Titus 2
HOMÉLIE IV.
QUE LES VIEILLARDS SOIENT SOBRES, GRAVES, PRUDENTS, SAINS EN LA FOI, EN LA CHARITÉ ET EN LA PATIENCE. DE MÊME, QUE LES FEMMES ÂGÉES RÈGLENT LEUR EXTÉRIEUR D’UNE MANIÈRE CONVENABLE A LA SAINTETÉ ; QU’ELLES NE SOIENT NI MÉDISANTES, NI SUJETTES AU VIN, MAIS QU’ELLES ENSEIGNENT DE BONNES CHOSES, AFIN QU’ELLES INSTRUISENT LES JEUNES FEMMES A ÊTRE MODESTES, A AIMER LEURS MARIS, A AIMER LEURS ENFANTS, A ÊTRE SAGES, PURES, GARDANT LA MAISON, BONNES, SOUMISES A LEURS MARIS, AFIN QUE LA PAROLE DE DIEU NE SOIT POINT BLASPHÉMÉE. (II, 2-5, JUSQU’À 10) Analyse.
- 1. Les vices des vieillards.
- 2. Que la concorde d’un époux est un très grand bien.
- 3. De l’heureuse influence que peuvent exercer sur leurs maîtres, les esclaves qui vivent en bons chrétiens.
- 4 et 5. Excellents avis aux serviteurs. – Le saint orateur leur propose l’exemple du patriarche Joseph.
1. La vieillesse a certains vices que n’a pas la jeunesse, et certains autres qui lui sont communs avec elle. Elle est paresseuse lente, oublieuse, elle a les sens émoussés, elle est colère. C’est pourquoi l’apôtre prescrit aux vieillards d’être sobres et vigilants. Car il y a beaucoup d’obstacles qui entravent leur vigilance dans cet âge avancé, et tout d’abord cette torpeur des sens que je viens d’indiquer et qui fait qu’ils s’éveillent difficilement, qu’ils se mettent difficilement en mouvement ; aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Graves prudents ». Saint Paul parle donc de la prudence, et cette vertu peut être en quelque sorte appelée la sauvegarde de l’âme. Il y a oui il y a même parmi les vieillards des hommes qui se laissent emporter à la fureur et à la démence, les uns à la suite de l’ivresse, les autres à cause de leurs chagrins ; car la vieillesse nous apporte la pusillanimité. – « Sains en la foi, en la charité et en la patience ». L’apôtre dit très bien :« Et en la patience ». C’est là en effet une qualité qui convient particulièrement à la vieillesse. « De même que les femmes âgées règlent leur extérieur d’une manière convenable », c’est-à-dire qu’elles fassent briller leur modestie par la manière dont elles s’habillent. « Ni médisantes, ni sujettes au vin », c’est là en effet surtout le vice des femmes et des vieillards, car lorsque l’âge nous refroidit, nous aimons passionnément lé vin. C’est pourquoi l’apôtre s’attache surtout à ce point dans les conseils qu’il donne aux femmes âgées, il veut extirper partout l’ivrognerie, leur enlever ce défaut, et écarter d’elles le rire qui les suit lorsqu’elles ont bu. Les vapeurs du vin leur montent plus facilement à la tête, et attaquent très vite les membranes du cerveau grâce à l’affaiblissement de l’âge : c’est de là surtout que vient l’ivresse. C’est principalement à cet âge qu’il est besoin de vin, car la vieillesse est débile ; mais il n’en faut pas beaucoup, et il en est de même pour les jeunes femmes, non par la même raison, mais parce que le vin allume en elles les désirs coupables. « Qu’elles enseignent de bonnes choses », et cependant l’apôtre leur défend d’enseigner : comment donc le leur permet-il ici lui qui a dit ailleurs : « Je ne permets point à la femme d’enseigner ? » Mais écoutez ce qu’il ajoute : « Ni d’user d’autorité sur son mari ». (1Ti 2,12) En effet il a déjà autorisé les hommes à enseigner l’un : et l’autre sexe ; s’il donne maintenant aux femmes le droit d’enseigner, c’est seulement dans la maison ; mais nulle part il ne veut qu’elles occupent la première place et tiennent de longs discours, et c’est pour cette raison qu’il ajoute : « Ni d’user d’autorité sur son mari ». – « Qu’elles enseignent la prudente aux jeunes femmes », dit-il. 2. Voyez-vous comment saint Paul met l’union et la concorde dans le peuple ? Comment il soumet les jeunes femmes aux femmes âgées ? Car par ces jeunes femmes il n’entend pas seulement leurs filles, mais il parle des droits de la vieillesse. Que toute femme âgée, dit-il, apprenne aux jeunes à être modestes, « à aimer leurs maris », c’est là en effet dans une maison la source de tous les biens. « Que la femme », dit l’Écriture, « soit en bon accord avec le mari ». (Sir 25,1) S’il en est ainsi, il ne naîtra aucun désagrément. En effet, supposez que la tête vive en bonne intelligence avec le corps, et qu’il n’y ait entre eux aucun dissentiment ; tout le reste ne sera-t-il pas en paix ? Lorsque les princes vivent en paix, qui oserait troubler la tranquillité publique ? Mais qu’au contraire ils soient en lutte, rien n’est sans trouble. Il n’y a donc rien de préférable à la concorde des époux, elle est beaucoup plus utile que l’or, la noblesse, la puissance et tous les autres biens. L’apôtre ne, dit pas seulement : Que les femmes vivent en paix, mais : « Qu’elles aiment leurs maris ». Une fois que l’amour unira les époux, aucune difficulté ne s’élèvera entre eux ; et tous les autres biens naîtront de cette bonne entente. « A aimer leurs enfants », cela est très bien dit ! Car celle qui aime l’arbre, aimera bien plus encore les fruits. « Sages, pures, gardant la maison, bonnes » : tout vient de l’amour, et si les femmes sont bonnes, si elles prennent soin de leur maison, c’est parce qu’elles aiment leurs maris. « Soumises à leurs maris, afin que la parole de Dieu ne soit point blasphémée » : car celle qui dédaigne son mari, n’a pas soin de sa maison non plus ; c’est de l’amour que provient la sagesse, c’est l’amour qui termine tout dissentiment ; l’amour persuadera facilement le mari, si c’est un gentil, et le rendra meilleur, si c’est un chrétien. Voyez-vous la condescendance de l’apôtre ? Il n’y a rien qu’il ne fasse pour nous arracher aux affaires du monde et le voici maintenant qui prend le plus grand souci du ménage des époux. C’est que si tout est en bon ordre dans la maison, les choses de l’ordre spirituel auront aussi leur place, autrement l’âme elle-même sera ravagée. La femme qui reste chez elle ne peut qu’être sage, la femme qui reste chez elle ne peut qu’être habile à