Romans 7
HOMÉLIE XII.
JE PARLE HUMAINEMENT, À CAUSE DE LA FAIBLESSE DE VOTRE CHAIR ; COMME DONC VOUS AVEZ FAIT SERVIR VOS MEMBRES A L’IMPURETÉ ET A L’INIQUITÉ POUR L’INIQUITÉ ; AINSI MAINTENANT FAITES SERVIR VOS MEMBRES A LA JUSTICE POUR VOTRE SANCTIFICATION. (VI, 19, JUSQU’À VII, 13)Analyse.
- 1. La conduite et le genre de vie exigé des chrétiens pour recueillir les fruits de la grâce et en jouir, ne dépasse pas les forces de l’humanité : humanum dico. – Saint Paul ne leur demande que de se soumettre à la justice comme avant leur conversion ils étaient soumis au péché.
- 2. Afin de demeurer fidèle à la justice, il ne faut que considérer la fin du péché et la fin de la sanctification. – La loi de Moïse n’a plus d’empire sur les chrétiens, pas plus que le mari défunt n’en conserve sur sa femme,
- 3. L’Apôtre insiste sur cette abrogation de la loi mosaïque, point capital de son enseignement dans cette épure, mais il use de toutes sortes de précautions pour ne pas blesser les Juifs. – Nous sommes morts à la lettre de la loi ancienne, et nous devons servir Dieu dans un nouvel esprit.
- 4 et 5. La loi de grâce exige une plus haute perfection que la loi ancienne. – Pour être devenue inutile, la loi mosaïque n’est cependant pas en soi quelque chose de mauvais : – La malice humaine est seule coupable des péchés dont la loi a été l’occasion.
- 6. C’est bien la loi de Moïse que saint Paul a en vue dans tout ceci, et nullement la loi naturelle ni la défense faite au premier homme dans le paradis. 7-9 : Que la volupté a pour fin la mort, et la vertu la vie. – Qu’il ne faut point négliger les péchés, ni dire qu’ils sont légers. – De la patience dans les calomnies et dans les affronts.
▼Mot qui veut persévérance
. Si, en effet, il faut faire un crime à la loi de ce qu’elle a été l’occasion du péché, on en pourra dire autant du Nouveau Testament. Il renferme un grand nombre de lois sur beaucoup de sujets, et sur des sujets plus importants ; et pourtant on verra le même résultat que sous l’ancienne loi, non seulement en ce qui regarde la concupiscence, mais pour tous les vices. « Si je n’étais pas venu », dit Jésus-Christ, « et que je ne leur eusse point parlé, ils n’auraient point de péché ». (Jn 15,22) Donc le péché a pris de là occasion, et, par suite, le châtiment est devenu plus grand. Paul parlant de la grâce, dit encore « Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices, ce lui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu ? » (Heb 10,29) Donc un, plus sévère châtiment a pris de là occasion, à raison d’un plus grand bienfait. Et il déclare les Gentils inexcusables, parce que, honorés du don de la raison, témoins de la beauté de la création et pouvant par là être attirés au Créateur, ils n’ont point usé, convenablement de la sagesse de Dieu. Voyez comment partout les méchants prennent occasion des meilleures choses pour s’exposer à de plus grands supplices. Certes, nous n’accuserons pas pour cela les bienfaits – de Dieu, nous les en admirerons au contraire davantage ; mais nous incriminerons la volonté de ceux qui tournent le bien en mal. Agissons eu ami avec la loi. Cela est facile ; mais voici la difficulté : Comment Paul a-t-il dit : « Je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi n’eût dit : Tu ne convoiteras point ? » Si l’homme ne connaissait point la concupiscence avant d’avoir reçu la loi, pourquoi le déluge ? Pourquoi l’incendie de Sodome ? Qu’entend-il donc ? L’accroissement de la concupiscence. Aussi ne dit-il pas : A opéré en moi la concupiscence, mais : « Toute concupiscence », indiquant par là sa violence. Alors, dira-t-on, quelle a été l’utilité de la loi, si elle a augmenté la concupiscence ? Le profit a été nul, mais la perte a été grande, non de la faute de la loi, mais à cause de la lâcheté de ceux qui