1 Timothy 2:5-6
HOMÉLIE VI. JE VOUS CONJURE DONC QU’AVANT TOUT DES DEMANDES, DES PRIÈRES, DES SUPPLICATIONS, DES ACTIONS DE GRÂCES SE FASSENT POUR TOUS LES HOMMES, POUR LES ROIS ET TOUS CEUX QUI SONT ÉLEVÉS EN DIGNITÉ, AFIN QUE NOUS MENIONS UNE VIE PAISIBLE ET TRANQUILLE, EN TOUTE PIÉTÉ ET RETENUE. CAR VOILA CE QUI EST BEAU ET DIGNE, AUX YEUX DE DIEU NOTRE SAUVEUR, QUI VEUT QUE TOUS LES HOMMES SOIENT SAUVÉS, ET ARRIVENT A RECONNAÎTRE LA VÉRITÉ. (II, 1-4)
Analyse.
- 1. Le devoir du prêtre est de prier pour toute la terre. – Le chrétien doit avoir une élévation d’âme par laquelle il ne soit plus possible à rien de terrestre de l’atteindre et de le blesser.
- 2. Ne pas faire d’imprécation contre ses ennemis, ne pas prier contre eux.
- 3. Ne pas se contenter d’entendre la prédication, la mettre aussi en pratique.
1. Le prêtre, sur toute la terre, est comme un père commun. Il doit donc prendre soin de tous, comme le fait le Dieu dont il est le prêtre. C’est pour cela que l’apôtre dit : « Je vous conjure d’abord qu’avant tout des demandes, des prières se fassent ». Car il en résulte deux biens : l’inimitié que nous avons pour ceux qui sont étrangers à notre foi ▼▼Πρὸς τοὺσ ὲξω. On voit par la suite du passage que la pensée de l’orateur se reporte spécialement sur l’époque où vivait l’apôtre ; du reste, une partie de son auditoire avait vu Julien.
s’évanouit ; nul en effet ne pourra conserver de la haine envers celui pour qui il prie ; et eux-mêmes deviendront meilleurs par l’effet des prières adressées pour eux, et parce qu’ils cesseront d’être furieux contre nous. Il n’est rien qui persuade si bien de se laisser instruire que d’aimer et d’être aimé. Réfléchissez à ce que devaient ressentir des hommes qui machinaient contre nous, qui – nous livraient aux jouets, à l’exil, à la mort, en apprenant que ceux qui éprouvaient ces cruels traitements adressaient à Dieu des prières assidues pour leurs persécuteurs. Vous voyez combien l’apôtre veut que le chrétien soit élevé au-dessus de tout. Qu’un petit enfant sans raison, porté par son père, le frappe au visage, la tendresse du père envers lui n’en sera point diminuée ; de même, si nous sommes frappés par les païens, nous ne devons rien perdre de notre bienveillance pour eux. Et que veulent dire ces mots : « Avant tout ? » Ils veulent dire : Dans le culte rendu à Dieu chaque jour. Ceux qui sont initiés savent comment cette prière se fait tous les jours soir et matin ; comment nous adressons nos vœux pour le monde entier, pour les rois et tous ceux qui sont élevés en dignité. Mais peut-être on dira que par ces mots : « Pour tous les hommes », l’apôtre entend, non le genre humain, mais les fidèles. Comment disait-il donc : « Pour les rois », car alors il n’y avait pas de rois qui fussent chrétiens ; mais pendant longtemps ce furent des rois impies succédant à des rois impies. Et afin que sa parole fût exempte de flatteries, il a dit d’abord : « Pour tous les hommes », et ensuite : « Pour les rois ». Car s’il n’eût parlé que des rois, il aurait pu donner lieu à ce soupçon. Ensuite, parce qu’il était vraisemblable que l’âme d’un chrétien serait glacée à cette parole, et n’accueillerait pas l’avis qu’il faut offrir des prières pour un païen, au moment de la célébration des mystères, voyez ce qu’ajoute l’apôtre, et quel avantage il signale afin que son avis soit reçu. « Afin », dit-il, « que nous passions une vie paisible et tranquille ». C’est-à-dire que le salut de ceux-là, c’est pour nous le repos ; c’est ainsi que, dans l’épître aux Romains, les engageant à obéir aux princes, il dit qu’on le doit faire, non seulement par nécessité, mais aussi par conscience. Car c’est pour l’utilité commune que Dieu a établi les puissances. Ne serait-il donc pas déraisonnable qu’ils marchent à la guerre et dressent des armées, afin que nous vivions en sécurité et que nous – ne fassions pas même de prières pour ceux qui s’exposent aux périls et aux fatigues de la guerre ? Ce n’est donc point flatterie, mais justice. Car s’ils n’étaient point préservés dans les périls et n’acquéraient point d’honneur à là guerre, nous serions dans le trouble et les alarmes ; nous serions