gouverner sa famille ; elle ne s’appliquera pas à vivre dans la mollesse, à dépenser sans motif, ni à faire rien de semblable. « Afin que la parole de Dieu ne soit pas blasphémée ». Le voyez-vous ? il pense à la prédication et non aux choses du siècle. Dans son épître à Timothée il y a ces paroles : « Afin que nous puissions mener une vie paisible et tranquille en toute piété et honnêteté ». (1Ti 2,2) Ici, que dit-il ? « Afin que la parole de Dieu ne soit point blasphémée ». S’il arrive en effet qu’une chrétienne mariée avec un infidèle ne soit pas vertueuse, il s’élève souvent de là des blasphèmes contre Dieu ; mais si elle a l’ornement de la vertu, la prédication tire gloire et d’elle et de ses bonnes œuvres. Qu’elles m’entendent, celles qui sont mariées avec des hommes pervers ou avec des infidèles ; qu’elles m’entendent et qu’elles sachent que par leurs bonnes mœurs elles les mèneront à la piété. Quand vous ne pourriez pas remporter d’autre victoire, quand vous ne pourriez pas les pousser à partager votre foi en nos saints dogmes, du moins vous leur fermerez la bouche, et ne les laisserez pas tourner leurs blasphèmes contre le christianisme. Cela n’est pas un petit résultat, il est immense, puisque par votre conduite vous leur ferez admirer notre religion. « Exhorte aussi les jeunes gens à être sobres ». Voyez-vous comme l’apôtre veut toujours que la bienséance soit observée ; tout à l’heure il a confié en grande partie aux femmes l’instruction des femmes, en soumettant les jeunes femmes aux femmes âgées, mais pour l’enseignement des hommes, il le remet à Tite. Car rien, non rien ne peut être plus difficile et plus pénible à cet âge, que de triompher des plaisirs coupables. Ni la passion des richesses, ni le désir de la gloire, ni rien enfin ne trouble autant cet âge que l’amour sensuel. Aussi l’apôtre laisse-t-il de côté tout le reste, pour ne s’attacher qu’à ce seul point dans son exhortation. Il ne néglige cependant pas le reste, car que dit-il ? « Montre-toi toi-même pour modèle de bonnes œuvres en toutes choses ». L’entendez-vous ? Que les femmes âgées, dit-il, enseignent les plus jeunes, mais toi, exhorte les jeunes gens à être tempérants. Que ta vie soit une éclatante leçon, un exemple de vertu, qu’elle soit exposée à tous les yeux, comme un type qui contienne en lui tout ce qu’il y a de beau et qui puisse donner très facilement le modèle de toutes les qualités à ceux qui voudront se former sur lui : « Montre-toi toi-même pour modèle de bonnes œuvres en toutes choses, en une doctrine exempte de toute altération, en intégrité, en gravité, en paroles saintes qu’on ne puisse pas condamner, afin que celui qui nous est contraire soit rendu confus n’ayant rien à dire de nous ». 3. Par « celui qui nous est contraire », il faut entendre le diable et tous ceux qui le servent. Lorsque notre vie est belle, que nos paroles s’accordent avec nos actions, que nous sommes modérés, doux, bienveillants, et que nous ne donnons aucune prise à nos adversaires, n’avons-nous pas les plus grands biens, des biens ineffables ? Quelle n’est donc pas l’utilité du ministère de la parole, je ne dis pas de toute parole, mais d’une parole sainte, irrépréhensible et qui n’offre aucune prise à nos adversaires ! – « Que les serviteurs soient soumis à leurs maîtres, leur complaisant en toutes choses ». Mais voyez ce qui a été dit auparavant : « Afin que celui qui nous est contraire soit rendu confus, n’ayant aucun mal à dire de nous ». Il est donc blâmable celui qui sous prétexte de continence sépare les femmes de leurs maris, et de la même manière enlève les esclaves à leurs possesseurs. Ce n’est plus avoir une doctrine saine et irréprochable, c’est au contraire donner prise aux infidèles contre nous, c’est exciter contre nous toutes les langues. – « Que les serviteurs », dit-il, « soient soumis à leurs maîtres, leur complaisent en toutes choses, n’étant point contredisants, ne détournant rien, mais faisant toujours paraître une grande fidélité, afin de rendre honorable en toutes choses la doctrine de Dieu notre Sauveur ». Aussi disait-il avec raison dans un autre passage : « Qu’ils servent comme s’ils servaient le Seigneur et non pas les hommes ». (Eph 6,7) Je veux que vous serviez votre maître avec amour ; cet amour néanmoins vient de la crainte de Dieu, et celui qui, possédé d’une telle crainte, sert fidèlement son maître, recevra les plus grandes récompenses. S’il ne sait ni arrêter sa main, ni contenir sa langue, comment le gentil admirera-t-il notre doctrine ? Si au contraire on voit qu’un esclave, sage en Jésus-Christ, montre plus de force d’âme que les sages du monde, et qu’il sert avec la plus grande douceur sans aucun mauvais sentiment, de toute manière il faudra qu’on admire la puissance de la prédication. Car les gentils ne jugent pas de nos dogmes par nos dogmes mêmes, ces dogmes ils les apprécient d’après nos actions et notre conduite. Que les femmes et les enfants soient donc pour eux des docteurs par leur vie et par leurs mœurs. Chez eux comme partout on convient que les esclaves sont effrontés, difficiles à former et à conduire, et très peu propres à recevoir l’enseignement de la vertu : ce n’est point par nature qu’ils sont tels, loin de moi cette idée, c’est par leur genre de vie et la négligence des maîtres. Car ceux-ci ne leur demandent qu’une chose, c’est qu’ils les servent ; pour leurs mœurs, si par hasard ils essaient de les corriger, ils le font en vue de leur propre tranquillité, et à cette seule fin qu’ils ne leur créent point d’embarras en se prostituant, en volant, en s’enivrant. Aussi comme ils sont négligés et qu’ils n’ont personne qui veille sur eux, il arrive qu’ils se jettent dans un abîme de perversité. Parmi les hommes libres, malgré les instances du père, de la mère, du pédagogue, du nourricier, des compagnons d’âge, malgré la voix même de la liberté, c’est à peine s’il en est qui peuvent éviter le commerce des méchants. Qu’adviendra-t-il donc de ceux