l’ont reçue. C’est le péché qui a fait cela par la loi ; mais celle-ci s’y opposait, loin d’y consentir. Le péché est donc devenu le plus fort, et de beaucoup ; mais encore une fois, ce n’est point la loi, mais l’ingratitude des Juifs, qu’il faut accuser. « Car sans la loi le péché était mort », c’est-à-dire, n’était pas si connu. Ceux qui ont vécu avant la loi, savaient déjà qu’ils péchaient ; mais ceux qui ont vécu après la loi le savaient bien plus exactement. Ainsi étaient-ils plus coupables. Ce n’est pas la même chose d’être simplement accusé par la nature, ou d’être accusé, par la nature et par la loi qui précise tout. « Et moi je vivais autrefois sans la loi… (9) ». Quand, dites-moi ? Avant Moïse. Voyez comme il s’attache à prouver que la loi, et parce qu’elle a fait, et par ce qu’elle n’a pas fait, était à charge à la nature humaine. Quand je vivais sans la loi, dit-il, je n’étais pas ainsi condamné. « Mais quand est venu le commandement, le péché a revécu : et moi je suis a mort (10) ». Ceci semble une accusation contre la loi ; mais, si on y regarde de près, on verra que c’en est l’éloge. Car la loi n’a pas produit le péché non existant, mais a seulement révélé son existence ; et c’est là son éloge, puisqu’avant elle, on péchait sans s’en apercevoir, tandis qu’avec elle, à défaut – d’autre avantage, on avait au moins celui de savoir exactement qu’on péchait : ce quine contribuait pas peu à corriger du vice. Que si les Juifs ne se corrigeaient pas, ce n’était point l’affaire de la loi, qui ne négligeait rien pour cela ; tout le reproche en retombe sur leur mauvaise volonté, dépravée au-delà de tout ce qu’on pouvait attendre. 6. Il était en effet contraire à la raison que ce qui devait être utile, devînt nuisible. Aussi Paul disait-il : « Et il s’est trouvé que le commandement qui devait me donner la vie a causé ma mort ». Il ne dit pas : Est devenu la mort, ni : A engendré la mort ; mais : « Il s’est trouvé », interprétant ainsi ce qu’il y avait de nouveau, d’étrange dans cette absurdité, et faisant tout retomber sur leur tête. Si en effet, dit-il, vous considérez le but du commandement, il conduisait à la vie et avait été donné pour cela ; et si la mort en est résultée, c’est la faute de celui qui a reçu le commandement, et non du commandement lui-même, qui conduisait à la vie. Il exprime cela plus clairement encore par ce qu’il dit ensuite : « Ainsi le péché, prenant occasion du commandement, m’a séduit et par lui m’a tué (11) ». Voyez-vous comme partout il poursuit le péché, et justifie la loi de toute accusation ? Aussi ajoute-t-il : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon (12)». Du reste, si vous le voulez, produisons l’opinion de ceux qui altèrent ces interprétations, et nous rendrons encore plus clair ce que nous avons dit. Il en est donc qui prétendent qu’il ne s’agit a)oint ici de la loi de Moïse, mais de la loi naturelle, selon les uns ; des commandements donnés dans le paradis terrestre, selon les autres. Or, partout Paul a en vue d’abroger la loi mosaïque, et ne parle jamais contre les deux autres, et avec raison : car c’était par crainte, par terreur de celle-là, que les Juifs combattaient la grâce. Quant au précepte donné dans le paradis, on ne voit pas que Paul ni aucun autre lui ait jamais donné le nom de loi. Pour prouver cela plus clairement par ses propres paroles, reprenons-les, en remontant un peu plus haut. Après leur avoir parlé en détail de la manière de se conduire, il ajoutait : « Ignorez-vous, mes frères, que la loi domine sur, l’homme tant qu’elle vit ? Ainsi, vous aussi, vous êtes morts à la loi ». Donc, s’il parle ici de la loi naturelle, il arriverait que nous, ne l’aurions pas, et, dans ce cas, nous serions plus stupides que les brutes. Mais il n’en est pas, il n’en est certainement