obligés, s’ils étaient massacrés par l’ennemi, ou de marcher nous-mêmes aux combats, ou de fuir et d’errer en tous lieux. Ils sont pour nous comme des remparts qui gardent en paix les habitants d’une ville. – « Des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces ». Nous devons en effet rendre grâces à Dieu, même pour le bien qui arrive aux autres ; de ce qu’il fait lever le soleil sur les méchants et les bons, et donne la pluie aux justes et aux injustes. Voyez-vous que ce n’est pas seulement par la prière, mais par les actions de grâces qu’il nous unit comme en un seul corps ? Car celui qui est obligé de remercier Dieu du bonheur de son prochain, est obligé de l’aimer, d’être, animé envers lui de sentiments de bienveillance. Et si nous devons rendre grâces pour le bien qui est fait au prochain, combien plus pour celui qui nous est fait, même à notre insu ; pour le bien qui nous est fait avec ou malgré notre volonté, et même pour ce qui nous paraît fâcheux, car Dieu dispose tout pour notre bien. 2. Que toute prière soit donc pour nous, accompagnée d’actions de grâces. Mais s’il nous est ordonné de prier pour notre prochain, non seulement fidèle, mais aussi infidèle, réfléchissez combien il est criminel de prononcer des imprécations contre nos frères. Que direz-vous ? L’apôtre vous a ordonné de prier pour vos ennemis et vous maudissez votre frère. Ce n’est pas lui, c’est vous une vous maudissez, car vous irritez Dieu en prononçant des paroles impies : Faites-lui sentir ceci, faites-lui cela, frappez-le, rendez-lui le mal qu’il me fait. Loin des disciples du Christ de telles paroles : ils sont faciles et doux ; loin d’une bouche qui est jugée digne de recevoir de tels mystères. Qu’elle ne prononce rien d’amer, rien de dur ; la langue sur laquelle vient reposer le corps divin, gardons-la pure, en ne lui faisant point proférer d’imprécations. Car, si les médisants n’hériteront point du royaume de Dieu, combien plus ceux qui maudissent. Celui qui maudit se rend nécessairement coupable d’offenses envers son prochain. Prier l’un pour l’autre et s’en rendre coupable sont choses incompatibles ; l’imprécation et la prière sont séparées par un abîme. Vous priez Dieu d’être miséricordieux envers vous et vous maudissez un autre homme ? Si vous ne pardonnez, il ne vous sera point pardonné ; et non seulement vous ne pardonnez pas, mais vous priez Dieu de ne pas pardonner. Comprenez-vous cet excès de malice ? S’il n’est point pardonné à celui qui ne pardonne pas, comment le serait-il à celui qui supplie le Maître commun de ne pas remettre la dette ? Ce n’est pas à votre ennemi que vous nuisez, mais à vous-même. Non, si Dieu allait vous exaucer priant pour vous-même, vous ne serez point exaucé, parce que vous priez d’une bouche criminelle ; cette bouche est vraiment criminelle et impure, pleine de toute infection et de toute impureté. Vous deviez trembler à cause de vos péchés, et ne faire effort que pour obtenir grâce, et vous venez vers Dieu pour l’exciter contre votre frère ? Ne craignez-vous donc point ? Ne vous inquiétez-vous point pour vous-même ? Ne voyez-vous pas à quelle issue vous arrivez ? Imitez au moins les enfants qui vont à l’école : lorsqu’on demande à leur division compte de ce qu’elle a appris, et que tous sont châtiés pour leur paresse, qu’ils sont l’un après l’autre examinés sévèrement et accablés de coups, chacun meurt de peur ; et quand un de ses condisciples l’aurait battu cent fois, l’élève n’a pas le loisir de se mettre en colère, mais la crainte l’occupe tout entier ; il ne s’adresse point à son maître, mais n’a qu’une seule chose en vue, c’est d’entrer et de sortir sans être frappé ; c’est là le seul point dont il s’occupe ; quand il est parti, il ne pense même pas, tant il est content, si son camarade l’a battu ou non. Et vous qui êtes là, songeant à vos péchés, vous ne frémissez pas, parce que vous vous rappelez les actions des autres ? Et comment implorez-vous Dieu ? En demandant qu’il sévisse contre votre frère, vous empirez votre situation, vous ne permettez pas que Dieu vous pardonne vos fautes. Comment, en effet, dit-il, si tu veux que je demande un compte sévère des