qui, privés de tous ces secours, mêlés à des compagnons pervertis, et pouvant fréquenter tous ceux qu’il leur plaît, tandis que personne ne se soucie de leur amitié, je le demande, qu’en adviendra-t-il ? C’est pour cela qu’il est difficile qu’un esclave soit homme de bien. Du reste ils ne reçoivent aucun enseignement, ni chrétien, ni profane. Ils ne vivent pas avec des hommes libres, pleins de décence et ayant le plus grand souci de leur réputation. Pour tous ces motifs il est très rare, il est merveilleux qu’un esclave devienne jamais bon à quelque chose. Si donc on voit que la prédication a eu la force d’imposer un frein à des hommes si effrontés, et qu’elle les a rendus plus tempérants et plus doux que tous les autres, leurs maîtres, quand ils seraient les derniers pour l’intelligence, concevront une grande idée de la beauté de nos dogmes. Car il est évident que, la crainte de la résurrection du jugement dernier et des autres châtiments que nous annonçons pour la vie future, a pris racine dans leur âme et en a chassé la perversité qui y était si puissante. C’est ainsi, en effet, que nous opposons au plaisir que procurent les vices une salutaire terreur. Ce n’est pas sans raison, sans motif que les maîtres tiennent partout compté de ces grands effets : plus leurs esclaves ont été pervers, et plus la puissance de la prédication est admirable dans leur conversion. Quand disons-nous qu’un médecin est digne d’admiration ? N’est-ce pas quand il ramène à la santé, quand il guérit un malade désespéré, privé de tout secours, n’ayant pas la force de contenir ses passions intempestives, et s’y abandonnant tout entier ? Voyez encore ce que l’apôtre exige des serviteurs, c’est ce qui peut apporter le plus de tranquillité aux maîtres : « Ni contredisants, ni ne détournant rien », c’est-à-dire, qu’ils doivent montrer beaucoup de bon vouloir dans tout ce qu’on leur donne à faire, avoir les meilleurs sentiments à l’égard de leurs maîtres et obéir à leurs ordres. 4. Ne croyez pas qu’en continuant à traiter ce sujet, je marche à l’aventure ; car c’est sur les serviteurs que roule tout le reste de mon discours. Ainsi donc, mon ami, ce qu’il te faut penser, c’est que tu sers non pas un homme, mais Dieu, parce que tu es l’ornement de la prédication. De la sorte tu supporteras facilement toutes choses, tu obéiras à ton maître et tu ne te révolteras, point parce qu’il sera mécontent et colère sans un juste motif. Songe en effet que ce n’est pas une grâce que tu lui fais, mais que tu suis le commandement de Dieu, et tu te soumettras facilement à tout. Mais ce que je ne cesse de répéter, je le dirai ici encore : Ayez d’abord les biens spirituels, et vous aurez encore par surcroît les biens terrestres. Car si un esclave se conduit ainsi, s’il a tout ce bon vouloir et toute cette douceur, ce n’est pas seulement Dieu qui l’approuvera et qui lui donnera les plus éclatantes couronnes ; mais son maître même, à l’égard duquel il agit si bien, quand ce serait un monstre, quand il aurait un cœur de pierre, quand il serait inhumain et cruel, le louera, l’admirera, le préférera à tous les autres, et, tout gentil qu’il sera, le placera à la tête de ses compagnons. Oui, lors même que les maîtres sont infidèles, il faut que les serviteurs tiennent cette conduite, et, si vous le voulez, je vais vous le, prouver par un exemple. Joseph a été vendu au chef des cuisiniers, il suivait la religion juive, et non l’égytienne. Qu’arriva-t-il donc ? Lorsque le maître eut reconnu la vertu du jeune homme, il ne fit point attention à la différence de leurs croyances, mais il l’aima, le chérit, l’admira, lui confia, la direction des autres esclaves, au point qu’il ne savait rien par lu !-même de ce qui se passait dans sa propre maison ; Joseph était un second maître, et même il était plus maître que celui qui l’avait acheté, puisque celui-ci ne connaissait pas l’état de ses affaires et que Joseph le connaissait mieux que lui. Lorsque plus tard ce maître crut aux indignes calomnies qu’une femme coupable dirigeait contre lui, il me semble que c’est à cause du respect et de l’estime qu’il avait eus autrefois pour ce juste, qu’il arrêta l’effet de sa colère à la peine de la prison seulement. S’il ne l’avait pas tellement respecté et admiré pour sa conduite d’autrefois, il l’aurait tué aussitôt et lui aurait passé l’épée au travers du corps « Car la jalousie est une fureur de mari qui n’épargnera point l’adultère au jour de la vengeance ». (Pro 6,54) Si telle est la jalousie dans tout mari, combien plus grande ne devait-elle pas être dans celui-ci, qui était Égyptien, barbare, et qui croyait avoir été blessé dans son honneur par celui qu’il avait élevé en dignité ? Vous le savez en effet, toutes les injures qu’on nous fait ne sont pas également cruelles, notre indignation s’élève avec plus d’amertume contre ceux qui d’abord ont eu pour nous de bons sentiments, en qui nous avons eu confiance, qui nous ont été fidèles et qui ont reçu de nombreux bienfaits de nous. Le maître de Joseph ne s’est pas dit en lui-même : Quoi donc ? Voilà un esclave que j’ai accueilli ; je lui ai confié toute ma maison, je lui ai donné sa liberté, je l’ai fait plus grand que moi, et c’est ainsi qu’il me répond ! Il ne s’est rien dit de tout cela, tant il était encore tenu par la considération qu’il avait eue pour lui. Qu’y a-t-il d’étonnant qu’ayant été si honoré dans cette maison il ait inspiré tant d’intérêt même dans les fers ? Vous savez combien sont ordinairement cruels les gardiens des prisons. Ils prélèvent un tribut sur les malheurs d’autrui, et les infortunés que d’autres prendraient soin de nourrir, ils les déchirent pour faire des gains dignes de bien des larmes, avec plus de cruauté que des bêtes féroces. Dans les maux qui devraient émouvoir leur pitié, ils ne voient qu’une occasion de gagner dé l’argent. Ce n’est pas tout. Ils n’ont pas la même conduite envers tous ceux qui sont jetés en prison. Car pour ceux qui ont été les victimes