l’incrédulité des Juifs n’est point un motif de reproche envers Dieu, mais qu’elle fait mieux ressortir sa bonté et d’honneur qu’il leur a fait, puisqu’il a honoré un peuple qui devait le déshonorer.

5. Voyez-vous comme il transforme en sujets d’accusation les choses mêmes dont ils se glorifiaient. En effet Dieu les a tellement honorés, que la prévision même de l’avenir n’a point empêché sa bienveillance, et ils se sont servis pour l’outrager de l’honneur même qu’il leur accordait. D’après ces mots : « Qu’importe, si quelques-uns n’ont pas cru ? » Il paraît que tous – ont été incrédules. Pour ne pas emprunter le langage de l’histoire et paraître leur ennemi par la violence du reproche, il prend la forme du raisonnement et du syllogisme pour exprimer la réalité des faits, disant : « Dieu est vrai et tout homme est menteur (4) ». C’est-à-dire. Je ne nie pas que quelques-uns aient été incrédules ; mais supposez, si vous le voulez, que tous l’ont été ; faisant ainsi une concession en passant, pour ne pas paraître blessant ni suspect. Mais cela même, ajoute-t-il, justifie Dieu. Qu’est-ce à dire, justifie ? Si l’on établissait un jugement et une enquête sur les bienfaits que Dieu a accordés aux Juifs et sur le retour dont ils l’ont payé, la victoire serait à Dieu et il apparaîtrait juste en tout. Après avoir démontré cela par tout ce qu’il vient de dire, il invoque le témoignage du prophète qui dit : « Afin que vous soyez reconnu fidèle dans vos paroles et victorieux quand on vous juge ». (Psa 50) Il a fait pour eux tout ce qui était en lui et ils n’en sont pas devenus meilleurs. L’apôtre présente ensuite une autre objection qui naît du sujet : « Que si notre iniquité relève la justice de Dieu, que dirons-nous ? Dieu n’est-il pas injuste d’envoyer sa colère ? (Je parle humainement) Point du tout… (5,6) » : Il réfute l’absurde par l’absurde.

Mais comme ceci est obscur, il est nécessaire de l’éclaircir. Que dit-il donc ? Dieu a honoré les Juifs, et les Juifs l’ont déshonoré. Cela lui donne la victoire et fait voir combien il a été bon d’honorer un tel peuple. Mais, dira-t-on, si en l’outrageant et en le déshonorant, nous lui avons assuré la victoire et fait éclater sa justice. Pourquoi sommes-nous punis, nous qui lui avons prouvé le triomphe par nos propres injures ? Comment l’apôtre répond-il ? Je l’ai déjà dit : Par une autre absurdité : Si, dit-il, tu as été la cause de sa victoire et que tu sois néanmoins puni, c’est une injustice ; mais s’il n’est pas injuste et que tu sois puni, c’est que tu n’es pas la cause de sa victoire. Et voyez cette prudence apostolique ! Après avoir dit : « Dieu n’est-il pas injuste d’envoyer sa colère ? » Il ajoute : « Je parle, humainement », c’est-à-dire pour employer le raisonnement humain : car le juste jugement de Dieu surpasse de beaucoup ce qui nous paraît juste, et renferme d’autres motifs mystérieux. Et comme ce langage était obscur, il répète encore la même chose : « Car si par mon infidélité, la vérité de Dieu a éclaté davantage pour sa gloire, pourquoi suis-je encore jugé comme pécheur ? (7) ».

C’est-à-dire : Si par vos désobéissances vous avez fait ressortir la bienveillance, la justice et la bonté de Dieu, non seulement vous ne méritez pas d’être puni, mais vous avez droit à une récompense. Or s’il en est ainsi, voici l’absurdité qui en découlera, absurdité qui a cours chez un grand nombre : à savoir, que le bien naît du mal et que le mal est la source du bien, en sorte qu’il faudrait nécessairement de deux choses l’une : ou qu’en punissant, Dieu se montrât injuste, ou qu’en ne punissant pas, il triomphât par le fait de nos iniquités : deux conséquences souverainement absurdes. En le démontrant, Paul attribue aux Grecs l’invention de ces croyances, et pense que pour réfuter de telles assertions il suffit d’en nommer les auteurs. Car alors ils disaient pour se moquer de nous : Que nous faisons le mal pour que le bien en résulte. Ce que Paul établit clairement par ces paroles : « Et ne ferons-nous pas le mal pour qu’il en arrive du bien, conformément au blasphème qu’on nous impute, et à ce que quelques-uns nous font dire ? La condamnation de ceux-là est juste… (8) ». En effet, comme il avait dit : « Où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». (Rom 5,20), ils le tournaient en dérision et donnant à sa parole un autre sens, ils prétendaient qu’il faut s’attacher au mal pour en faire sortir le bien. Ce n’était point là ce que Paul entendait ; et pour corriger cette fausse interprétation, il dit : « Quoi donc ? Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde ? A Dieu ne plaise ! » (Rom 6,1-2) Car j’ai parlé des temps passés, dit-il, et non dans le but de faire admettre et pratiquer cette doctrine. Et pour écarter tout soupçon là-dessus, il déclare la chose impossible. « Car », dit-il, « comment nous qui sommes morts au péché, vivrions-nous encore dans le péché ? »

6. Il attaque donc volontiers les Grecs, parce que leur vie était horriblement corrompue ; quant aux Juifs, si leur conduite semblait négligée, ils avaient de puissantes garanties, la loi, la circoncision, leur commerce familier avec Dieu, le titre de docteurs universels. Aussi Paul les dépouille-t-il de ces privilèges, leur démontre-t-il qu’ils n’en seront que plus punis pour les avoir possédés, et c’est par là qu’il conclut ici son discours. En effet, s’ils ne sont pas punis pour avoir fait ce qu’ils ont fait, il faut nécessairement admettre cette parole blasphématoire : « Faisons le mal pour qu’il en arrive du bien ». Or, si c’est là une impiété, si ceux qui la profèrent seront punis (et c’est ce qu’il a établi en disant : « La condamnation de ceux – là est juste »), il est évident qu’ils seront punis. Mais si ceux qui tiennent ce langage méritent un châtiment, à bien plus forte raison ceux qui le mettent en pratique ; et s’ils méritent un châtiment, c’est qu’ils ont péché. Car ce n’est pas un homme qui punit, un homme dont le jugement pourrait être suspect ; mais Dieu qui agit toujours avec justice. Or, s’ils sont justement punis, c’est que les reproches qu’ils nous adressaient en plaisantant étaient injustes ; car Dieu a tout fait et fait encore tout pour rendre éclatantes et droites nos institutions. Ne nous relâchons donc pas ; et par là nous pourrons arracher les Grecs à leur erreur.

Mais si nous sommes sages en paroles et déréglés dans notre conduite, de quel œil les verrons-nous ? Quel langage leur tiendrons-nous sur les dogmes ? Ils diront à chacun de nous : Toi qui ne fais pas le moindre bien, comment oses-tu prêcher la perfection ? Toi qui ne sais pas encore que l’avarice est un mal, que viens-tu raisonner sur les choses célestes ? Mais tu sais que c’est un mal ? Tu n’en es que plus coupable alors, puisque tu ne pèches pas par ignorance. Mais pourquoi parler des Gentils ? Nos propres lois nous ôtent le droit d’élever la voix, quand notre conduite est déréglée. « Car », il est écrit : « Dieu a dit au pécheur : Pourquoi parles-tu de ma loi ? » (Psa 49) Les Juifs avaient été emmenés en captivité, et quand les Perses les suppliaient et les pressaient de chanter leurs divins cantiques, ils répondaient : « Comment chanterons-nous les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère ? » (Psa 136) Que s’il n’était pas convenable de chanter les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère, combien cela est-il moins permis à une âme étrangère ? Or, telle est l’âme sans pitié. Car si la loi commandait le silence à des captifs, devenus esclaves des hommes sur une terre étrangère ; à combien plus forte raison doivent se taire les esclaves du péché, assujettis à une autre règle de vie ? Pourtant ces Juifs avaient leurs instruments : « Nous avons », disaient-ils, « suspendu nos instruments aux branches des saules (16) », et il ne leur était point permis de s’en servir. Donc, bien que nous ayons une bouche et une langue, qui sont les instruments de la parole, nous ne devons point nous en servir, tant que nous sommes esclaves du péché, le plus impérieux des maîtres étrangers.