torts qu’on a eus envers toi, comment me demandes-tu de te pardonner tes propres offenses envers moi ? Apprenons enfin à être chrétiens. Si nous ne savons pas prier, ce qui est doux et bien facile, comment saurons-nous le reste ? Apprenons à prier comme des chrétiens. Ce ne sont pas là des prières de chrétiens, mais de juifs ; celles du chrétien, tout au contraire, c’est de demander pardon et miséricorde pour les offenses commises envers lui. « Nous sommes maudits, et nous bénissons », dit l’apôtre ; « nous sommes persécutés, et nous le supportons ; nous sommes calomniés, et nous prions ». (1Co 4,12-13) Écoutez ce que dit Étienne : « Seigneur, ne leur imputez point ce péché ». (Act 7,59) non seulement il n’a point lancé d’imprécation contre ses bourreaux, mais il a prié pour eux ; et vous, non seulement vous ne priez pas pour vos ennemis, mais vous les maudissez. De même donc qu’il est digne d’admiration, vous, vous êtes un misérable. Qui admirons-nous, dites-moi ? Ceux pour qui Étienne priait, ou l’auteur de cette prière ? Celui-ci assurément. Et si nous pensons ainsi, combien plus Dieu lui-même. Tu veux que ton ennemi soit châtié ? Prie pour lui, mais non dans cette pensée, non pour l’atteindre ; cet effet sera produit, mais ne le fais pas dans ce but. Bien que ce saint personnage souffrit injustement cette persécution, il priait pour ses bourreaux ; tandis que nous souffrons souvent de la part de nos ennemis des maux que nous méritons. Et si, souffrant contre toute justice, il n’a point osé maudire ; bien plus, s’il n’a pas osé né point prier pour ses ennemis, nous qui soufrons avec justice et qui cependant, non seulement ne prions point pour les nôtres, mais les maudissons au contraire, de quel châtiment ne sommes-nous pas dignes ? Vous paraissez blesser votre ennemi, mais en réalité c’est en vous-même que vous enfoncez l’épée, puisque vous ne permettez point que le juge se montre miséricordieux pour vos péchés, en cherchant à l’irriter contre ceux des autres « On usera envers vous de la mesure dont vous aurez usé envers les autres, et vous serez jugés comme vous aurez jugé ». (Mat 7,2) Soyons miséricordieux, afin que nous obtenions de Dieu miséricorde. 3. Je voudrais que, ne vous bornant point à entendre ces paroles, vous fussiez fidèles à les observer. Maintenant elles ne vous laissent qu’un souvenir, et bientôt il sera lui-même effacé ; quand vous vous serez dispersés, si quelqu’un de ceux qui ne sont pas venus ici vous interroge sur ce que nous avons dit, les uns ne sauront que dire, d’autres sauront seulement répondre quel a été le sujet de l’homélie, savoir que le prédicateur a dit qu’il ne faut point avoir de ressentiment, mais au contraire prier pour ses ennemis ; ajoutant qu’ils ne chercheront point à reproduire toute la suite de mes paroles, car ils ne sauraient s’en souvenir ; d’autres se souviennent de quelques minces lambeaux. C’est pourquoi je vous invite, si vous ne tirez nul profit de mes discours, à ne point vous attacher à m’entendre. Car que vous en revient-il, sinon un jugement plus sévère, un châtiment plus rigoureux, pour demeurer dans le même état après tant d’avertissements ? Dieu nous a donné une formule de prière afin que nous ne demandions rien de terrestre et d’humain. Vous savez, vous qui êtes fidèles, ce qu’il faut demander, et dans quel sens est conçue toute la commune prière. Mais il n’est pas dit, dans cette prière, me répandrez-vous, que nous devons prier pour les infidèles. C’est que vous ne connaissez pas la force de cette prière, sa profondeur et le trésor qu’elle renferme ; si l’on y pénètre, on l’y trouvera. Car lorsque l’on dit dans sa prière : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel », c’est là le sens qui se trouve caché dans cette parole. Comment cela ? C’est qu’au ciel il ne se trouve ni infidèle ni prévaricateur. Si donc il n’était question que des fidèles, cette parole n’aurait pas de sens ; car si les fidèles devaient seuls accomplir la volonté de Dieu, et qu’elle fût enfreinte par les infidèles, elle ne serait point accomplie comme dans le ciel. Et quoi encore ? Au ciel, il n’est point de pervers ; qu’il n’en soit donc plus sur