pas ainsi. Quant au commandement donné dans le paradis, il n’y a pas lieu à discuter là-dessus ; ce serait peine perdue que de prouver ce dont tout le monde convient. Comment Paul dit-il donc : « Je n’aurais pas connu le péché sans la loi ? » Il n’entend pas parler ici d’une ignorance absolue ; il veut seulement dire que par la loi, la connaissance était plus exacte. Et s’il s’agissait ici de la loi naturelle, quel sens raisonnable aurait ce qui suit : « Et moi je vivais autrefois sans loi ? » Il ne parait pas que ni Adam ni qui 'que ce soit ait jamais vécu sans la loi naturelle ; car en même temps qu’il formait l’homme, Dieu lui donnait cette loi et en faisait la compagne prudente de tout le genre humain. De plus, nulle part on ne voit Paul donner à la loi naturelle le nom de commandement ; or ; il déclare la loi de Moïse et le commandement justes et : saints-; et il appelle, la loi, spirituelle : Mais la loi naturelle ne nous a pas été donnée par l’Esprit ; car les barbares, les gentils, tous les hommes la possèdent. D’où il suit évidemment qu’ici et là, et partout, c’est de la loi mosaïque qu’il parle. Aussi l’appelle-t-il sainte, en disant : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement est saint, reste et bon ». Car bien que les Juifs aient été impurs, injustes et avares, après avoir recula loi, cela ne détruit point sa vertu, pas plus que leur incrédulité ne détruit la foi de Dieu. Tout cela démontre donc clairement que Paul parle ici de la loi mosaïque. « Ce qui est bon », dit-il, « est donc devenu a pour moi la mort ? Loin de là : mais le péché, pour paraître péché… (13) » ; c’est-à-dire, pour qu’on voie quel mal c’est que le péché, une volonté sans énergie, le penchant au mal, une conduite et une intention perverties car là est la cause de tous les maux. Ici il use d’exagération pour faire ressortir l’excellence de la grâce du Christ, et nous apprendre de quel mal elle a délivré le genre humain : mal que les remèdes, des médecins ne faisaient qu’aggraver : et qui grandissait par les obstacles mêmes qu’on lui opposait. Aussi ajoute-t-il : « De sorte qu’il est devenu par le commandement une source extrêmement abondante de péché ». Voyez-vous comme il poursuit le péché à outrance ? Et par les accusations mêmes qu’il dresse contre lui, il fait mieux éclater la vertu de la grâce. Car ce n’est pas petite chose d’avoir montré quel mal c’est que le péché, d’avoir découvert et mis à nu son venin : ce que fait Paul, quand il dit : « De sorte qu’il est devenu par le commandement une source extrêmement abondante de péché » ; c’est-à-dire, de sorte que l’on voie quel mal c’est que le péché, combien il est pernicieux ; et tel a été l’effet du commandement. Par là même, il fait voir la supériorité de la grâce sur la loi ; supériorité, mais non opposition. Ne considérez donc point que ceux qui ont reçu la loi en sont devenus pires mais considérez que la loi s’efforçait de couper le mal pansa racine, bien loin de favoriser son accroissement. Si elle ne l’a pas pu, rendez au moins hommage à sa bonne volonté ; mais surtout adorez la vertu du Christ, de ce qu’elle a radicalement détruit et extirpé un mal si varié dans ses formes, si difficile à vaincre. Quand donc vous entendez parler du péché, ne vous figurez pas une puissance subsistant par elle-même ; mais une mauvaise action, qui a soli commencement et sa fin, qui n’existait point avant d’être produite, et qui peut s’effacer quand elle a cessé d’être. Voilà pourquoi la loi a été donnée ; car le but de la loi n’est pas de détruire la nature, mais de corriger les actes d’une volonté perverse. 