Eneffet, dites-moi un peu, vous qui êtes voleur et avare, que pouvez-vous dire au Grec ? Renonce à l’idolâtrie ? Apprends à connaître Dieu ? Ne cherche point l’or et l’argent ? Mais ne se mettra-t-il pas à rire et à vous dire Commence par t’appliquer ce langage ? Car qu’un gentil ou un chrétien soit idolâtre, ce n’est pas la même chose. Comment pourrons-nous détourner un païen de cette idolâtrie, quand nous y sommes livrés nous-mêmes ? Nous sommes plus près de nous que le prochain. Comment persuaderons-nous les autres, si nous ne nous persuadons pas nous-mêmes ? Si celui qui ne sait pas gouverner sa maison, ne sera point chargé de gouverner l’Église, celui qui ne sait pas régler son âme, pourra-t-il corriger celle des autres ? Ne me dites pas que vous ne vous prosternez point devant une statue d’or ; mais prouvez-moi que vous ne faites pas ce que l’or vous commande. Car il y a bien des espèces d’idolâtrie : l’un sert Mammon comme son maître, l’autre son ventre, un troisième quelque passion plus coupable encore. Mais vous ne leur immolez point de bœufs à la manière des gentils ? Vous faites bien pire : vous leur sacrifiez votre âme. Mais vous ne fléchissez pas le genou, vous n’adorez pas ? Sans doute, mais vous faites avec bien plus de docilité tout ce que vous commandent votre. ventre, l’or ou toute autre passion tyrannique ; et c’est en cela même que les Grecs sont abominables, parce qu’ils ont divinisé les passions : l’amour sous le nom de Vénus, la colère sous celui de Mars, l’ivrognerie sous celui de Bacchus.

Si vous ne leur taillez point de statues comme eux, vous ne vous inclinez pas avec moins d’ardeur devant ces mêmes passions, faisant ainsi, des membres du Christ, des membres de prostituée et vous plongeant encore dans d’autres iniquités. C’est pourquoi je vous exhorte, à comprendre l’excès de cette démence et à fuir l’idolâtrie, puisque c’est le nom que Paul donne à l’avarice (Col 3,5). Et ce n’est pas seulement la cupidité qui s’attache à l’orgueil qu’il faut fuir, mais aussi celle qui a pour objet le désir impur, les vêtements, la table, ou toute autre chose. Car nous serons bien plus sévèrement punis, si nous n’obéissons pas aux lois du Christ. En effet, il est écrit : « Le serviteur qui a connu la volonté de son maître, et ne l’a pas exécutée, recevra un grand nombre de coups ». (Luc 12,47) Afin donc d’éviter ce châtiment et d’être utiles à nous-mêmes et aux autres, chassons de notre âme tous les vices et embrassons la vertu. Par là nous obtiendrons les biens futurs. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui la gloire, l’honneur, la force appartiennent an Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII.

QUOI DONC ? SOMMES-NOUS AU-DESSUS D’EUX ? NULLEMENT. CAR NOUS AVONS CONVAINCU LES JUIFS ET LES GRECS D’ÊTRE TOUS SOUS LE PÉCHÉ SELON QU’IL EST ÉCRIT : PAS UN SEUL N’EST JUSTE ; IL N’Y A PERSONNE QUI COMPRENNE, IL N’Y A PERSONNE QUI CHERCHE DIEU. TOUS ONT DÉCLINÉ, TOUS SONT DEVENUS INUTILES ; IL N’EN EST PAS UN QUI FASSE LE BIEN, IL N’EN EST PAS MÊME UN SEUL. LEUR BOUCHE EST UN SÉPULCRE OUVERT, LEUR LANGUE UN INSTRUMENT DE FRAUDE ; UN VENIN D’ASPIC EST SOUS LEURS LÈVRES ; LEUR BOUCHE EST REMPLIE DE MALÉDICTION ET D’AMERTUME ; LEURS PIEDS SONT VITES POUR RÉPANDRE LE SANG ; LA DESTRUCTION ET LE MALHEUR SONT DANS LEURS VOIES, ET LA VOIE DE LA PAIX, ILS NE L’ONT PAS CONNUE ; LA CRAINTE DE DIEU N’EST PAS DEVANT LEURS YEUX (III, 9-18, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse.

  • 1. Tous les hommes ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu.
  • 2. La justice de Dieu s’est manifestée sans la loi et par la foi dans tous ceux qui ont cru.
  • 3. Ne rejetons pas cette justice, nous y trouverons deux avantages : le premier, qu’un si grand bien nous coûte fort peu, puisque nous n’avons qu’à croire ; le second, que c’est un bien que Dieu nous offre à tous dans sa munificence. – Les Juifs ne peuvent plus se glorifier d’aucun avantage sur les autres nations.
  • 4. L’homme est justifié sans les œuvres de la loi mosaïque, il est raisonnable qu’il en soit ainsi, car Dieu n’est pas seulement le Dieu des Juifs, mais le Dieu de tous les hommes. – La foi néanmoins ne détruit pas la loi, au contraire, elle la complète. – La loi a préparé la voie à la foi, et la foi a rempli le but de la loi.
  • 5-8. Mais puisque nous savons qu’outre la foi qui nous justifie, nous avons encore besoin d’une bonne vie, rendons-nous dignes d’un don si précieux en conservant entre nous une charité naturelle. – Éviter l’envie, fléau de l’Église. – Faire l’aumône.

1. Il a accusé les Gentils, il a accusé les Juifs ; il était naturel qu’il parlât ensuite de la justice par la foi. En effet, si la loi dé nature n’a servi à rien, si la loi écrite n’a, pas servi davantage, si toutes les deux ont tourné au détriment de ceux qui n’ont point su en user et sont devenues pour eux la cause de plus grands châtiments : le salut par la grâce était donc nécessaire. Parlez-en donc, Paul, et faites-le nous voir. Mais il n’ose pas encore, se défiant de la violence des Juifs ; il en revient alors à les accuser, et en premier lieu introduit pour accusateur David, qui expose longuement ce qu’Isaïe, a exprimé en peu, de mots. Par là il leur met un frein puissant qui les empêchera de regimber ; en sorte que, déjà contenus vigoureusement par les accusations des prophètes, pas un de ses auditeurs ne puisse se soustraire à ce qu’il va dire sur la foi. Le prophète pose d’abord trois points extrêmement graves : tous ont fait le mal ; ils l’ont fait d’une manière absolue, sans mélange de bien, ils l’ont fait de toute l’étendue de leur pouvoir. Et pour qu’ils ne disent pas : Que nous importe, si cela s’adresse à d’autres ? Il ajoute : « Or, nous savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi… (19) ». C’est pourquoi après Isaïe, qui, de l’avis de tous, s’adressait à eux, il introduit David pour leur montrer que l’un se rattache à l’autre. Quelle nécessité, leur dit-il, à ce que le prophète en accusât d’autres que vous, lui qui avait été envoyé pour vous corriger ? Car la loi n’avait été donnée qu’à vous. Mais pourquoi Paul ne dit-il pas : Nous savons que tout ce que le prophète dit ; mais : « Que tout ce que la loi dit ? » Parce qu’il a l’usage de donner à tout l’Ancien Testament le nom de loi. En effet il dit ailleurs : « N’entendez-vous pas la loi ? Abraham eut deux fils ». (Gal 4,21-22) De même ici il appelle les Psaumes la loi, en disant : « Nous savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi ».