la terre ; attirez-les tous, mon Dieu, à votre crainte, faites des anges de tous les hommes, quand ils seraient nos ennemis et ceux de l’empire. Ne voyez-vous pas combien chaque jour Dieu est blasphémé ? - Combien il est outragé par les infidèles et par les chrétiens, en paroles et en actions ? Eh bien ! a-t-il pour cela éteint le soleil, voilé la lune, brisé le ciel, bouleversé la terre, desséché la mer, fait disparaître les sources des eaux, troublé les airs ? Nullement, mais il fait au contraire lever le soleil, tomber la pluie, pousser les fruits, et il nourrit chaque année les blasphémateurs, les insensés, les criminels, les persécuteurs, non un jour ni deux ou trois jours, mais durant toute leur vie. Imitez-le, efforcez-vous de le faire suivant l’humaine puissance. Vous ne pouvez pas faire lever le soleil ? Ne dites pas de mal de vos ennemis. Vous ne pouvez leur donner la pluie ? Ne les injuriez pas. Vous ne pouvez les nourrir ? Ne les insultez pas dans l’ivresse. De votre part ces bienfaits suffiront. En Dieu, la bienfaisance envers les ennemis se manifeste par des actes ; manifestez-la du moins par des paroles : priez pour votre ennemi, et ainsi vous serez semblable à votre Père qui est dans les cieux. Mille fois nous avons parlé de ce sujet, et nous ne cessons point de le faire ; que seulement il s’opère quelque progrès. Nous ne nous engourdissons point, nous ne nous lassons point de parler, nous ne nous décourageons point, vous seulement ne paraissez pas vous dégoûter de nous entendre. Or, on paraît se dégoûter quand, on ne tient nul compte des discours que l’on entend, car celui qui s’y conforme, veut les entendre encore, n’y trouvant point un sujet d’ennui, mais des éloges. Le dégoût ne vient que de ce qu’on n’observe point ce qu’on entend ; c’est ainsi que le prédicateur devient à charge. Dites-moi, si un homme fait l’aumône et entend un sermon sur l’aumône, non seulement il n’hésite pas à venir l’écouter, mais il s’y plaît comme si l’on racontait et publiait ses bonnes actions. De même, nous aussi, c’est parce que nous n’avons nulle patience, parce que nous ne pratiquons point cette vertu, que nous montrons de l’aversion pour de tels discours ; si notre pratique y était conforme, ne nous déplairaient pas. Si donc vous ne voulez pas que nous vous soyons à charge et odieux, conformez-vous à nos avis, montrer le par vos actions, car nous ne cesserons poil de revenir sur le même sujet jusqu’à ce que vous soyez convertis. Oui, c’est par zèle et te dresse pour vous que nous agissons ainsi c’est aussi à cause du péril qui nous mena nous-même. Le trompette doit sonner : quand nul ne marcherait à l’ennemi, il remplit son devoir. Ce n’est donc pas pour aggraver votre châtiment que nous agissons ainsi, mais pour dégager notre responsabilité. Ensuite notre charité pour vous nous anime ; nos entrailles sont saisies et déchirées, quand de tels péchés se produisent. Mais qu’il n’en soit point ainsi. Ce que nous vous demandons là n’exige ni dépense, ni longue route, ni sacrifice de richesses ; il ne faut que vouloir, qu’un mot, qu’un acte de volonté. Gardons notre bouche, mettons-y une porte et un verrou, afin de ne pas prononcer une parole qui déplaise à Dieu. C’est notre intérêt même plutôt que l’intérêt de ceux pour qui nous prions. Réfléchissons que celui qui bénit son ennemi se bénit lui-même, et que celui qui le maudit se maudit lui-même ; que celui qui prie pour son ennemi prie pour soi plutôt que pour lui (Luc 6,28). C’est ainsi que nous pourrons réaliser ce progrès et obtenir les biens promis, que je souhaite à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, à présent et toujours, et aux siècles des siècles, Ainsi soit-il. HOMÉLIE VII.
AFIN QUE NOUS MENIONS UNE VIE PAISIBLE ET TRANQUILLE, EN TOUTE PIÉTÉ ET RETENUE. CAR VOILÀ CE QUI EST BEAU ET DIGNE, AUX YEUX DE DIEU NOTRE SAUVEUR, QUI VEUT QUE TOUS LES HOMMES SOIENT SAUVÉS ET ARRIVENT A RECONNAÎTRE LA VÉRITÉ. (II, 2-4 JUSQU’À 7) Analyse.
- 1. II y a trois sortes de guerres, celle que nous font les étrangers, celle que les concitoyens se font entre eux, celle que nées nous faisons à nous-même : celle-ci est la pire des trois.