de la calomnie, qui n’ont été que diffamés et qu’on a emprisonnés pour cela, il peut leur arriver d’en avoir ensuite pitié. Mais ceux qui ont été jetés dans les fers pour les forfaits les plus odieux, les plus révoltants, ils les déchirent de mille coups. Ainsi ils ne sont pas seulement cruels par nature, ils le sont encore d’après les motifs qui ont fait mettre en prison un infortuné. Qui en effet cet adolescent n’aurait-il pas excité contre lui, lorsqu’après avoir été élevé à une telle dignité, il était soupçonné d’avoir tenté de violer sa maîtresse et d’avoir répondu ainsi à tant de bienfaits ? En s’arrêtant à ces pensées, en voyant les anciens honneurs dont il avait été précipité et les raisons pour lesquelles il avait été jeté dans les fers, le gardien de la prison ne devait-il pas s’attaquer à Joseph avec plus de férocité qu’une bête sauvage ? Mais son espoir en Dieu triompha de tout : c’est ainsi que la vertu sait apaiser les monstres eux-mêmes. La même douceur qui lui avait servi à s’emparer de l’esprit de son maître, lui servit à s’emparer de l’esprit de son gardien. De nouveau, Joseph avait le pouvoir, et il commandait dans la prison comme il avait fait dans le palais. Comme il devait régner, c’est avec raison qu’il a d’abord appris à obéir : même lorsqu’il était esclave il donnait des ordres et il gouvernait la maison de son maître. 5. Écoutez ce que saint Paul exige de celui qu’on prépose au gouvernement de l’Église, il dit : « Si quelqu’un ne sait pas conduire sa propre maison, comment pourrait-il gouverner l’Église de Dieu ? » (1Ti 3,5) Il était bon que celui que Dieu allait élever au gouvernement d’un grand empire, se signalât d’abord par la conduite d’une maison, et ensuite d’une prison que Joseph gouverna, non comme une prison, mais comme une maison. Il consolait toutes les afflictions, et dans son autorité sur les prisonniers il agissait comme s’il se fût agi de ses propres membres. Il ne se contentait pas de tout faire pour les relever lorsqu’ils étaient abattus par les malheurs, mais s’il voyait quelqu’un absorbé dans ses réflexions, il s’approchait pour lui en demander la cause, car il ne pouvait pas voir un homme triste sans essayer aussitôt de le délivrer de sa tristesse : personne n’est si sensible même à l’égard d’un fils. C’est par là qu’a commencé sa fortune. Il faut en effet faire d’abord ce que nous pouvons, Dieu agit ensuite. Quant à là compassion et à la sollicitude dont il a fait preuve, en voici un exemple : Il vit, dit l’Écriture, les eunuques mis dans les fers par Pharaon, c’étaient le grand échanson et le grand panetier. « Pourquoi », leur demanda-t-il,« vos visages sont-ils tristes ? » (Gen 40,7) Leur conduite à son égard non moins que ses paroles, prouve sa vertu. Ils ne l’ont ni méprisé parce qu’ils étaient serviteurs du roi, ni repoussé parce qu’ils étaient tristes et affligés, mais ils lui ont raconté toute leur histoire comme à un véritable frère qui savait compatir à toutes les souffrances. Si je suis entré dans ces développements, c’est pour montrer que l’homme vertueux, quand il serait esclave, quand il serait prisonnier, quand il serait dans les fers, quand il serait sous la terre, ne trouvera jamais rien qui puisse triompher de lui. Voilà ce que j’avais à dire aux esclaves, pourquoi ? Parce que, eussent-ils pour maître une bête sauvage comme l’Égyptien, féroce comme le gardien d’une prison, il leur sera cependant possible dé les fléchir. Quand leurs maîtres seraient des gentils comme ceux-ci, ils trouveront toujours le moyen de les adoucir. C’est qu’il n’y a rien de plus avenant que les bonnes mœurs, rien de plus agréable et de plus doux qu’un caractère facile, obéissant et ami des convenances : quand on a ces qualités on plaît à tout le monde ; quand on a ces qualités, on ne rougit ni de l’esclave ni de la pauvreté, ni de l’impuissance, ni de la maladie ; car la vertu triomphe de tout, est supérieure à tout. Que si les esclaves ont ainsi tant de force, combien plus encore n’en auront pas les hommes libres l Appliquons-nous donc à mener une telle vie que nous soyons libres ou esclaves, hommes ou femmes. Par là nous serons aimés de Dieu et des hommes, non des hommes vertueux seulement, mais encore des méchants, et de ceux-ci surtout ; car ce sont ceux-ci qui honorent et respectent Le plus la vertu. Les esclaves ne tremblent-ils pas davantage sous des maîtres modérés ? Il en est de même des méchants à l’égard des bons, car ils voient de quels biens ils se privent eux-mêmes. Puis donc que la vertu offre de si grands avantages, suivons-la. Si nous l’acquérons, nous ne trouverons plus rien de pénible, tout nous sera facile, tout nous sera léger. Quand nous devrions passer soit au milieu des flammes, soit au milieu des flots, tout cédera à la vertu, jusqu’à là mort elle-même. Qu’elle excite donc notre émulation et nos efforts pour que nous obtenions les récompenses futures en Jésus-Christ Notre-Seigneur. HOMÉLIE V.
CAR LA GRACE DE DIEU, SALUTAIRE A TOUS LES HOMMES, A ÉTÉ MANIFESTÉE. NOUS ENSEIGNANT QUE, EN 8ENONÇANT A L’IMPIÉTÉ ET AUX PASSIONS MONDAINES, NOUS VIVIONS DANS CE PRÉSENT SIÈCLE SOBREMENT, JUSTEMENT ET RELIGIEUSEMENT ; EN ATTENDANT LA BIENHEUREUSE ESPÉRANCE ET L’AVÈNEMENT DE LA GLOIRE DU GRAND DIEU ET NOTRE SAUVEUR JÉSUS-CHRIST, QUI S’EST DONNÉ LUI-MÊME POUR NOUS, AFIN DE NOUS RACHETER DE TOUTE INIQUITÉ ET DE NOUS PURIFIER, POUR LUI ÊTRE UN PEUPLE QUI LUI APPARTIENNE EN PROPRE, ET QUI SOIT ZÉLÉ POUR LES BONNES ŒUVRES. (II, 11, 12, 13, 14, JUSQU’A III, 7) Analyse.
- 1. Effets de la grâce de Dieu. – Passions mondaines.
- 2. Contre la cupidité et l’avarice. – Contre ceux qui soutiennent que le Fils est moindre que le Père.
- 3. Qu’il ne faut pas user de propos injurieux.
- 4. État du monde avant Jésus-Christ, et à ce propos, histoire d’Androgée et de Minos.
- 5. Nous devons porter tout le monde à la vertu, quelque outrage qu’on nous fasse. – On doit être plus soigneux des maladies de l’âme que de celles du corps.