Ensuite il montre que cela n’a pas été dit simplement en manière de reproche, mais afin que la loi préparât les voies à la foi. Tel est l’accord entre l’Ancien et le Nouveau Testament que les « reproches et les louanges avaient certainement pour but d’ouvrir aux auditeurs, d’une manière éclatante, la porte de la foi. En effet, comme la principale cause de la perte des Juifs a été la haute idée qu’ils avaient d’eux-mêmes (ce que l’apôtre leur reproche plus bas en ces termes : « Ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu) ». (Rom 10,3) La loi et les prophètes combattaient d’avance leur présomption, comprimaient leur orgueil, afin que, réfléchissant sur leurs fautes, dépouillant toute arrogance, et se voyant exposés aux derniers périls, ils courussent avec grand empressement à celui qui leur offrait la rémission de leurs péchés et accueillissent la grâce par la foi. C’est à quoi Paul fait allusion ici, quand il dit : « Nous savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi, en sorte que toute bouche soit fermée et que tout le monde soit jugé digne des vengeances de Dieu ».

Ici il fait voir qu’ils n’ont point cette solide gloire que procurent les bonnes œuvres, et qu’ils sont seulement fiers et insolents en paroles. Aussi emploie-t-il ce mot propre : « En sorte que toute bouche soit fermée ». Signalant par là leur imprudente et intolérable jactance, et indiquant en même temps que leur langue est enfin refrénée ; car elle avait la violence d’un torrent, mais le prophète lui a mis le frein. Et par ces mots : « En sorte que toute bouche soit fermée », il ne veut pas dire qu’ils ont péché exprès pour qu’on leur fermât la bouche ; mais il veut seulement les convaincre de péché, afin qu’ils n’ignorent pas qu’ils sont pécheurs. « Et que tout le monde soit jugé digne des vengeances de Dieu ». Il ne dit pas, tout Juif, mais toute la nature ». D’un côté, ces expressions : « En sorte que toute bouche soit fermée », est une allusion aux Juifs, mais une allusion voilée, pour ne pas paraître trop rude ; de l’autre, celles-ci : « Et que tout le monde soit jugé digne des vengeances de Dieu », s’adressant tout à la fois aux Juifs et aux Gentils. Et ce n’est pas là un faible moyen de rabattre leur orgueil, que de leur montrer que sur ce point ils n’ont rien de plus que les gentils, et qu’ils sont livrés à la même perdition à l’égard du salut, car on appelle proprement υποδιχος; celui qui étant accusé ne peut se défendre lui-même, mais a besoin des secours d’autrui, comme nous étions nous-mêmes après avoir perdu tous les moyens de salut : « Car par la loi on « a la connaissance du péché ». De nouveau il revient à la loi, mais avec ménagement ; car ce n’est point elle qu’il accuse, mais la lâcheté des Juifs ; et comme il va parler de 1a foi, il tient à prouver ici que la loi était très-affaiblie. Si vous vous glorifiez de la loi, leur dit-il, elle vous couvre de honte : car elle accuse vos péchés. Cependant, il ne parle pas si rudement, mais avec plus d’indulgence : « Car par la loi on a la connaissance du péché (20) ». Donc, le châtiment en sera plus grand, mais pour les Juifs. La loi a eu pour effet de vous faire connaître le péché ; c’était à vous à l’éviter ; pour ne l’avoir pas fait, vous vous êtes attiré une punition plus sévère, en sorte que le secours même que vous offrait la loi est devenu pour vous l’origine d’un châtiment plus dur.

2. Après avoir ainsi augmenté leurs craintes il revient à parler de la grâce, pour leur inspirer un vif désir de la rémission de leurs péchés, et il dit : « Tandis que maintenant, dans la loi, la justice de Dieu a été manifestée (21) ». Il énonce là une grande chose et qui a bien besoin d’être prouvée. Si en effet ceux qui vivaient sous la loi non seulement n’ont point échappé au châtiment, mais se le sont attiré plus sévère, comment pourra-t-on, en dehors de la loi, non seulement éviter la punition, mais même être justifié ? Voilà les deux points principaux qu’il établit : être justifié et obtenir tous ces biens sans la loi. Aussi ne dit-il pas simplement la justice, mais « La justice de Dieu », relevant, par la dignité du personnage, la grandeur du don et la certitude de l’accomplissement de la promesse, puisque tout est possible à Dieu. Il ne dit point non plus : a été donnée mais : « A été manifestée », pour échapper au reproche d’innovation ; car la manifestation est comme la révélation d’une chose ancienne et cachée. Et non seulement ici, mais plus bas encore, il montrera que ce n’est point là une nouveauté. En effet, après ce mot : « A été manifestée », il ajoute : « Étant confirmée par le témoignage de la loi et des prophètes ».

Ne vous troublez pas, leur dit-il, parce qu’elle est donnée maintenant, comme si c’était une chose nouvelle et inouïe ; car elle a déjà été prédite autrefois par la loi et par les prophètes. Il s’est déjà servi de cette preuve pour d’autres sujets ; il s’en servira encore. Plus haut il a produit ce texte d’Habacuc : « Le juste vit de foi ». (Rom 1,17) Puis il a parlé d’Abraham et de David, à propos d’autres questions. Ces personnages jouissaient d’une grande autorité chez les Juifs ; car l’un était patriarche et prophète, et l’autre roi et prophète, et c’était à eux qu’avaient été faites les promesses relatives à ce sujet. Aussi Matthieu, au début de son Évangile, les mentionne-t-il d’abord tous les deux, et donne ensuite les générations par ordre. En effet, après avoir dit : « Livre de la généalogie de Jésus-Christ », il ne fait point suivre le nom d’Abraham, de ceux d’Isaac et de Jacob ; mais il nomme David avec Abraham, et même, chose étonnante ! avant Abraham, puisqu’il dit : « Fils de David, fils d’Abraham » ; après quoi il énumère Isaac, Jacob et tous leurs descendants. C’est aussi pour cela que l’apôtre les cite souvent et dit ici : « La justice de Dieu étant confirmée par le témoignage de la loi et des prophètes ». Et pour qu’on ne dise pas : Comment serons-nous sauvés, nous qui ne contribuons en rien à ce dont il s’agit ? il montre que ce que nous y apportons n’est pas peu de chose, à savoir la foi. Aussi après avoir dit : « La justice de Dieu », il ajoute : « Par la foi, pour tous ceux et sur tous ceux qui croient… (22) ».