- 2. il n’y a qu’un Dieu et qu’un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ.
- 3. Exhortation à l’aumône. – Néant des richesses.
1. Si l’apôtre veut que les guerres des nations, les combats et les troubles s’apaisent, et s’il exhorte, pour ce motif, le prêtre à faire des prières pour les rois et les princes, à bien plus forte raison les simples fidèles doivent le faire. En effet, il y a trois sortes de guerres qui sont cruellement douloureuses : la première, quand nos soldats sont combattus par les Barbares ; la seconde, quand, pendant la paix, nous combattons les uns contre les autres ; la troisième enfin, quand chacun combat contre lui-même ; et celle-ci est la plus douloureuse de toutes. Celle des Barbares ne saurait nous nuire beaucoup. Que vous feraient-ils ? Ils égorgent, ils tuent ; mais ils ne nuisent point à l’âme. La seconde même, si nous le voulons, ne nous fera point de mal. Quand d’autres nous attaqueraient, nous pouvons demeurer en paix, car écoutez ce que dit le Prophète : « Au lieu de m’aimer, ils me calomniaient, mais moi je priais » (Psa 109,4) ; et encore : « Avec ceux qui haïssaient la paix, j’étais pacifique » (Psa 120,7) ; et : « Ils m’attaquaient gratuitement ». Mais pour la troisième, on ne peut échapper au péril. Car lorsque le corps est en lutte contre l’âme, lorsqu’il éveille de fâcheuses passions, arme les voluptés, suscite l’entraînement de la colère ou de l’envie, il est impossible, si cette guerre n’est réprimée, d’obtenir les biens promis ; mais nécessairement celui qui laisse durer ce trouble, tombe, reçoit des blessures, et cette guerre enfante la mort de l’enfer. Il nous faut donc chaque jour vivre dans la sollicitude et la vigilance, afin que cette guerre ne naisse point en nous, ou, si elle naît, qu’elle ne persiste point, mais soit apaisée et assoupie. Car quel avantage auriez-vous, si, la terre jouissant d’une paix profonde, vous étiez en guerre contre vous-même ? C’est la paix avec nous-même qu’il est nécessaire d’avoir ; si nous la possédons, rien du dehors ne pourra nous nuire. Mais la paix du pays y contribue notablement ; c’est pourquoi le texte dit : « Afin que nous menions une vie paisible et tranquille ». Mais celui qui est troublé pendant la paix est bien malheureux. Voyez-vous que l’apôtre parle de cette sorte de paix, de la troisième ? C’est pour cela qu’en disant : « Afin que nous menions une vie paisible et tranquille », il ne s’arrête pas là, mais ajoute : « En toute piété et retenue ». Or, on ne peut vivre dans la piété et la retenue sans jouir de cette paix. Car lorsque des raisonnements inquiets troublent notre foi, quelle paix pouvons-nous avoir ? Lorsque nous sommes agités par le souffle du libertinage, quelle paix pouvons-nous avoir ? Il veut donc prévenir la pensée qu’il parle d’une paix terrestre, quand il dit : « Afin que nous menions une vie paisible et tranquille » ; car, en ce sens, une vie paisible et tranquille peut être menée par les gentils, les gens déréglés, ceux qui se livrent à la mollesse et aux plaisirs. Sachez donc qu’il ne parle point de celle-là, mais de celle que l’on trouve dans la piété et la retenue. Car cette autre vie est pleine d’embûches et de combats, l’âme étant chaque jour atteinte par le trouble des raisonnements ; ce n’est donc point d’elle qu’il parle, mais de celle qui réside en toute piété. « En toute piété », dit-il, pour que l’on ne pense pas qu’il s’agit seulement de la croyance, mais aussi de la conduite ; car c’est là qu’il faut chercher la piété. Que gagnent ceux qui, pieux quant à leur foi, sont impies dans leur conduite ? Et pour ne pas douter qu’il y ait aussi là de l’impiété, écoutez ce bienheureux dire autre part : « Ils avouent connaître Dieu, et ils le nient par leurs actes » (Tit 1,16) ; et aussi : « Il a nié sa foi et est pire qu’un infidèle » (1Ti 5,8) ; ailleurs : « Si quelqu’un est nommé frère et est impudique, ou avare, ou idolâtre » (1Co 5,11), celui-là n’honore pas Dieu. L’Écriture dit aussi que « Celui qui hait son frère ne connaît pas Dieu ». (1Jn 2,9) Vous voyez combien il y a de sortes d’impiété. C’est pourquoi l’apôtre dit : « En toute piété et retenue ». Car ce n’est pas l’impudique