1. Après avoir exigé des serviteurs une grande vertu (car c’est une grande vertu que d’être en toutes choses un ornement pour la doctrine de Dieu notre Sauveur, et que de ne donner à ses maîtres aucune occasion de se plaindre même pour les plus petites choses), l’apôtre donne un juste motif de la conduite qu’ils doivent tenir. Et quel est ce motif ? C’est que, dit-il, « la grâce de Dieu, salutaire à tous les hommes, a été manifestée ». Comment ceux qui ont Dieu pour docteur ne seraient-ils pas tels que je viens de le dire, après avoir déjà trouvé grâce pour mille fautes ? Car vous le savez : entre autres considérations, il y en a une quia le plus grand poids pour détourner l’âme du mal et la faire rougir d’elle-même, c’est de voir que malgré les mille péchés dont elle doit compte, bien loin d’être punie, elle trouve grâce et obtient mainte faveur. Dites-moi en effet, si quelqu’un après avoir subi mille offenses de la part de son esclave, ne le fait point battre de verges, mais lui accorde son pardon pour tout le passé, lui dit de craindre le châtiment pour l’avenir, lui recommande de prendre garde de retomber dans les mêmes errements, puis le comble de grands biens, y a-t-il quelqu’un selon vous, qui ne change pas de conduite en s’entendant pardonner ainsi ? Ne croyez pas cependant que la grâce s’arrête au pardon des péchés déjà commis ; elle nous prémunit encore pour l’avenir, car c’est là aussi un de ses effets. Si ceux qui font le mal ne devaient jamais être punis, ce ne serait plus là de la grâce, ce serait une manière de nous exciter à courir à notre ruine et à notre perte. Car « la grâce de Dieu, salutaire à tous les hommes, a été manifestée : nous enseignant que, renonçant à l’impiété et aux passions mondaines, nous vivions dans le présent siècle sobrement, justement et religieusement, en attendant la bienheureuse espérance et l’apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ ». Voyez-vous comme à côté des récompenses il place la vertu ? De plus c’est bien là l’effet de la grâce de nous arracher aux biens terrestres pour nous conduire au ciel. L’apôtre nous montre ici deux avènements, et il y en a deux en effet, l’un de grâce, l’autre de rétribution ou de justice. – « Renonçant à l’impiété et aux passions mondaines ». C’est là le résumé de toute la vertu. Il ne dit pas : Fuyant l’impiété, mais – « Renonçant à l’impiété ». Le renoncement montre un grand éloignement, une grande haine, une grande aversion. Détournons-nous, dit-il, de la perversité et des passions du siècle avec toute l’ardeur du zèle que nous mettons à nous éloigner des idoles car ce sont aussi des idoles que les passions du siècle, que la cupidité : et c’est ce qu’il appelle de l’idolâtrie. Toutes nos passions pour les biens qui regardent la vie présente sont des passions du siècle, tous nos désirs pour des biens qui périssent dans ce bas monde, sont des désirs mondains. Rejetons-les tous, car le Christ est venu pour que nous renoncions à l’impiété : par impiété il entend les fausses doctrines, par passion du siècle il entend une vie coupable. « Afin que nous vivions dans ce présent siècle sobrement, justement et religieusement ». 2. Voyez-vous ce que je vous dis toujours, c’est que pour être sobre il ne suffit point de s’abstenir de toute fornication, mais qu’il faut encore être pur de tout autre vice ? Ainsi donc celui qui aime l’argent n’est pas sobre. Car de même que l’un aime les plaisirs charnels, de même l’autre aime l’argent, et même celui-ci a moins encore de continence, puisqu’il cède à une moins grande violence. On ne dirait pas d’un cocher qu’il est inhabile, parce qu’il ne saurait pas contenir un cheval impétueux et sans frein, mais parce qu’il ne saurait pas en soumettre un qui serait plein de douceur. Quoi donc, direz-vous, la passion de l’or est-elle moins forte que l’amour des plaisirs charnels ? Cela est évident pour tout le monde, et il y a beaucoup d’arguments à l’appui. D’abord le désir des plaisirs de la chair unit nécessairement en nous, or l’on sait que l’on ne peut se corriger que très difficilement d’une passion que la nécessité nous impose, car elle a son siège dans notre nature même. En second lieu chez les anciens on tenait très peu de compte, de l’argent ; mais on n’avait pas la même indifférence pour les femmes. Si quelqu’un s’approche de sa femme jusque dans la vieillesse, comme le permettent les lois, personne ne l’en blâmera, mais tous reprennent celui qui amasse de l’argent. Parmi les philosophes profanes, beaucoup ont méprisé les richesses sans avoir le même dédain pour les femmes, tellement l’amour qu’elles nous inspirent est tyrannique. Mais puisque nous parlons à l’assemblée des fidèles, n’allons pas chercher nos exemples au-dehors, tirons-les de l’Écriture. Voici ce que dit le bienheureux Paul, en quelque sorte sous forme de précepte impératif : « Ayant la nourriture et le vêtement, que cela nous suffise ». (1Ti 6,8) Quant aux époux : « Ne vous privez point l’un de l’autre », dit-il, « si ce n’est par un consentement mutuel ; mais après cela retournez ensemble ». (1Co 7,5) Vous pouvez le voir donner souvent des préceptes sur le commerce légitime des époux. Il permet qu’on jouisse de ces plaisirs de la chair, et tolère les secondes noces. C’est là un point qui excite toute sa sollicitude, et jamais il ne châtie pour cela, tandis qu’il condamne partout celui qui a la passion de l’or. Le Christ en effet nous a souvent donné des préceptes sur les richesses, nous engageant à fuir cette peste, mais il n’en est pas de même pour le commerce des époux. Écoutez ce qu’il dit des richesses : « S’il y en a un qui ne renonce pas à tout ce qu’il a, il ne peut être mon disciple ». (Luc 15,33) Nulle part il ne dit : S’il y en a un qui ne renonce pas à sa femme, car il savait – combien cet amour est fortement enraciné dans la nature. Pour l’apôtre il s’exprime ainsi : « Le mariage est honorable et le lit conjugal sans souillure ». (Heb 13,4) En aucun endroit il ne dit que le souci de devenir riche est honorable, bien au contraire. Écoutez-le dans son épître à Timothée : « Ceux qui veulent devenir riches, tombent dans la tentation et dans le piège, et en plusieurs désirs fous et nuisibles ». (1Ti 6,9) Il ne dit pas amasser de l’argent, mais : « Devenir riches », et pour que vous en jugiez par le sens commun, il est nécessaire de donner ici quelques développements. Celui qui une fois s’est vu privé de toute sa fortune n’est plus tenu par la passion de l’or ; car rien ne nous donne l’amour des richesses comme leur possession même. Les choses ne se passent