Ici encore le Juif se trouble, en voyant qu’il n’a rien de plus que les autres et qu’il est compris dans le dénombrement de toute la terre. Pour y obvier, l’apôtre le comprime par la crainte, en ajoutant : « Car il n’y a point de distinction, parce que tous ont péché (23) ». Ne me dites pas qu’un tel est Grec, qu’un tel est Scythe, qu’un tel est Thrace ; car tous sont de même condition. Si vous avec reçu la loi, vous n’y avez appris qu’une chose : à connaître le péché, et non à le fuir. Ensuite, pour qu’on n’objecte point : Si nous avons péché, ce n’est pas comme eux, il continue : « Et sont privés de la gloire de Dieu ». Ainsi, bien que tu n’aies point commis les mêmes péchés que les autres, tu es également privé de la gloire : car tu es de ceux qui ont péché ; or celui qui a péché ne compte point parmi les glorifiés, mais parmi ceux qui sont couverts de confusion. Pourtant ne crains pas : Si je dis cela, ce n’est pas pour te jeter dans le désespoir, mais pour te faire comprendre la bonté du Maître. Aussi ajoute-t-il : « Étant justifiés gratuitement par la grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus, que Dieu a établi propitiation par la foi en son sang pour montrer sa justice (24, 25) ». Voyez que de preuves à l’appui de sa proposition ! D’abord la dignité de la personne ; ce n’est point l’œuvre d’un homme qui serait sujet à défaillir, mais celle de Dieu qui peut tout : « C’est la justice de Dieu », dit-il. En second lieu la loi et les prophètes. Ne t’effraies donc point de ce mot : « Sans la loi », car la loi y consent. En troisième lieu, les sacrifices de l’Ancien Testament ; ce qui lui fait dire : « En son sang », leur rappelant par là les brebis et les veaux qu’on immolait. Si le sang des animaux, leur dit-il, purifiait du péché, à bien plus forte raison celui-ci. Il ne dit pas simplement délivrance, mais « Rédemption », afin que nous ne retournions jamais à l’ancienne servitude ; et pour cela il l’appelle « Propitiation », afin de montrer que si la figure avait déjà tant de puissance, la réalité en aura bien davantage. Et pour prouver encore qu’il n’y a là rien de nouveau, rien de récent, il dit : « A établi ». Après avoir par ces expressions : « Dieu a établi », indiqué que c’est l’œuvre du Père, il montre quelle est aussi celle du Fils ; le Père a proposé, mais le Christ a tout opéré dans son sang « Pour montrer sa justice ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Montrer sa justice ? » Comme la richesse se prouve non seulement par ce qu’on est riche soi-même, mais parce qu’on enrichit les autres ; comme la vie se manifeste non seulement en ce que l’on vit soi-même, mais en ressuscitant les morts ; de, même la puissance se démontre non seulement parce que l’on peut soi-même, mais parce que l’on rend la force aux faibles. Ainsi la justice se fait voir non seulement en ce que l’on est juste soi-même, mais en ce que l’on rend justes immédiatement des hommes consommés dans l’iniquité. Du reste, Paul interprète lui-même le mot « montrer », quand il ajoute : « Afin qu’il soit juste lui-même et qu’il justifie celui qui a la foi en Jésus (26) ».

3. Soyez sans défiance ; c’est de la foi non des œuvres que procède la justice. Ne fuyez point la justice de Dieu ; elle a un double avantage : elle coûte peu et elle est offerte à à tout le monde. Ne soyez point honteux, ne rougissez pas : car si Dieu montre ici son action, si, pour ainsi dire, il s’en félicite et s’en vante, pourquoi seriez-vous honteux, pourquoi rougiriez-vous de ce, dont Dieu se glorifie ? Après avoir donc relevé son auditeur en lui disant que ce qui s’est fait est la manifestation de la justice de Dieu, il presse d’autre part le lâche, le timide, d’approcher, en disant : « Par la rémission ou l’anéantissement des péchés précédents ». Voyez-vous comme il leur rappelle souvent leurs fautes ? Plus haut, il a dit : « Car par la loi, on a la connaissance du péché », puis : « Tous ont péché » ; et ici son langage est plus énergique.: En effet il ne dit pas : par les, péchés, mais : « Par l’anéantissement », c’est-à-dire par la mortification, la destruction. Car il n’y avait plus d’espoir de guérison ; comme un corps paralysé, l’âme morte avait besoin d’une main supérieure. Et ce qui est plus grave, et qu’il donne comme une circonstance aggravante, c’est que la rémission a eu lieu dans la tolérance de Dieu. Vous ne pouvez pas, leur dit-il, nier que vous ayez rencontré une grande patience et une grande bonté. Ces mots : « En ce temps », indiquent précisément cette patience et cette bonté. C’est, leur dit-il, quand nous étions désespérés, quand le moment de la sentence était venu, quand le mal était augmenté et que la mesure des péchés était comble, c’est alors que Dieu a fait éclater sa puissance pour nous apprendre à quel point la justice surabonde en lui. Si la chose eût eu lieu au commencement, elle eût paru moins étonnante, moins prodigieuse que maintenant, où tous les remèdes ont été démontrés impuissants.

« Où est donc le sujet de la gloire ? Il est exclu », dit-il. « Par quelle loi ? Des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi (27} ». Paul fait de grands efforts pour montrer que la foi a une vertu que la loi n’eût pu même imaginer. Après avoir dit que Dieu justifie l’homme par la foi, il prend encore la loi à partie. Il ne dit pas : Où sont les bonnes actions des Juifs ? Où Sont leurs œuvres de justice ? mais : « Où est donc le sujet de gloire ? » Leur démontrant de toute manière qu’ils ne font que se vanter comme s’ils avaient plus que les autres, mais qu’ils ne produisent aucune œuvre. Et après avoir dit : « Où est donc le sujet de la gloire ? » il ne répond pas : il a disparu, il est ; détruit, mais : « Il est exclu », ce qui marque surtout l’inopportunité ; une chose qui a fait son temps. Car de même que quand l’heure du jugement arrive, il n’est plus temps de se repentir, ainsi, l’arrêt une fois prononcé, tout étant sur le point de périr, et celui qui devait guérir tous les maux par la grâce étant arrivé, ils ne pouvaient plus prétexter qu’ils se corrigeraient par le moyen de la loi. S’ils l’avaient pu, ils auraient dû le faire avant la venue du Christ ; mais celui qui sauve par la loi étant arrivé, le temps des combats était passé ; et comme tout était convaincu d’impuissance, il procure le salut par la grâce. Il est venu maintenant pour qu’on ne dise pas comme, on l’aurait dit s’if était venu dès le commencement, qu’on aurait pu se sauver au moyen de la loi par ses propres efforts et ses propres mérites. Pour ôter ce prétexte à ces bouches impudentes, il a tardé longtemps, de manière à sauver par sa grâce, quand il a été démontré clairement et de toutes les manières que les hommes ne pouvaient se suffire à eux-mêmes. Aussi après avoir dit plus haut : « Pour montrer sa justice. », il a ajouté : « En ce temps », s’il en est qui disent le contraire, ils ressemblent à un grand criminel qui, n’ayant pu se justifier devant le tribunal, aurait été condamné et sur le point de subir son supplice, et qui après avoir été gracié par la bonté du roi, devenu libre, se vanterait impudemment de n’être pas coupable. Il fallait démontrer son innocence, avant d’être gracié ; plus tard, il n’est plus temps de se glorifier. C’est le cas des Juifs. Comme ils s’étaient perdus eux-mêmes, le Christ est venu pour réprimer leur insolence. Celui, qui se dit : « Le maître des enfants », qui se glorifie dans sa loi, qui s’appelle « Le docteur des ignorants » et qui a aussi besoin qu’eux de maître et de Sauveur, celui-là n’a pas de raison de se glorifier. Car si déjà auparavant la circoncision était devenue incirconcision, à plus forte raison maintenant : les deux époques la rejettent. Après avoir dit : « Est exclu », il dit comment. Et comment ? « Par quelle loi ? Des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi ».