7. Les législateurs païens eux-mêmes le savaient aussi bien que tous les hommes. En effet, ils se contentent de réprimer le mal produit par la faiblesse de la volonté, et ne se promettent point de déraciner – ce qui est inhérent à la nature : car cela n’est pas possible. Comme je vous l’ai souvent dit dans d’autres entretiens, la nature reste immuable. Laissant donc de côté toutes ces discussions, rattachons-nous à la question morale : aussi bien est-ce là le point principal dans ces controverses : Si nous repoussons le vice et pratiquons la vertu, nous prouverons clairement quelle vice n’est point dans la nature, et nous pourrons réduire au silence, non seulement par notre langage, mais encore par notre conduite, ceux qui recherchent l’origine du mal, puisque, étant de même nature qu’eux, nous nous montrerons exempts de leur malice. Ne considérons pas que la vertu est laborieuse, mais que nous pouvons la pratiquer ; et si nous y mettons de la bonne volonté, elle nous deviendra très facile. Si vous me parlez du plaisir attaché au vice, dites-moi aussi quelle en sera la fin ; il conduit a la mort, comme la vertu mène à la vie. Ou, si vous voulez encore, examinons-les l’un et l’autre avant leur terme ; nous verrons que le vice entraîné avec lui bien des douleurs, et la vertu bien des joies. Qu’y a-t-il, dites-moi, de plus douloureux qu’une mauvaise conscience ?. Qu’y a-t-il de plus doux que l’espérance du bonheur ? Rien, non rien ne nous afflige, rien ne cous accable comme l’attente des maux ; rien ne nous élève, rien ne nous donne des ailes comme une bonne conscience. Nous pouvons le voir par ce qui se passe au milieu de nous. Ceux qui sont enfermés en prison en attendant leur condamnation, quelque bien nourris qu’ils puissent être, sont plus malheureux que les mendiants qui errent dans les carrefours, mais qui n’ont rien à se reprocher : car l’attente du mal empêche de goûter le plaisir du moment. Et à quoi bon parler de prisonniers ? Les ouvriers qui gagnent péniblement leur subsistance quotidienne, sont beaucoup plus heureux que ceux qui vivent libres et au sein de la richesse, mais avec une mauvaise conscience chargée. Voilà pourquoi nous regardons comme les plus malheureux des hommes, les gladiateurs que nous voyons dans les cabarets livrés aux vapeurs de l’ivresse et aux plaisirs de la table, parce que l’attente de la mort produit sine sensation beaucoup plus vive que celle de ces plaisirs. Que si cette vie-là leur paraît douce, souvenez-vous de ce que je vous répète si souvent : il n’y a rien d’étonnant à ce que celui qui vit dans le vice n’en fuie pas l’amertume et la douleur. En effet, une situation détestable peut paraître aimable à ceux qui s’y trouvent ; mais c’est précisément pour cela que, loin de les appeler heureux, nous les appelons malheureux ; parce qu’ils ne comprennent pas même leur malheur. Que direz-vous des adultères qui, pour un modique plaisir, se soumettent à un honteux esclavage, à des dépenses d’argent, à des craintes, continuelles, à une vie aussi misérable ; plus misérable même que celle de Caïn ; redoutant le présent, et s’épouvantant de l’avenir, se défiant de leurs amis et de leurs ennemis, de ceux, qui savent et de ceux qui ne savent pas ? Mène dans leur sommeil, ils ne peuvent se débarrasser de leurs angoisses ; leur conscience coupable leur forge des songes terribles, et les remplit de frayeur. Il n’en est pas ainsi, de l’homme chaste ; il passe la vie présente dans la tranquillité et la liberté. Comparez maintenant à une volupté passagère cette mer de terreurs, aux courts sacrifices de la continence cette paix perpétuelle, et vous verrez que cette dernière condition est plus douce que l’autre. Et celui qui veut voler, qui veut s’emparer de l’argent d’autrui, ne supporte-t-il pas, dites-moi, des peines sans, nombre ; rôdant çà et là, flattant les esclaves, les hommes libres, les portiers ; craignant, menaçant, usant d’insolence, se privant de sommeil, tremblant, en proie à l’inquiétude, se défiant