pas ainsi pour l’amour des femmes : au contraire beaucoup ont été faits eunuques, mais n’ont pas pu éteindre la flamme intérieure qui les dévorait : c’est que la concupiscence réside dans d’autres organes que ceux dont on les avait privés, et qu’elle est placée dans le fond même de notre nature. Pourquoi ai-je dit tout cela ? C’est pour montrer que les hommes cupides sont plus intempérants que les débauchés, parce qu’ils sont troublés par une passion moins forte ; encore n’est-ce pas à proprement parler de la passion, c’est de la lâcheté. La concupiscence est si naturelle que ne s’approchât-on point d’une femme, la nature n’en agirait pas moins : mais il n’y a rien de tel pour l’amour de l’or. « Que nous vivions religieusement dans le présent siècle ». Quelle espérance avons-nous donc ? Quelles récompenses obtiendrons-nous pour nos labeurs ? « En attendant », dit-il, « la bienheureuse espérance et l’avènement » : assurément on ne peut y voir rien de plus heureux, rien de plus désirable : ce sont là des biens que les paroles sont impuissantes à rendre, car ils dépassent la pensée. « En attendant », dit-il, « la bienheureuse espérance et l’avènement de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ ». Où sont ceux qui prétendent que lé Fils est inférieur au Père ? « Notre grand Dieu et Sauveur », dit-il. Lui qui a sauvé ses ennemis, que ne fera-t-il point lorsqu’il recevra dans le ciel ceux qui auront bien agi ? « Notre grand Dieu ». En disant notre grand Dieu, il ne dit pas à quel point il est grand, il l’appelle grand d’une manière absolue. Au-dessous de lui personne ne pourra véritablement être appelé grand, car il sera grand par rapport à quelque chose, et celui qui est grand par comparaison, n’est pas grand par sa propre nature. Or ici le mot grand est employé sans comparaison. « Qui s’est donné lui-même pour nous afin de nous racheter de toute iniquité et de nous purifier pour lui être un peuple qui lui appartienne en propre et qui soit zélé pour les bonnes œuvres », c’est-à-dire un peuple élu et qui n’ait rien de commun avec les autres. « Zélé four les bonnes œuvres ». Voyez-vous comme on exige de vous les bonnes œuvres ? et on ne nous demande pas seulement des bonnes œuvres, on veut que nous soyons zélés, c’est-à-dire que nous nous portions à la vertu avec la plus grande ardeur, avec toute la véhémence désirable. Ainsi, s’il en a arraché plusieurs aux maux qui les accablaient, à l’incurable maladie qui les travaillait, ç’a été un effet de sa bonté. Pour ce qui suivra, c’est notre affaire et la sienne. – « Enseigne ces choses, exhorte et reprends avec toute autorité. – Enseigne ces choses et exhorte ». 3. Voyez quels préceptes il adresse à Timothée : « Prêche la parole, reprends, censure ». (2Ti 4,2) Il dit ici : « Enseigne ces choses, exhorte et reprends avec toute autorité ». Comme les Crétois étaient d’un naturel plus indocile, l’apôtre dit à son disciple d’employer la sévérité et de reprendre avec toute autorité. Il y a en effet des péchés qu’il faut réprimer d’autorité. Ainsi pour les richesses, c’est par des exhortations qu’il faut persuader aux hommes de les mépriser ; il faut se servir des mêmes moyens pour engager les auditeurs à être doux et honnêtes. Mais a-t-on affaire à un adultère, à un débauché, à un homme passionné pour les richesses, il est nécessaire d’user d’autorité afin de les convertir. Pour celui qui observe les présages, qui s’adonne à la divination et autres choses semblables, ce n’est pas seulement avec autorité, c’est avec toute autorité qu’on doit les ramener dans la bonne voie. Voyez-vous comme l’apôtre veut que Tite commande avec la plus grande autorité, la plus grande puissance ? « Que personne ne te méprise. Avertis-les d’être soumis aux principautés et aux puissances, d’obéir aux gouverneurs, d’être prêts à faire toutes sortes de bonnes actions, de ne médire de personne, de n’être point querelleurs ». (III, 1) Quoi donc ? N’est-il pas permis de couvrir d’injures ceux qui ont une mauvaise conduite ? « D’être prêts à faire toutes sortes de bonnes actions, de ne médire de personne ». Écoutons cette exhortation : « De ne médire de personne ». Notre bouche doit être pure de toute injure ; quand nos accusations seraient fondées, ce n’est pas à nous à les élever, c’est au juge à examiner les choses : « Mais toi, dit-il, pourquoi juges-tu ton frère ? » (Rom 14,10) Si elles ne sont pas fondées, voyez à quelles flammes terribles vous vous exposez Entendez l’un des larrons dire à l’autre : « Nous sommes dans la même condamnation », nous courons les mêmes risques. Si vous dites du mal des autres, bientôt vous-même vous serez en butte à des attaques semblables. C’est pourquoi saint Paul nous avertit en ces termes : « Que celui donc qui croit rester debout, prenne garde qu’il ne tombe ». (1Co 10,12) « De n’être point querelleurs, mais retenus et montrant une parfaite douceur envers tous les hommes », c’est-à-dire envers les gentils et les juifs, les criminels et les méchants. Plus haut en effet il nous effrayait en parlant de l’avenir : « Que celui donc qui croit rester debout, prenne garde qu’il ne tombe » ; mais ici il nous exhorte non en parlant de l’avenir, mais en rappelant le passé, c’est ce qu’il fait dans ce qui suit : « Car nous étions aussi autrefois insensés » ; et de même dans l’épître aux Galates : « Nous aussi, lorsque nous étions enfants, nous étions asservis sous les rudiments du monde ». (Gal 4,3) C’est comme s’il disait : Tu ne feras de reproches à personne, car toi aussi tu as tenu la même conduite. « Car nous étions aussi autrefois insensés, rebelles, égarés, asservis à diverses convoitises et voluptés, vivant dans la malice et dans l’envie, dignes d’être haïs, et nous haïssant l’un l’autre ». Nous devons donc être les mêmes avec tous et nous conduire avec douceur. Car celui qui s’est trouvé dans l’état dont parle l’apôtre, et qui ensuite a été délivré, ne doit pas accabler les méchants d’outrages, mais prier pour eux et rendre grâces à Dieu, qui lui a permis, à lui et aux autres, de se délivrer de leurs anciens maux. Que personne ne se glorifie, car tous ont péché. Lors donc que vous voudrez couvrir quelqu’un de boue, interrogez-vous avec équité, pensez à la conduite que vous avez tenue, à l’incertitude où vous êtes sur votre avenir, et retenez votre indignation. Quand vous auriez cultivé la vertu dès vos premières années, vous auriez cependant commis encore beaucoup de fautes ; et si vous êtes purs, songez que vous ne le devez point à votre vertu, mais à la grâce de Dieu ; car s’il n’avait pas appelé