4. Voilà qu’il appelle la foi une loi, adoptant volontiers ces dénominations, pour écarter toute apparence de nouveauté. Or, quelle est la loi de la foi ? Le salut par la grâce Ici il fait voir la puissance de Dieu, qui non seulement a sauvé, mais justifié, mais procuré des motifs de gloire, et cela sans les œuvres et en ne demandant que la foi. L’apôtre parle ainsi pour inspirer la modestie au Juif croyant, et contenir, et attirer celui qui ne croit pas. En effet celui qui est sauvé, s’il est tenté de se glorifier de la loi, apprendra qu’elle lui ferme la bouche, qu’elle l’accuse, qu’elle était un obstacle à son salut, qu’elle lui ôtait out sujet dé gloire ; et celui qui ne croit pas, devenu humble par les mêmes motifs, pourra arriver à la foi. Voyez-vous comme la foi est puissante ? comme elle détache du passé, en ne souffrant pas qu’on s’en glorifie ?

« Nous reconnaissons donc que l’homme est a justifié par la foi, sans les œuvres de la loi (18) ». Après avoir montré que ceux qui croient s’ont supérieurs aux Juifs, il parle de la foi avec une grande liberté et calme le trouble qui semblait en résulter. En effet deux choses troublaient ici les Juifs : l’une que ceux qui n’avaient pu, être sauvés par les œuvres, le fussent sans les œuvres ; l’autre que les incirconcis jouissent à juste titre des mêmes avantages que ceux qui avaient si longtemps vécu sous la loi : et ce dernier point les révoltait bien plus que l’autre. C’est pourquoi Paul, après avoir prouvé le premier, passe au second, qui troublait tellement les Juifs que, même après avoir reçu la foi, ils en firent une matière de reproche à Pierre, à l’occasion de Corneille et de ce qui le concernait lui-même. Que dit-il donc ? « Nous reconnaissons que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi ». Il ne dit pas le Juif, l’homme qui était sous la loi, mais « L’homme », en terme générique, étendant ainsi son langage, et ouvrant au monde entier les portes du salut.

Puis, à ce propos, il résout une objection qui n’avait pas encore été posée Car comme il était vraisemblable que les Juifs, entendant dire que tout homme est justifié par la foi, en seraient blessés et scandalisés, il ajoute : « Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement ? » Comme s’il disait : Pourquoi trouves-tu absurde que tout homme soit sauvé ? Dieu est-il partial ? Par là il leur fait sentir qu’en voulant faire tort aux gentils, c’est la gloire de Dieu même qu’ils attaquent, puisqu’ils ne veulent pas qu’il soit le Dieu de tous. Or s’il est le Dieu de tous, il pourvoit à tous ; et s’il pourvoit à tous, il les sauve tous également par la foi. C’est ce qui lui fait dire : « Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement ? Ne l’est-il pas aussi des Gentils ? Oui, certes, des Gentils aussi (29) », Car il n’est pas Dieu en partie, comme les divinités fabuleuses des Grecs, mais le Dieu universel et unique. C’est pourquoi, Paul ajoute : « Puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu » : c’est-à-dire un seul Maître des uns et des autres. Que si vous me parlez de l’ancien ordre des choses, je vous dirai que, même alors, la Providence était pour tout le monde, quoique d’une autre manière : en effet la loi écrite vous avait été donnée, à eux la loi naturelle ; et ils n’étaient pas moins bien partagés que vous. Ils pouvaient même l’emporter, s’ils l’eussent voulu. C’est à quoi il fait allusion quand il ajoute « Qui justifiera les circoncis par la foi et les incirconcis parla foi (30) », leur rappelant ainsi ce qu’il leur a dit plus haut sur la circoncision et sur l’incirconcision, quand il leur a prouvé qu’entre ces deux choses il n’y avait point de différence. Or s’il n’y avait point de différence alors, à plus forte raison maintenant ; et pour le prouver plus clairement, il fait voir, que l’un et l’autre ont besoin de la foi. « Nous détruisons donc la loi par la foi ? Loin de là : au contraire, nous établissons la loi ». Voyez-vous cette prudence habile et vraiment admirable ? Par le fait même de cette expression : « Nous établissons », il indique que la loi n’existe plus, qu’elle est détruite.

Voyez aussi quel puissant génie que celui de Paul, et avec quelle facilité il prouve ce qu’il veut ! Il démontre ici non seulement que la foi ne ruine pas la loi, mais qu’elle lui vient en aide au contraire, de même que la loi a préparé les voies à la foi. Car comme la loi rendait d’avance témoignage à la foi (il a dit plus haut : « Étant confirmée par le témoignage de la loi et des prophètes) » : ainsi la foi a raffermi la loi chancelante. Et comment, direz-vous, l’a-t-elle raffermie ? Quel était le but de la loi, et à quoi tendaient toutes ses prescriptions ? A rendre l’homme juste. Or, elle ne l’a pas pu : « Car », dit l’apôtre, « Tous ont péché ». Or la foi est venue et l’a pu ; puisqu’en croyant on devient juste. Donc elle a réalisé l’intention de la loi et atteint le but que celle-ci se proposait en tout. Elle ne l’a donc pas abrogée, mais complétée. Paul démontre ici trois choses : qu’on peut être justifié sans la loi, que la loi n’a pas pu justifier et que la foi n’est point en opposition avec la loi. Comme ce qui troublait le plus les Juifs était que la foi parût contraire à la loi, il prouve plus que le Juif ne demande, à savoir que la foi, loin de contrarier la loi, est son auxiliaire et sa coopératrice ; ce que le Juif désirait surtout entendre.

5. Mais puisque après cette grâce par laquelle nous avons été justifiés, il est nécessaire de bien vivre, montrons un zèle digne d’un si grand don, et nous le montrerons si nous cultivons avec soin la charité, source de tous les biens. Or ; la charité ne consiste pas simplement en paroles ni en salutations, mais en assistance et en œuvres. Comme soulager la pauvreté, secourir les malades, délivrer du danger, tendre la main à ceux qui sont dans l’embarras, pleurer avec ceux qui pleurent, se réjouir avec ceux qui se réjouissent : car ceci est encore l’effet de la charité ; bien qu’il semble que ce soit peu de chose de se réjouir avec ceux qui se réjouissent, c’est cependant quelque chose de grand et qui demande de la philosophie. Vous trouverez bien des gens capables de supporter des épreuves amères, et qui ici se montreront faibles ; beaucoup pleureront avec ceux qui pleurent, et ne sauront pas se réjouir avec ceux qui se réjouissent, s’attristeront même de la joie des autres : ce qui est proprement l’effet de la jalousie et de l’envie. Ce n’est donc pas un petit mérite de se réjouir avec un frère qui se réjouit ; il est même plus grand que l’autre. Plus grand non seulement que celui de pleurer avec ceux qui pleurent, mais même que de tendre la main à celui qui est dans le péril.

Beaucoup en effet partageront le danger avec ceux qui y sont, qui souffriront de la prospérité d’autrui : tant l’envie est tyrannique ! Pourtant l’un exige de la peine et de la fatigue, tandis que l’autre est un simple effet de la volonté et du bon désir. Mais beaucoup supportent ce qui est plus pénible et faiblissent devant ce qui est plus facile, sèchent même de dépit et se consument lorsqu’ils en voient d’autres s’attirer la considération publique et servir l’Église par la prédication ou autrement. Y a-t-il quelque chose de pire ? Ici ce n’est pas seulement à un frère, mais à la volonté de Dieu qu’on s’en prend. Songez-y bien et guérissez-vous de cette maladie, sinon par égard pour le prochain, au moins pour vous délivrer de maux sans nombre. Pourquoi introduire la guerre dans votre esprit ? Pourquoi remplir votre âme de trouble ? Pourquoi soulever des tempêtes ? Pourquoi tout bouleverser de fond en comble ? Comment, avec de telles dispositions, obtenir le pardon de vos péchés ? Car si Dieu ne remet point les péchés à ceux qui ne pardonnent pas les offenses qu’on leur a faites, comment vous les remettra-t-il à vous qui cherchez à nuire à ceux qui ne vous ont point fait de mal ? En effet, c’est là le comble de la méchanceté : de tels hommes combattent contre l’Église avec le démon. Peut-être font-ils bien pis encore : car il est possible de se garantir du démon, tandis qu’eux, prenant le masque de l’amitié, mettent en secret le feu au bûcher, se jettent les premiers dans la fournaise et sont atteints d’une maladie qui non seulement ne saurait être prise en pitié, mais ne peut exciter que le mépris.