seul qui manque de retenue ; mais l’homme cupide, l’homme sans frein méritent le même reproche ; il y a là une passion non moindre que la volupté. Celui donc qui ne la réprime pas est un homme sans frein, car on appelle ainsi celui qui ne refrène pas ses passions. Je donnerai donc ce nom à l’homme colère, à l’envieux, à l’avare, au perfide, à tous ceux qui vivent dans le péché ; tous sont sans retenue ni modération. « Car voilà ce qui est beau et digne aux yeux de Dieu notre Sauveur ». Et qu’est-ce ? C’est de prier pour tous ; voilà ce que Dieu accueille, voilà ce qu’il veut, lui « qui veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à reconnaître la vérité ». 2. Imitez Dieu puisqu’il veut que tous soient sauvés, vous devez apparemment prier pour tous ; s’il a souhaité que tous le fussent, souhaitez-le aussi. Et s’il en est ainsi, priez, car c’est pour de tels objets qu’il faut prier. Voyez-vous comment l’apôtre a de toutes parts fait pénétrer dans nos âmes le devoir de prier même pour les païens ? Il nous montre l’avantage immense que nous en retirons, en disant « Afin que nous menions une vie paisible « et tranquille » ; il nous montre aussi ce motif bien supérieur, que cela plaît à Dieu et que nous devenons ainsi semblables à lui, en ayant le même vouloir que lui. Cela devrait suffire pour faire honte même à une bête féroce. Ne craignez donc pas de prier pour les païens, Dieu lui-même le veut ; craignez seulement de maudire, car c’est là ce qu’il ne veut pas. Et s’il faut prier pour les païens, il est clair qu’il faut aussi prier pour les hérétiques, car nous devons le faire pour tous les hommes, et non les persécuter. Oui, il est beau de prier pour eux : n’ont-ils pas avec nous une même nature ? Dieu loue et agrée l’amour et la tendresse que nous avons les uns pour les autres. Mais, dira-t-on, si le Seigneur a cette volonté, qu’a-t-il besoin de nos prières ? Il est fort utile aux païens et aux hérétiques que nous les fassions ; elles les entraînent à nous aimer et vous empêchent vous-mêmes de vous aigrir tout cela est propre à les attirer à la foi. Car beaucoup d’hommes se sont éloignés de Dieu par animosité contre les hommes. C’est là le salut dont parle l’apôtre, quand il dit : « Notre Sauveur qui veut que tous les hommes soient sauvés » : c’est là le salut véritable ; tout autre est peu de chose et n’a que le nom et le titre de salut. – « Et arrivent à reconnaître la vérité ». La vérité, c’est la foi en lui. L’apôtre, en effet, a d’abord averti Timothée d’exhorter les hommes à ne point enseigner de nouvelles doctrines. Et pour qu’il ne trouve pas en eux des ennemis, pour qu’il n’engage pas de luttes contre eux, que lui dit-il encore ? Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à reconnaître la vérité. Il ajoute : « Il n’y a qu’un seul Dieu, et qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes (5) ». Il a dit : « Arrivent à te connaître la vérité », montrant ainsi que terre n’en est point en possession ; puis : « il n’y a qu’un seul Dieu », et non plusieurs comme le croient les gentils. Pour montre que Dieu veut que tous soient sauvés, il ajout qu’il a envoyé son Fils comme médiateur. El quoi, le Fils n’est-il pas Dieu ? Oui, certes Pourquoi donc l’apôtre dit-il : Un seul ? Par opposition aux idoles et non au Fils, car il parle à la fois ici de la vérité et de l’erreur. Mais le médiateur doit participer à ceux don il est le médiateur ; l’essence de la médiation est de tenir et de participer à tous deux ; s’il tient à l’un et est séparé de l’autre, il n’est pas médiateur. Si donc il ne participe pas à la nature du Père, il n’est point médiateur, mais séparé. Car de même qu’il participe à la nature humaine, parce qu’il est venu parmi les hommes, il participe à celle de Dieu, parce qu’il est venu de Dieu. Puisqu’il est le médiateur de deux natures, il ne peut en être isolé. Comme un lieu intermédiaire entre deux autres les a tous deux pour voisins, de même en doit-il être pour celui qui est le lien entre deux natures. S’il s’est fait homme, il n’en était pas moins Dieu. Simplement homme, il n’aurait pu être médiateur, car il fallait qu’il traitât avec Dieu même ; simplement Dieu, il