de tout ? Il n’en est pas de même de celui qui méprise les richesses ; il nage au sein de la joie, il passe ses jours dans la confiance et la sécurité. En parcourant ainsi toute l’échelle des vices, vous rencontrerez partout de grands troubles, beaucoup d’écueils. Mais l’essentiel est que, si dans la vertu tout est d’abord pénible, le charme vient ensuite, de manière à alléger la peine ; tandis que dans le vice c’est tout le contraire : après le plaisir, viennent les douleurs et les châtiments, en sorte que le plaisir lui-même disparaît. Car, de même que celui qui attend la couronne, ne sent plus les peines présentes ; ainsi celui qui attend les supplices après le plaisir, ne saurait goûter une joie pure, parce que la crainte trouble tout. Bien plus, à y regarder de près, on verrait que dans le vice, en dehors même du châtiment redouté, la tentative seule renferme déjà sa douleur. 8. Examinons encore, si vous le voulez, ce qu’il en est des voleurs ou de ceux qui s’enrichissent de toutes manières ; laissons de côté les craintes, les périls, la terreur, l’angoisse, le souci et autres choses semblables ; supposons qu’un homme est riche tranquillement, qu’il est assuré de conserver ses biens, ce qui est impossible, mais, supposons-le : quelle joie cet homme goûtera-t-il ? Celle de posséder beaucoup ? Mais il n’y a pas là de quoi le rendre heureux : car tant qu’il convoitera davantage, son tourment ne fera qu’augmenter. C’est quand le désir cesse, qu’il procure du plaisir ; en effet, si nous avons soif, c’est en buvant à notre gré que nous, éprouvons de la satisfaction ; mais si notre soif persiste, quand nous épuiserions toutes les sources, quand nous boirions tous les fleuves, notre malaise n’en serait que plus grand. De même, possédassiez-vous le monde entier, si vous convoitez encore, plus vous acquerrez, plus vous serez tourmenté. Ne vous imaginez donc pas qu’une grande fortune puisse vous procurer quelque joie ; vous n’en trouverez qu’en renonçant à vous enrichir ; mais si vous continuez à convoiter les richesses, vos tourments n’auront point de fin. Car cette passion est insatiable plus vous avancerez, plus vous verrez le terme se reculer. N’est-ce pas là une chose inexplicable, une folie, le comble de la démence ? Fuyons donc ce premier de tous les vices ; garantissons-nous du moindre contact avec lui, et s’il y en a eu, reculons dès l’abord ; comme l’auteur des Proverbes engage à le faire à l’égard de la courtisane : « Éloignez-vous, point de retard, n’approchez pas de la porte de sa maison ». (Pro 5,8) Je vous en dirai autant de l’amour des richesses. Car si vous entrez peu à peu dans cet océan de folies, vous aurez de la peine à en sortir ; plongé comme en un gouffre, malgré des efforts réitérés, vous vous en tirerez difficilement ; et, ce qu’il. y a de plus triste ; une fois englouti dans les abîmes de cette convoitise, vous vous perdrez avec tous vos biens.: Ainsi donc ; je vous en prie, veillons sur nous dès le commencement, fuyons le mal le plus léger : car ce sont les petites fautes qui engendrent les grandes. En effet, celui qui, à chaque péché, à coutume de dire : Il n’en arrivera rien, perdra tout insensiblement. Voilà ce qui a introduit le mal, voilà ce qui a ouvert les portes au larron, voilà ce qui a abattu les remparts de la ville, parce qu’on disait : Il n’en arrivera rien. De même dans le corps, c’est en négligeant les petites maladies qu’on augmente les grandes : Si Esaü n’eût pas vendu son droit d’aînesse, il n’aurait pas été indigne des bénédictions ; et s’il ne s’était pas rendu indigne des bénédictions, il n’eût pas conçu le désir d’aller tuer son frère ; si Caïn n’avait pas ambitionné le premier rang et qu’il eût tout remis à la volonté de Dieu, il ne fût pas tombé au second rang ; et une fois descendu au second