Car pourquoi, je vous prie, êtes-vous pâle, tremblant, saisi de crainte ? quel malheur vous est donc arrivé ? Votre frère est devenu illustre, éclatant, glorieux ? Il fallait mettre une couronne, vous réjouir, et rendre grâces à Dieu de ce qu’un membre de la famille avait acquis tant de lustre et de célébrité ; et vous vous affligez de ce que Dieu est glorifié ! Voyez-vous où tend cette guerre ? Mais, dites-vous, ce n’est pas de la gloire de Dieu, mais de celle d’un frère que je m’afflige. Mais, par ce frère, la gloire remonte à Dieu ; c’est donc à Dieu que vous déclarez la guerre. Ce n’est point 1à, dites-vous encore, ce qui me fait de la peine seulement c’est par moi que je voudrais voir Dieu glorifié. Alors réjouissez-vous du bonheur de votre frère, et Dieu sera glorifié par vous, et tous diront : Béni soit le Maître qui a de tels serviteurs, exempts de tout sentiment d’envie et jouissant mutuellement de leur bonheur. Et que parlé-je d’un frère ? Quand même celui par qui Dieu se glorifie serait votre ennemi, vous devriez, à cause de cela même, vous en faire un ami : et, au contraire, d’un ami vous vous faites un ennemi, parce que Dieu tire sa gloire de ses bonnes actions. Si quelqu’un guérissait votre corps d’une maladie, cet homme fût-il votre ennemi, prendrait dès lors le premier rang parmi vos amis ; et si quelqu’un embellit le corps du Christ, c’est-à-dire l’Église, d’ami qu’il était vous vous en faites un ennemi ? Et de quelle autre manière pourriez-vous déclarer la guerre, au Christ ? C’est pourquoi, tout homme entaché de ce vice, fît-il d’ailleurs des miracles, fût-il vierge, jeûnât-il, couchât-il sur la dure, et par là égalât-il la vertu des anges, est le plus scélérat des hommes, est plus criminel que l’adultère, que le fornicateur, que le voleur, que le violateur des tombeaux.

6. Et pour que personne ne m’accuse d’exagération, je vous poserai volontiers une question. Si quelqu’un prenant une torche et un hoyau, venait brûler ce temple et miner cet autel ; chacun de ceux qui sont ici ne le lapiderait-il pas comme sacrilège et criminel ? Quel pardon méritera donc celui qui porte une flamme bien plus dévorante, l’envie veux-je dire, une flamme qui ne consume pas un édifice de pierre, un autel d’or, mais qui renverse et détruit quelque chose de bien plus précieux que des murailles et qu’un autel, l’édification, fruit de l’enseignement des maîtres ? Et qu’on ne me dise pas que les efforts de l’envieux sont souvent sans résultat. On doit juger d’après l’intention, et bien que Saül n’ait pas tué David, il n’en est pas moins homicide. Vous ne pensez donc pas, dites-moi, que quand vous combattez contre le pasteur, vous tendez des pièges aux brebis : à ces brebis pour lesquelles le Christ a versé son sang, pour lesquelles il nous ordonne de tout faire et de tout souffrir ? Vous ne vous rappelez donc pas que votre maître a cherché votre gloire et non la sienne, tandis que vous ne cherchez point la sienne, mais la vôtre ? Et pourtant vous trouveriez la vôtre en cherchant la sienne ; et en cherchant la vôtre avant la sienne, vous ne la trouverez point.

Quel sera donc le remède à ce mal ? Prions tous ensemble, prions tous d’une voix pour ces malheureux, comme pour des énergumènes. Ils sont même plus à plaindre que des énergumènes, parce que leur mal est volontaire. Il faut, pour le guérir, des prières, beaucoup de supplications. Si celui qui n’aime pas son frère, ne peut acquérir aucun mérite, donnât-il tout ce qu’il possède, souffrit-il le martyre ; songez quel sera le – châtiment de celui qui déclare la guerre à un homme qui ne lui a point fait de mal. Il est pire que les païens. Car si, en aimant ceux qui nous aiment, nous ne faisons rien de plus que les païens, où placer, je vous le demande, celui qui porte envie à ses amis ? La jalousie est même pire que la guerre. En effet, dès que le motif de la guerre a cessé, celui qui la faisait, dépose ses sentiments d’hostilité ; mais l’envieux ne devient jamais ami. Le premier fait une guerre ouverte, le second une guerre cachée ; celui-là a souvent de justes motifs, celui-ci n’en a pas d’autre que sa fureur et sa volonté diabolique. A quoi comparer une telle âme ? A quelle vipère ? à quel aspic ? à quel ver ? à quelle mouche venimeuse ? Rien de plus scélérat, rien de plus méchant qu’elle. Voilà ce qui détruit les Églises, voilà la source des hérésies ; voilà ce qui arma la main d’un frère, le détermina à se baigner dans le sang du juste, viola les lois de la nature, ouvrit la porte à la mort, consomma la malédiction première, fit perdre de vue à cet infortuné sa propre naissance, le souvenir de ses parents et de tout le reste, et poussa sa fureur et sa folie au point qu’il ne cédât pas même à la voix de Dieu qui lui disait : « Son recours sera en toi et tu le domineras
C’est ainsi que saint Chrysostome entend ce passage ; voir la freChry:Gen.3.20
 ». (Gen 4,7) Pourtant Dieu lui remettait son péché et lui soumettait son frère ; mais cette maladie est si difficile à guérir, que, malgré l’application de mille remèdes, elle jette encore son venin.

De quoi donc souffres-tu, ô le plus misérable des hommes ? De ce que Dieu est honoré ? Mais c’est une disposition satanique. De ce que ton frère est considéré ? Mais tu peux le dépasser. Que si tu veux l’emporter sur lui, ne le tue pas, ne le fais pas disparaître ; laisse-le vivre, pour avoir un motif d’émulation et triompher d’un être vivant ; par là la couronne sera brillante un jour ; mais en lui donnant la mort aujourd’hui, tu te prépares une sentence pire que si tu avais été vaincu. Mais la jalousie ne voit rien de cela. Comment peux-tu aimer la gloire au milieu d’une si grande solitude ? Car ils étaient seuls alors sur la terre. Mais cela même n’a pu le retenir ; rejetant tout de son âme, il s’est rangé avec le démon et s’est mis en devoir de combattre : car c’était le démon qui commandait à Caïn. Ce n’était pas assez pour lui que l’homme fût devenu mortel, il voulait un genre de mort plus tragique, et il a persuadé à Caïn de tuer son frère. Insatiable de nos maux, il était impatient, il avait hâte de voir la sentence exécutée. Comme si quelqu’un tenant son ennemi dans les chaînes et voyant l’arrêt porté contre lui, était pressé de le voir égorgé, dans l’intérieur de la prison, avant la sortie de la ville, avant même le moment fixé ; tel était le démon. Ayant appris que l’homme devait retourner en terre, il brûlait de voir, quelque chose de plus : le fils mourant avant le père, un frère meurtrier de son frère, une mort prématurée et violente.