ne l’aurait pu encore, car ceux pour qui il se faisait médiateur ne l’auraient pas reçu. Car de même que dans un autre endroit l’apôtre dit : « Il n’y a qu’un Dieu le Père… et un Seigneur Jésus-Christ » (1Co 8,6), ainsi en ce passage même, il dit un Dieu et un médiateur. Il ne met pas « deux », car il parlait ici du polythéisme et ne voulait pas que personne abusât du mot « deux » pour supposer deux dieux ; il a dit « un » et puis encore il dit « un ». Voyez-vous quelle précision de langage on trouve dans l’Écriture ! Un et un sont deux, mais nous ne prononcerons pas ce mot, bien que le raisonnement nous y invite. Ici vous ne dites pas : Un et un, deux. Vous dites ce que le raisonnement ne vous suggère pas. S’il est né, il a souffert. « Il n’y a », dit-il, « qu’un seul Dieu et qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, c’est Jésus-Christ, qui est homme, qui s’est donné comme rançon pour tous ». (1Ti 2,5-6) Eh quoi ? pour les païens aussi ? Il est le Christ et il est mort pour eux, et vous, vous ne consentez pas à prier pour eux ! Comment donc, me dira-t-on, n’ont-ils pas cru ? Parce qu’ils ne l’ont pas voulu, mais, ce qu’il avait à faire, il l’a fait. Le « témoignage » dont parle l’apôtre (Id), c’est sa passion. Car il est venu rendre témoignage à la vérité du Père, et il a été égorgé. En sorte que non seulement le Père lui rend témoignage, mais lui aussi au Père. « Pour moi », dit-il, « je suis venu au nom de mon Père ». (Jn 5,43) Et ailleurs : « Nul n’a jamais vu Dieu ». (Jn 1, 18) Et encore : « Afin qu’ils vous connaissent, vous le seul Dieu véritable » (Jn 17, 3) ; et : « Dieu est esprit ». (Jn 6, 24) Il a donc rendu témoignage jusqu’à la mort « en son temps », c’est-à-dire au temps opportun. 3. « C’est pourquoi j’ai été placé comme prédicateur et apôtre (je dis la vérité, je ne ments point) ; docteur des nations dans la foi et la vérité (7) ». Puis donc que le Sauveur a souffert pour les nations, et que c’est aussi pour être docteur des nations que j’ai été mis à part, pourquoi ne priez-vous pas pour les gentils ? Il réclame la confiance, comme ayant été mis à part pour être le docteur des nations ; car les apôtres s’étaient montrés bien lents à cet égard. Il ajoute « docteur des nations, dans la foi et la vérité ». – « Dans la foi » ; ne pensez pas que ce soit un leurre, car il dit aussi : « Dans la vérité » ; ce n’est point une fraude. Vous voyez que la grâce s’étend ; chez les juifs on ne faisait point de prières pour un tel but ; mais maintenant la grâce s’est étendue. « Docteur des nations dans la foi et la vérité ». – « Qui s’est donné comme rançon ». Comment a-t-il été livré par son Père ? C’est que sa bonté l’a voulu. Qu’est-ce que cette rançon ? Il devait punir ces hommes ; ils devaient périr ; mais à leur place il a livré son propre fils, afin que la croix fût prêchée. C’en est assez pour attirer tous les hommes et pour faire connaître la charité du Christ ; carde tels bienfaits sont immenses et inénarrables. Il s’est immolé lui-même pour ses ennemis, pour ceux qui le haïssent et se détournent de lui. Ce qu’un homme ne ferait pas pour ses amis, pour ses enfants, pour ses frères, le Maître l’a fait pour ses serviteurs ; et non un maître de la même espèce qu’eux, mais un Dieu pour des hommes et pour des hommes coupables. Ce qui ne se fait pas pour ses semblables, s’est fait alors, et nous, objets d’une telle charité, nous semblons nous y refuser, nous n’aimons pas le Christ. Il s’est immolé pour nous, et nous le voyons d’un œil distrait privé de nourriture ; il est malade, il manque de vêtements et nous n’y prenons pas garde. Quelle colère, quels châtiments, quel enfer ne mérite pas une telle conduite ? Quand il n’eût rien fait que daigner s’approprier les souffrances des hommes, que nous dire : J’ai faim, j’ai soif, n’était-ce pas assez pour nous entraîner tous ? Mais, ô tyrannie des richesses, ou plutôt, ô perversité de leurs esclaves volontaires, de telles pensées ont peu de pouvoir ; nous sommes lâches et dissolus, abjects et terrestres, charnels et insensés ; car ce ne sont pas les richesses qui ont cette puissance. Que peuvent-elles ? Dites-le-moi ; elles sont muettes et