à lui vos aïeux, vous seriez infidèles. Voyez comme l’apôtre parcourt tout le domaine de la perversité. Dieu ne nous a-t-il pas dispensé, mille grâces par les prophètes, par tous les hommes ? Et l’avons-nous entendu ? « Car nous étions aussi autrefois égarés ; mais quand la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour envers les hommes ont été manifestés, il nous a sauvés » ; comment cela ? « Non par des œuvres de justice que nous eussions faites, mais selon sa miséricorde, par le baptême de la régénération et le renouvellement du Saint-Esprit ». Eh quoi ! nous étions tellement plongés dans le vice, que nous ne pouvions nous purifier, mais que nous avions besoin de régénération ! C’est là en effet une régénération. Car lorsqu’une maison menace ruine, personne n’y met de support, ni ne répare les vieux bâtiments, mais on les renverse de fond en comble pour les relever et les renouveler. Il en est de même de Dieu : il ne répare pas un vieil édifice, il le reconstruit jusque dans ses fondements ; c’est ce que veulent dire ces paroles : « Et le renouvellement du Saint-Esprit » ; il nous fait neufs depuis les pieds jusqu’à la tête, comment ? par le Saint-Esprit. C’est ce que l’apôtre montre encore d’une autre manière en ajoutant : « Lequel il a répandu en nous abondamment par Jésus-Christ notre Sauveur ». Ainsi nous avons un grand besoin de la miséricorde de Dieu. « Afin qu’ayant été justifiés par sa grâce », c’est encore par sa grâce et non par nos mérités, « nous soyons les héritiers de la vie éternelle « selon notre espérance ». Il y a là tout à la fois exhortation à l’humilité et espérance des récompenses futures. Car si Dieu nous a sauvés, lorsque nous étions dans un état tellement désespéré qu’il nous fallait être renouvelés et sauvés par la grâce, puisque nous n’avions pas un seul bien en propre, à combien plus forte raison ne nous sauvera-t-il pas dans l’avenir ? 4. Il n’y avait rien de pire que la férocité humaine avant la venue de Jésus-Christ ; presque tous les hommes étaient en inimitié ou en guerre les uns avec les autres ; les pères égorgeaient leurs fils, les mères entraient en fureur contre leurs enfants : il n’y avait rien de fixe, pas de loi naturelle, pas de loi écrite, tout était dans le plus grand désordre, il y avait continuellement des adultères, des meurtres, et des choses plus odieuses que le meurtre, s’il en est, des vols à chaque moment. Un auteur profane dit : Il semblait que lé larcin passât pour vertu, et ce n’est pas étonnant, si l’on voit qu’on adorait un dieu du vol : il y avait souvent des oracles qui ordonnaient de tuer tel ou tel. Raconterai-je un fait qui s’est passé alors ? Androgée, un fils de Minos, étant venu à Athènes, et ayant été vainqueur dans les jeux, subit le supplice et fut tué. Apollon, guérissant le mal par le mal, ordonna que pour le venger on enlèverait quatorze enfants à leurs familles et qu’on les ferait périr. Y a-t-il rien de plus cruel que cette tyrannie ? C’est ce qui fut exécuté. Pour satisfaire la fureur du, dieu, il se trouva un homme qui égorgea ces enfants, car l’erreur régnait parmi ce peuple. Plus tard ils refusèrent ce tribut et brisèrent ce joug. Si cependant ils avaient eu raison d’égorger ces enfants, il ne fallait pas cesser de le faire ; si, air contraire, c’était une injustice criminelle, comme de fait c’en était une, c’était mal de leur donner cet ordre dans le principe. On adorait des lutteurs au pugilat ou à la palestre. Il y avait sans cesse la guerre dans les villes, dans les villages, dans les maisons. Les amours contre nature étaient communs, et un de leurs philosophes a porté une loi par laquelle il défendait aux esclaves ces sortes d’amours et de se frotter d’huile, réservant cela comme un privilège honorable aux hommes libres. Aussi le faisaient-ils au grand jour dans leurs maisons. Si on examine tout ce qui les concerne, on trouvera qu’ils ont insulté à la nature elle-même et que personne n’y mettait obstacle. Tout leur théâtre est rempli de crimes de ce genre, d’adultères et de débauches, d’impureté et de corruption. Il y avait des nuits entières passées dans des veillées abominables, et les femmes étaient appelées à ces spectacles. O souillure ! pendant la nuit, sous tous les yeux il y avait de ces veillées, et les vierges se trouvaient parmi des jeunes gens en délire au milieu d’une multitude ivre. Ces veillées se passaient dans les ténèbres, et on y faisait des actions exécrables. C’est pourquoi l’apôtre dit : « Car nous étions aussi autrefois insensés, rebelles, égarés, asservis à diverses convoitises et voluptés ». Celui-ci, veut-il dire, a aimé sa belle-mère, celle-là a aimé son beau-fils, puis s’est pendue. Car pour l’amour qu’on porte aux enfants, et qu’on appelle la pédérastie, on ne peut pas même en parler. Mais quoi ! voulez-vous voir des fils épouser leurs mères ? c’est ce qui s’est rencontré chez eux, et, ce qui est plus grave, cela arrivait par ignorance ; et leur dieu, bien loin de s’y opposer, se riait de voir la nature outragée, quoique les plus illustres personnages fussent en cause. Mais si ceux qu’on devait s’attendre à voir cultiver la vertu, pour tout le moins dans le désir d’arriver à la gloire, sinon pour un autre motif, étaient si enclins à la perversité, qu’a-t-il dû en être, pensez-vous, de ceux qui menaient une vie obscure ? Qu’y a-t-il de plus inconstant que ces plaisirs ? Voilà une femme qui aime un certain Egisthe, et par condescendance pour cet adultère, elle tue son mari à son retour. Vous connaissez pour la plupart cette histoire. Le fils de la victime fait périr celui qui a souillé la couche de son père, il égorge même sa mère, ensuite il entre en démence et est agité par les furies, puis dans son délire il en tue un autre et lui prend sa femme. Y a-t-il rien qu’on puisse comparer à ces déplorables événements ? J’ai pris du dehors ces exemples pour montrer aux gentils combien de maux ont régné alors sur la terre. Mais, si vous le voulez, je m’en tiendrai aux saintes Écritures : « Ils immolèrent aux démons leurs fils et leurs filles ». (Psa 106,35) De leur côté, les Sodomites n’ont péri que pour avoir outragé la nature par de brutales amours. Au commencement même de la venue du Christ, la fille d’un roi n’a-t-elle pas dansé pendant un repas au milieu d’hommes ivres ? n’a-t-elle pas demandé un meurtre et reçu pour prix de sa danse la tête d’un prophète ? Qui célébrera les bienfaits de Dieu qui a mis fin à ces abominations ? « Dignes d’être haïs et nous haïssant l’un l’autre ». En effet, lorsqu’on lâche la bride au plaisir, ce désordre