rang, s’il s’était montré docile aux remontrances, il n’eût point commis le meurtre ; et si après l’avoir commis, il fût entré dans des sentiments de pénitence comme Dieu l’y invitait, et n’eût point répondu avec insolence, il n’eût point subi tous les maux qui lui sont venus à la suite. Or, si ceux qui ont vécu avant la loi sont tombés peu à peu, par lâcheté, au dernier degré du vice ; songez quel sera notre sort, à nous, qui sommes appelés à de plus grands combats, si nous ne veillons pas sévèrement sur nous-mêmes, si nous ne nous hâtons d’éteindre les premières étincelles du mal avant qu’elles aient mis le feu au bûcher. Par exemple : Vous vous, parjurez fréquemment ? Ne vous contentez pas de vous en corriger, mais cessez même de jurer, et le reste vous sera facile. Il est en effet beaucoup plus difficile de jurer sans se parjurer, que de ne pas jurer du tout. Vous avez l’habitude d’injurier, d’insulter, de frapper même ? Faites-vous une loi de ne jamais vous fâcher, de ne jamais crier, et le fruit périra avec la racine. Vous êtes libertin et porté à la luxure ? Faites-vous une loi de ne pas jeter les yeux sur une femme, bien loin de monter au théâtre, de ne pas porter des regards curieux sur des beautés étrangères, quand vous êtes dans les rues. Il est beaucoup plus facile de ne point regarder du tout une belle, femme que de la considérer ; de la convoiter et de calmer ensuite le trouble qui en résulte. Les luttes sont, en effet plus faciles au début ; bien plus, nous n’avons pas même besoin de lutter, si nous n’ouvrons pas la porte à l’ennemi, si nous ne recevons pas les semences du mal. Aussi le Christ punit-il celui qui jette sur une femme un regard impudique, afin de nous épargner une plus grande difficulté : nous ordonnant de chasser l’ennemi de la maison, avant qu’il soit devenu fort et pendant qu’il est possible de l’expulser. Quelle nécessité y a-t-il en effet à se livrer à des opérations inutiles et à en venir aux mains avec des adversaires, quand on peut triompher sans combat et gagner la palme avant la lutte ? Il est moins coûteux de s’abstenir de voir de belles femmes, que de se contenir quand on les a vues ; dans le premier cas, la peine n’est pas grande, dans le second, ce sont des luttes fatigantes et pénibles. 9. Puis donc que la peine est moins grande, ou plutôt qu’il n’y a ni fatigue ni peine, mais un plus grand profit, pourquoi nous précipiter volontairement dans un abîme de maux ? Car non seulement celui qui s’abstient de voir une femme, résiste plus facilement à la passion, mais il en devient même plus pur ; tandis que celui qui fixe – sur elle ses regards, échappe plus difficilement et non sans quelque blessure, si tant est qu’il échappe. En effet, celui qui ne voit pas une belle ligure, n’éprouve point la passion qu’elle peut inspirer ; mais celui qui a désiré la voir, qui a accueilli d’abord cette pensée, qui a contracté mille souillures, songe seulement après cela à repousser la passion, si même il la repousse. C’est pour nous garantir de tels dangers que le Christ nous défendons seulement le meurtre, mais la colère ; non seulement l’adultère ; mais un regard impudique ; non seulement le parjure, mais même le serment. Et ce n’est même pas là qu’il fixe la borne de la vertu : car, après tous ces commandements, il va plus loin. Après avoir défendu le meurtre, interdit la colère, il nous ordonne d’être prêts à souffrir les mauvais traitements ; non seulement d’en supporter autant qu’il plaira à notre ennemi de nous en infliger, mais d’aller plus loin encore, jusqu’à dépasser par notre sagesse les excès même de sa fureur. En effet, il n’a pas dit : Si votre ennemi vous frappe sur la joue droite, supportez-le généreusement et avec calme ; mais il ordonne de lui tendre encore l’autre joue ; « Présentez-lui encore