inanimées. Si le diable, si le mauvais génie ne peut rien sur nous, malgré toute sa malice et bien qu’il trouble tout, quelle force possèdent les richesses ? Quand vous voyez de l’argent, pensez que c’est de l’étain, Mais vous ne le pensez pas ? Pensez alors, ce qui est vrai, que n’est de la terre, car il fait partie de la terre. Mais ce raisonnement ne fait point impression sur vous ? Pensez donc que nous mourrons, nous aussi ; que beaucoup de ceux qui l’ont possédé n’en ont tiré presque nul profit ; qu’un grand nombre de ceux qui s’en sont enorgueillis sont devenus cendre et poussière, qu’ils subissent aujourd’hui les plus rigoureux châtiments, et que bien des hommes qui reposaient sur des lits d’ivoire sont maintenant beaucoup plus misérables que ceux qui avaient des vases de terre et de verre, plus dénués que ceux qui vivaient dans la fange. Mais cela réjouit la vue ? Il est bien d’autres objets qui le peuvent davantage. Les fleurs, l’air pur, le ciel, le soleil la réjouissent bien plus. L’argent se rouille au point que quelques-uns ont montré qu’il est noir, comme on le voit, puisqu’il noircit la serviette qui l’essuie : rien de semblable dans le soleil, dans le ciel et dans les étoiles. Les fleurs ont un aspect bien plus agréable que la couleur de l’argent. Ce n’est donc pas son éclat qui vous enchante, c’est la cupidité, c’est l’injustice ; c’est là ce qui séduit les âmes et non l’argent lui-même. Chassez la cupidité de votre âme, et vous verrez que ce qui vous paraît si digne d’estime, est plus méprisable que la boue. Chassez la passion : quand ceux qui ont la fièvre aperçoivent une eau bourbeuse, ils désirent s’en abreuver, comme si c’était une source ; ceux dont la santé est bonne ne désirent de l’eau que par intervalles. Éloignez la maladie, et vous verrez les choses comme elles sont réellement ; et pour vous prouver que je ne ment point, je puis en produire beaucoup d’exemples. Éteignez le feu qui vous brûle, et vous verrez que tout cela est moins précieux que des fleurs. L’or est beau ; oui, mais dans l’aumône, pour le soulagement des malheureux, et non pour un vain usage, non pour être enfoui dans un coffre ou dans la terre, non pour être étalé sur les mains, les pieds et la tête. S’il a été découvert, ce n’est point pour en lier l’image de Dieu, mais pour délivrer les captifs ; c’est ainsi que vous en ferez vraiment usage ; délivrez le captif au lieu d’en lier cette image libre de ses mouvements. Car pourquoi, s’il vous plaît, préférer à tout un objet de si peu de valeur ? Si c’est de l’or, en forme-t-il moins une chaîne ? est-ce donc dans le choix de la matière que consiste le lien ? D’or ou de fer, c’est toujours une chaîne, si ce n’est que l’une est encore plus lourde que l’autre. Mais pourquoi vous paraît-elle légère ? C’est à cause de votre cupidité, du désir d’attirer tous les regards, ce dont une femme devrait plutôt rougir. Comme preuve de cette parole, chargez-la de chaînes d’or et envoyez-la dans un désert, où elle ne trouvera personne pour la regarder : bientôt ce lien lui paraîtra pesant et insupportable. Redoutons, mes bien-aimés, d’entendre ces redoutables paroles : « Liez-lui les mains et les pieds ». (Mat 22,13) Pourquoi dès ce monde vous lier ainsi vous-mêmes ? Un prisonnier n’est pas enchaîné, des mains et des pieds. Et cela ne vous suffit donc pas ? Pourquoi lier votre tête, pourquoi environner votre cou de tant de liens ? J’omets les soucis qui en résultent, la crainte, les tourments, les querelles avec son mari pour de pareils objets, quand on les demande, le supplice que l’on éprouve, si l’on en perd quelqu’un. C’est donc là le bonheur, dites-le-moi ? Afin de plaire aux yeux d’un autre, vous subissez volontairement les liens, les soucis, les périls, les chagrins, les querelles de chaque jour, N’est-ce pas là un sort digne à tous égards de blâme et de réprobation ? Je vous en conjure, n’agissons point ainsi, mais dégageons-nous de tout lien d’iniquité ; rompons le pain à celui qui a faim, accomplissons toutes les œuvres qui peuvent nous donner assurance en présence de Dieu, afin d’obtenir les biens promis, en le Christ Jésus Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.