7. Voyez-vous à combien de choses s’est prêtée l’envie ? Comme elle a assouvi l’insatiable avidité du démon, comme elle lui a servi un festin tel qu’il le désirait ? Pourquoi donc cette maladie ? Car à moins d’être débarrassés de cette faiblesse, il est, impossible d’échapper au feu qui a été préparé pour le démon. Or, nous nous, en débarrasserons en songeant combien le Christ nous a aimés et nous a recommandé de nous aimer les uns les autres. Comment nous a-t-il aimés ? Il a donné son précieux sang pour nous qui étions ses ennemis et lui avions fait les plus grandes injures. Faites-en autant à l’égard de votre frère : car le Christ lui-même nous a dit : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés ». (Jn 13,34) Bien plus, la mesure ne se borne pas là : car il a fait cela pour ses ennemis. Vous ne voulez pas verser votre sang, pour votre frère ? Mais pourquoi verser le sien, diamétralement à l’opposé du précepte ? Pourtant le Christ n’était point obligé de faire ce qu’il a fait, et vous, en le faisant, vous n’accomplissiez qu’un devoir. Celui à qui on avait remis dix mille talents, et qui exigeait cent deniers, n’a pas été puni seulement pour cette exigeante, mais parce que le bienfait ne l’avait pas rendu meilleur, parce qu’il n’avait point suivi l’exemple du maître, en remettant, lui aussi, sa dette, car c’était une dette contractée par un serviteur, si dette il y avait. En effet, tout ce que nous faisons est fait en acquit de dettes. Aussi le Christ a-t-il dit « Quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire ». (Luc 17, 10) Donc en donnant des preuves de charité, en distribuant de l’argent aux pauvres, nous acquittons une dette, non seulement parce que Dieu nous a le premier fait du bien, mais parce que, quand nous donnons, nous ne donnons que ce qui vient de lui. Pourquoi donc vous priver de ce qu’il veut que vous possédiez ? Car c’est pour que vous conserviez ces biens qu’il vous ordonne de les distribuer à d’autres, tant que vous les possédez seul, ils ne sont point à vous vous n’en êtes vraiment propriétaire que quand vous les donnez à d’autres.

Est-il rien qui égale l’amour de Jésus-Christ. Il a versé son sang pour dés ennemis, et nous refusons de donner de l’argent pour notre bienfaiteur, le sang qu’il a verse était le sien, et l’argent que nous refusons n’est pas le nôtre : il a donné avant nous, nous refusons après lui, il a agi pour notre salut, nous n’agissons pas même dans notre propre intérêt car, lui, il ne profite en aucune façon de notre charité et c’est à nous qu’en revient tout l’avantage. Si donc nous recevons l’ordre de donner ces biens, c’est afin de ne pas les perdre nous-mêmes. Dieu agit avec nous comme on agirait avec un petit enfant en lui donnant une pièce d’argent, avec recommandation de la garder soigneusement ou de la confier à un domestique pour qu’elle ne soit pas volée. Donnez vos biens aux pauvres, nous dit-il, de peur que quelqu’un ne vous les enlève, un calomniateur, le diable, un voleur, et en dernier lieu, la mort. Tant que vous les conservez, ils ne sont pas sûrs ; si vous me les donnez dans la personne des pauvres, je vous les garderai tous soigneusement et vous les rendrai avec usure en temps convenable, Ce n’est pas pour Vous en priver que je les reçois, mais pour les augmenter, pour les conserver plus soigneusement, et vous les réserver pour le temps où il n’y aura plus personne qui veuille prêter ni se laisser toucher de compassion.

Y aurait-il une dureté plus grande que la nôtre, si, après de telles promesses, nous refusions de lui prêter ? Voilà pourquoi nous nous en allons vers lui, délaissés, nus et pauvres, n’ayant plus ce qu’on nous avait confié parce que nous ne l’avons pas remis au meilleur des gardiens. Voilà ce qui nous attirera le dernier châtiment. Que pourrons-nous répondre, quand on nous accusera de nous être perdus nous-mêmes ? Quelle excuse présenterons-nous ? Quelle justification ? Pourquoi n’avoir pas donné ? Vous n’êtes pas sûr de recouvrer ? Est-ce raisonnable ? Celui qui donne à qui n’a rien donné, ne peut-il pas à plus forte raison rendre à qui lui a donné ?

Mais vous jouissez de la vue de votre argent. Raison de plus pour le donner, afin d’en jouir davantage, là où personne, ne pourra plus vous l’enlever tandis qu’en le gardant maintenant, vous êtes exposé à mille dangers. Le démon, semblable à un chien, s’élance contre les riches, comme s’il voulait arracher un gâteau de la main d’un enfant. Donnons donc au Père. Quand le démon verra cela, il prendra aussitôt la fuite : et dès qu’il sera retiré, le Père vous donnera tout en sécurité, puisque le démon ne peut plus mettre le trouble dans le siècle à venir. Les riches sont absolument comme les petits enfants incommodés par les chiens : tout le monde aboie autour d’eux, les déchire, les tiraille, et non seulement les hommes, mais encore les passions ignobles, la gourmandise, l’ivrognerie, la flatterie, tous les genres de débauche. Quand nous voulons prêtera intérêt, nous recherchons soigneusement ceux qui donneront le plus et se montreront reconnaissants. Ici nous faisons tout le contraire : nous laissons de côté Dieu qui est plein de reconnaissance, qui ne donne pas seulement le douze, mais le cent pour cent, pour recourir à des gens qui ne nous rendront pas même le capital.

8. Que nous rendra en effet notre ventre, quand il aura consommé la plus grande partie de nos biens ? Du fumier, de l’ordure. Que nous rendra la vaine gloire ? De l’envie et de la jalousie. Que nous rendra la parcimonie ? Le souci et l’inquiétude : Que nous rendra la débauche ? L’enfer et le ver empoisonneur. Car voilà les débiteurs des riches et voilà les intérêts qu’ils rendront pour le capital : les maux présents et les maux à venir. Est-ce à eux que nous prêterons, je vous le demande, au prix d’un tel châtiment ? Et nous ne confierons rien au Christ qui nous offre le ciel, la vie immortelle, des biens ineffables ? Quelle sera notre excuse ? Pourquoi ne donnez-vous pas à celui qui rendra tout et avec usure ? C’est peut-être parce qu’il ne rendra que dans longtemps ? Mais il rend déjà en cette vie ; car il ne ment pas celui qui a dit : « Cherchez le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît ». (Mat 6,33) Voyez-vous cet excès de libéralité ? Les biens à venir vous sont réservés, nous dit-il, et ne diminueront point ; et je vous donne encore ceux d’ici-bas par addition et par surcroît, de plus ce long délai augmente la somme de vos richesses : car l’intérêt se multiplie. Nous voyons les prêteurs d’argent se conduire ainsi ils préfèrent ceux qui empruntent à long terme. En effet celui gui rembourse immédiatement, intercepte le cours de l’intérêt tandis que celui qui conserve longtemps le capital, grossit le profit.