l’autre », nous dit-il. (Mat 5,39) En effet, c’est là une éclatante victoire de donner à son ennemi plus qu’il ne demande, de dépasser par longanimité les bornes mêmes de sa mauvaise volonté. C’est ainsi que vous apaiserez sa fureur, que le second sacrifice vous récompensera du premier et que vous éteindrez la colère chez lui. Voyez-vous que nous sommes toujours les maîtres de ne point souffrir du mal : avantage que n’ont point ceux qui nous le font ? Et non seulement nous pouvons ne pas souffrir du mal, mais il nous est même donné d’en tirer profit : et c’est ce qu’il y a de plus admirable, que non seulement nous ne souffrions pas des injustices que l’on commet contre nous, mais que nous en tirions avantage, si nous veillons sur nous. Examinez un peu : Quelqu’un vous injurie ? Vous pouvez transformer ses injures en éloges. En lui rendant la pareille, vous augmenteriez votre honte : en lui rendant des bénédictions pour ses malédictions, vous verrez tout le monde vous décerner la couronne et vous proclamer vainqueur. Voyez-vous comment nous pouvons, si nous le voulons, tirer profit d’une injustice ? Il en est de même de l’argent, il en est de même des coups et de tous les accidents qui peuvent nous survenir. Si nous employons à l’égard de nos ennemis des procédés contraires aux leurs, nous nous tresserons une double couronne, et par le mal qu’ils nous font et par le bien que nous leur rendons. Quand donc on vient vous dire : Un tel vous a injurié et ne cesse de dire du mal de vous à tout le monde, faites son éloge à celui qui vous parle ; c’est ainsi que vous le punirez, si vous avez intention de vous venger. Les auditeurs vous loueront, quelque dénués de sens qu’ils puissent être, et ils regarderont celui qui vous injurie : comme plus méchant qu’une bête fauve, puisqu’il vous fait du mal sans en avoir reçu de vous, tandis que vous lui faites du bien en retour de ses injures. Par là aussi vous pourrez réduire toutes ses paroles à rien. En effet, si celui qu’on attaque en manifeste de la douleur, c’est une preuve qu’il a conscience du mal qu’on lui reproche ; si au contraire il en rit, il détruit jusqu’au moindre soupçon chez ceux qui en sont témoins. Voyez donc que de profits vous recueillez par là ! D’abord vous vous exemptez vous-même de trouble et d’émotion ; ensuite (et c’est bien l’avantage qu’il faut placer au premier rang), si vous êtes coupable de péchés, vous les expiez, comme le publicain qui supporta avec patience les reproches du pharisien. De plus ; vous exercez ainsi votre âme à la sagesse, vous obtiendrez mille louanges de tout le monde, et vous effacerez jusqu’au soupçon que ces paroles injurieuses auraient pu produire contre vous. Que si vous désirez une vengeance, elle viendra surabondamment, puisque Dieu punira votre ennemi de ce qu’il aura dit, et que, même avant ce châtiment, votre sagesse lui portera déjà un coup mortel. Car rien ne blesse aussi vivement ceux qui nous injurient que de nous voir rire des injures qu’ils nous adressent. Mais autant nous recueillerons de fruits de notre sagesse, autant nous souffrirons de notre pusillanimité. En effet, nous nous déshonorons nous-mêmes, nous paraissons mériter les reproches qu’on nous fait ; nous remplissons notre âme de trouble, nous réjouissons notre ennemi, nous irritons Dieu, et nous ajoutons un nouveau péché à ceux qui nous souillent déjà. Pensons à tout cela, fuyons l’abîme de la rancune et recourons au port de la patience, afin d’y trouver le repos pour nos âmes, comme le Christ nous l’a dit, et d’obtenir les biens futurs par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, la force, l’honneur appartiennent au Père en même temps qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Voir le début du chap. 8.
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