doit nécessairement exciter partout des haines ; au contraire, là où l’amour est joint à la vertu, personne ne peut rien ravir à personne. Écoutez ce que dit saint Paul : « Ne vous trompez point vous-mêmes ; ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni ceux qui commettent des péchés contre nature, ni les larrons, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs n’hériteront point le royaume de Dieu. Or vous étiez cela, quelques-uns de vous. » (1Co 6,9) Voyez-vous comme tous les genres de perversité étaient répandus, combien il y avait de ténèbres, et comment toute justice était violée ? Car si ceux qui avaient le don de prophétie et qui voyaient d’innombrables vices, soit chez les autres peuples soit dans le leur, ne se modéraient pas cependant, mais commettaient mille fautes nouvelles, que ne devaient pas faire les autres ? En Grèce, un législateur a ordonné que les jeunes filles combattraient nues sous les yeux des hommes. Combien n’avez-vous pas gagné en vertu, puisque vous ne pouvez pas même entendre parler de ces choses ? Voilà cependant ce dont ne rougissaient pas les philosophes, même l’un d’entre eux et le plus grand, va jusqu’à conduire les femmes à la guerre, et il veut qu’elles soient toutes à tous comme un entremetteur, un proxénète. – « Vivant dans la malice et dans l’envie ». En effet, si ceux qui s’adonnaient à la philosophie, portaient de telles lois, que dirons-nous de ceux qui ne s’y adonnaient pas ? Si ceux qui avaient la longue barbe et le manteau des philosophes, tenaient ce langage, que dirions-nous des autres ? Non, Platon, la femme n’a pas été faite pour être à tous. O vous qui renversez toutes choses, qui vous unissez à des hommes qui vous tiennent lieu de femmes, et qui conduisez à la guerre des femmes qui sous tiennent lieu d’hommes, c’est bien là l’œuvre du diable, que de tout confondre et bouleverser, que de s’attaquer à, l’ordre établi dès le commencement du monde, que de changer les lois données par Dieu même à la nature. Dieu en effet n’a accordé à la femme que la garde de la maison, à l’homme il a confié le soin des affaires publiques. Mais toi tu mets les pieds à la place de la tête et la tête à la place des pieds. Tu armes les femmes et tu n’en rougis pas ! Mais pourquoi m’arrêter à ce fait ? Chez eux, à ce qu’ils racontent, on a vu une mère tuer ses enfants, et ils ne rougissent pas, et ils n’ont pas honte de dire à des oreilles humaines ces faits exécrables. « Mais quand la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour envers les hommes ont été manifestés, il nous a sauvés, non par des œuvres de justice que nous eussions faites, mais selon sa miséricorde, par le baptême de la régénération et le renouvellement du Saint-Esprit, lequel il a répandu abondamment en nous par Jésus notre Sauveur, afin qu’étant justifiés par sa grâce, nous soyons les héritiers de la vie éternelle, selon notre espérance ». Qu’est-ce à dire, « selon notre espérance ? » Cela signifie : Puissions-nous avoir lé bonheur que nous avons espéré ; on peut encore lui donner ce sens : car vous êtes déjà les héritiers. « Cette parole est certaine ». Comme il parle des biens futurs et non de ceux de la vie présente, il a soin d’ajouter que ce qu’il dit est digne de foi. Ces choses sont vraies, dit-il, et c’est ce qui a été rendu évident par tout ce qui a précédé. Celui en effet qui nous a délivrés d’une telle iniquité, de tant de maux, nous accordera certainement les récompenses futures si nous persévérons dans la grâce : car c’est la même Providence qui s’étend à tout. 5. C’est pourquoi, rendons grâces à Dieu et ne lançons contré les autres ni injures, ni accusations ; exhortons-les plutôt, prions pour eux, donnons-leur des conseils, quand même ; ils nous outrageraient, quand même ils trépigneraient : car il faut s’attendre à cela de la part des malades. Mais ceux qui veulent les sauver, supportent tout, font tout, même lorsqu’ils n’obtiennent aucun résultat, afin de n’avoir pas à se reprocher à eux-mêmes d’avoir rien, négligé. Ignorez-vous que souvent, lorsqu’un médecin désespère d’un malade, quelqu’un des parents de celui-ci lui dit : Donne de nouveaux soins, ne néglige rien, pour que je ne puisse pas m’accuser, me blâmer moi-même, pour que je n’aie pas le moindre motif de m’adresser des reproches. Ne voyez-vous pas tous les soins que les amis et les parents ont pour ceux qui les touchent ? Que ne font-ils pas dans leur sollicitude ! Ils interrogent les médecins, ils sont toujours là. Imitons-les, bien que notre inquiétude porte sur d’autres maux. En ce moment si son fils était atteint d’une maladie, un père n’hésiterait pas à entreprendre un long voyage pour l’en délivrer. Mais l’âme est-elle dans un mauvais état, personne n’y prend garde. Tous nous sommes languissants, tous nous sommes mous, tous nous sommes négligents et nous regardons avec indifférence nos enfants, nos femmes, nous-mêmes attaqués par un si grand mal. Ce n’est que plus tard que nous arrivons à en comprendre la gravité : mais songez combien il sera honteux, combien il sera risible de venir dire ensuite : Nous ne nous y attendions pas, nous ne croyions pas qu’il en serait ainsi. Ce ne sera pas seulement honteux, ce sera très dangereux. Car si dans la vie présente c’est le propre des insensés de ne pas prévoir ce qui arrivera, combien cela n’est-il pas plus vrai encore, lorsqu’il s’agit de la vie future et que nous entendons tant de voix nous donner des conseils et nous dire ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire. Attachons-nous donc à cette espérance, prenons souci de notre salut, et en toute circonstance, prions Dieu de nous tendre la main. Jusqu’à quand serons-nous négligents ? jusqu’à quand serons-nous indifférents ? jusqu’à quand ne ferons-nous aucun cas ni de nous-mêmes et de nos compagnons d’esclavage ? Dieu a répandu abondamment en nous la grâce du Saint-Esprit. Pensons donc quelle bonté il nous a montrée, et à notre tour montrons-lui un zèle aussi grand ; aussi grand, nous ne le pouvons pas, mais quand il serait plus petit, ne l’en montrons pas moins. Car si après avoir été visités par la grâce, nous retombons dans notre apathie, des supplices plus terribles nous sont réservés : « Si je ne fusse point venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n’auraient point de péché, mais maintenant ils n’ont point d’excuse de leur péché ». (Jn 15,22) Mais loin de nous la pensée qu’on puisse dire cela de nous, puissions-nous au contraire mériter les biens promis à ceux qui aiment Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.