Ainsi à l’égard des hommes nous supportons les délais, nous prenons même à tâche de les prolonger ; et avec Dieu nous sommes pusillanimes jusqu’à être insouciants, jusqu’à tergiverser ? Et pourtant, comme je l’ai dit, il nous rend déjà ici-bas, puis nous réserve encore, dans l’autre vie, le tout et quelque chose de plus, pour la raison que j’ai donnée. En effet, la grandeur et la beauté, du don surpasse de beaucoup cette pauvre vie terrestre. Car il n’est pas possible de recevoir, dans un corps corruptible et mortel, les couronnes que rien ne saurait flétrir, ni de posséder ce repos immuable, imperturbable, dans la vie présente si pleine de trouble, de tumulte, et sujette à tant de changements. Si un débiteur s’engageait à vous rembourser sur la terre étrangère, là où vous n’auriez point de domestique ni aucun moyen de transport pour votre pays, vous le prieriez instamment de vous payer à votre retour chez vous, et non sur la terre étrangère ; et vous voudriez recevoir ici les biens spirituels, des trésors infinis ? Quelle est donc votre folie ? Si on vous paye ici-bas, ce ne sera qu’en choses corruptibles ; mais si vous attendez le temps convenable, vous recevrez des biens incorruptibles et sans mélange. Ici-bas vous recevrez du plomb, et là, de l’or éprouvé. De plus Dieu ne vous prive pas des biens présents. Car à la promesse des biens à venir, il en a ajouté une autre, en disant : Quiconque aime les choses célestes, recevra le centuple en ce monde et possédera la vie éternelle. (Mat 19,29)

Si donc nous ne recevons pas le centuple, la faute en est à nous qui ne prêtons pas à celui qui peut nous le donner ; car tous ceux qui lui prêtent, si peu que ce soit, le reçoivent. Dites-moi un peu, qu’est-ce que Pierre avait donné de si grand ? N’était-ce pas seulement un filet brisé, une ligne, un hameçon ? Et pourtant Dieu lui a ouvert les maisons du monde entier, lui a aplani la terre et la mer, en sorte que tous l’appelaient chez eux ; bien plus, on vendait tout ce qu’on avait et on en déposait le prix, non pas en ses mains (on ne l’eût osé) mais à ses pieds : tant on avait de générosité et de respect pour lui ! Mais c’était Pierre, direz-vous. Qu’importe, ô homme ? Ce n’est pas seulement à Pierre que le Christ a fait ces promesses ; il n’a pas dit : Toi seul, Pierre, recevras le centuple, mais : « Quiconque aura quitté sa maison ou ses frères, recevra le centuple ». Car il n’y a point chez lui d’acception de personne, mais différence de mérites.

Mais, direz-vous, j’ai une multitude d’enfants, et je désire les laisser riches. Pourquoi donc les appauvrissez-vous ? En leur laissant tout, vous confiez votre fortune à une garde peu sûre ; mais si vous leur donnez Dieu pour cohéritier et pour tuteur, vous leur laissez d’immenses trésors. De même que quand nous nous vengeons, Dieu ne prend pas notre causé en main, tandis que si nous nous abandonnons à lui, notre attente est dépassée ; ainsi, en fait de richesses, si nous nous livrons à l’inquiétude, sa Providence se retire de nous ; et si nous nous abandonnons à lui sans réserve, il mettra en parfaite sécurité et nos biens et nos enfants. Et qu’est-ce que cette conduite a d’étonnant en Dieu, quand nous la voyons même chez les hommes ? Si, à l’heure de la mort, vous ne donnez aucun de vos proches pour tuteur à vos enfants, celui qui serait le mieux disposé à demander cette charge en est retenu par la crainte et par la honte ; mais si vous vous déchargez sur lui de ce souci, il s’estimera très-honoré et répondra dignement à votre confiance.

9. Si donc vous voulez laisser de grandes richesses à vos enfants, laissez-leur la Providence de Dieu. Lui qui a créé votre âme, qui a formé votre corps, qui vous a donné la vie sans vous, quand il vous verra déployer une si grande libéralité, et lui confier vos biens et vos enfants, pourrait-il ne pas leur ouvrir tous ses trésors ? Si Élie, pour avoir été nourri d’un peu de farine, et voyant qu’une femme le préférait à ses enfants, fit voir des aires et des pressoirs dans la chaumière d’une veuve, songez quelle sera pour vous la générosité du maître d’Élie ! Ne nous inquiétons pas de laisser nos enfants riches, mais vertueux. Car s’ils mettent leur confiance dans les richesses, ils négligeront tout le reste, ne s’étudiant qu’à cacher des mœurs corrompues à l’abri de l’opulence ; mais s’ils se voient privés de cette consolation, ils mettront tous leurs soins à demander à la vertu une compensation à la pauvreté. Ne' leur laissez donc pas la richesse, afin de leur laisser la vertu. Car ce serait le comble de la déraison de ne rien laisser à leur disposition pendant notre vie, et de procurer à leur jeunesse après notre mort les moyens de vivre dans la licence. Du moins, pendant que nous vivons, nous pouvons leur faire rendre des comptes, réprimer leurs excès, et leur mettre le frein ; mais si, après notre mort, avec l’abandon où nous les laissons, et malgré leur jeunesse, nous leur fournissons les ressources de la richesse, nous poussons ces infortunés sur la voie de nombreux précipices ; nous jetons le feu sur le feu, nous versons l’huile dans une fournaise embrasée.

Donc, si vous voulez leur laisser une fortune assurée, faites que Dieu soit leur débiteur et confiez-lui leurs créances. Si ce sont eux qui touchent votre argent, ils ne sauront à qui le donner, ils tomberont souvent entre les mains des calomniateurs et des ingrats ; mais si par précaution vous le prêtez à Dieu, le trésor demeurera en sûreté et le remboursement se fera sans aucune difficulté. Car Dieu nous est reconnaissant, même quand il nous paye sa dette ; il voit de meilleur œil ceux qui lui prêtent que ceux qui ne lui prêtent pas, et plus il doit, plus il aime. Si donc vous voulez l’avoir toujours pour ami, prêtez-lui beaucoup. Un prêteur à moins dé plaisir à avoir des débiteurs, que le Christ n’en a à avoir des créanciers ; il fuit ceux à qui il ne doit rien et court à ceux à qui il doit. Faisons donc tout au monde pour le constituer notre débiteur voici le moment favorable pour lui prêter, puisqu’il est dans le besoin. Si vous ne lui donnez pas maintenant, il n’aura pas besoin de vous après cette vie. C’est ici qu’il a soif, c’est ici qu’il a faim : il a soif de votre salut ; c’est pour cela qu’il mendie, qu’il est nu et errant, dans le but de vous procurer la vie éternelle.

Ne le dédaignez donc pas : il ne demande pas à être nourri, mais à nourrir ; à être vêtu, mais à vêtir, à vous préparer un manteau d’or, un vêtement royal. Ne voyez-vous pas les médecins les plus dévoués, quand ils font prendre un bain aux malades, le prendre eux-mêmes, bien qu’ils n’en aient pas besoin ? Ainsi le Christ fait tout pour vous qui souffrez. Voilà pourquoi il n’exige rien de vous par force, afin de vous rendre davantage, pour vous apprendre que, s’il demande, ce n’est pas pour ses besoins, mais pour les vôtres. Voilà pourquoi, il vient à vous en haillons et vous tend la main ; si vous lui donnez une obole, il ne se détourne pas ; si vous le méprisez, il ne s’éloigne pas, mais se rapproche encore ; car il désire, il désire, vivement notre salut. Méprisons donc les richesses pour n’être point méprisés par le Christ ; méprisons les richesses, pour les posséder elles-mêmes. Car si nous les conservons ici-bas, nous les perdrons entièrement, et pour cette vie et pour l’autre ; mais si nous les distribuons généreusement, nous jouirons dans les deux vies d’une grande abondance. Que celui donc qui veut devenir riche, s’appauvrisse pour s’enrichir ; qu’il dépense pour amasser ; qu’il disperse pour recueillir. Que si cette doctrine vous semble nouvelle et étrange, voyez l’homme qui sème, et dites-vous à vous-même que le seul moyen qu’il ait de multiplier son grain est de disperser celui qu’il a, de répandre ce qui est sous sa main. Semons donc, nous aussi, et cultivons le champ du ciel, afin de nous procurer une moisson abondante et d’obtenir les biens éternels par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui la gloire, l’empire, l’honneur, appartiennent au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Copyright information for FreChry