‏ 1 Timothy 5:6-8

HOMÉLIE XIII.

PRESCRIVEZ ET ENSEIGNEZ CELA. QUE NUL NE MÉPRISE VOTRE JEUNESSE, MAIS SOYEZ L’EXEMPLE DES FIDÈLES PAR VOS PAROLES, VOS RELATIONS, VOTRE CHARITÉ, VOTRE FOI, VOTRE CHASTETÉ. JUSQU’À MON ARRIVÉE, APPLIQUEZ-VOUS A LA LECTURE, A L’EXHORTATION, A L’ENSEIGNEMENT. NE NÉGLIGEZ POINT LA GRACE QUI EST EN VOUS, QUI VOUS A ÉTÉ DONNÉE PAR LA PROPHÉTIE, AVEC L’IMPOSITION DES MAINS SACERDOTALES. (IV, 11-14, JUSQU’À V, 7)

Analyse.

  • 1. Devoirs d’un évêque ; de la conduite qu’il doit tenir envers les vieillards et les jeunes gens, envers les femmes âgées et les jeunes femmes, envers les veuves.
  • 2. Devoirs de la veuve.
  • 3-4. Contre les excès de la table. – Effrayante peinture.

1. Il est des objets qui ont besoin de prescriptions, et d’autres, d’enseignement. Si donc vous commandez là où il faut instruire, vous vous rendrez ridicule, et il en sera de même si vous enseignez là où il faut commander. Ainsi, ne pas être pervers, il ne faut pas l’enseigner, mais l’ordonner, l’interdire avec une grande énergie ; ne pas judaïser, c’est matière à prescription. Mais si vous dites que l’on doit répandre ses biens, garder la virginité, si vous discourez sur la foi, alors il faut un enseignement. Aussi Paul établit-il les deux choses : « Prescrivez et enseignez », dit-il. Par exemple, si quelqu’un porte des amulettes ou quelque objet semblable, et sait qu’il fait mal, c’est de prescription qu’il a besoin ; s’il l’ignore, c’est d’instruction.

« Que nul ne méprise votre jeunesse », dit-il. Vous voyez que le prêtre doit prescrire, parler avec énergie et non toujours enseigner. La jeunesse est souvent méprisée par le préjugé commun ; c’est pourquoi il dit. « Que nul ne méprise votre jeunesse ». Car il faut que celui qui enseigne soit honoré. – Mais, dira-t-on, que devient le mérite de la modération et de la condescendance, si l’on est défendu contre le mépris ? Dans tes choses qui le concernent lui seul, qu’il souffre le mépris ; car c’est ainsi que par la longanimité, l’enseignement chrétien se perfectionne ; mais, pour ce qui regarde le prochain, il n’en doit plus être de même, car ce ne serait plus modération, mais, indifférence. S’il tire vengeance des injures qu’il a reçues, des insultes, des trames ourdies contre lui, on a raison de le blâmer ; mais, quand il s’agit du salut d’autrui, qu’il parle avec autorité, qu’il unisse l’énergie à la prévoyance : c’est d’énergie qu’il est alors besoin et non de douceur, afin d’éviter un dommage public. Il n’y a pas d’ailleurs de moyen terme : « Que nul ne méprise votre jeunesse » ; c’est qu’en effet, si l’on mène une vie contraire à la légèreté de cet âge, au lieu du mépris on s’acquiert une haute estime. « Mais soyez l’exemple des fidèles par vos paroles, vos relations, votre charité, votre foi, votre chasteté ; vous montrant en toutes choses un modèle de bonnes œuvres ». (Tit 2,7) C’est-à-dire, soyez un parfait modèle de conduite, et comme une image offerte aux regards de tous, une loi vivante, une règle, un exemplaire de bonne vie, car tel doit être celui qui enseigne. « Par vos paroles » : qu’elles soient donc empreintes d’affabilité, « dans vos relations, dans la charité, la foi » orthodoxe, « la charité », la réserve.

« Jusqu’à mon arrivée, appliquez-vous à la lecture, à l’exhortation, à l’enseignement ». L’apôtre ordonne à Timothée de s’appliquer à la lecture. Écoutons-le tous et apprenons à ne pas négliger la méditation des choses divines. Il dit aussi : « Jusqu’à mon arrivée ». Voyez comment il le console, car ce disciple orphelin devait chercher son maître. « Jusqu’à mon arrivée, appliquez-vous à la lecture » des Écritures divines, « à l’exhortation » mutuelle, « à l’enseignement. Ne négligez point la grâce qui est en vous, qui vous a été donnée par la prophétie ». C’est de la grâce d’enseigner qu’il parle. « Avec l’imposition des mains sacerdotales » ; non du simple sacerdoce, mais de l’épiscopat, car ce n’étaient pas des prêtres qui créaient un évêque.

« Méditez ces choses, arrêtez-y votre esprit (15) ». Voyez comment il revient auprès de Timothée sur les mêmes exhortations, voulant montrer que tel doit être l’objet principal du zèle de celui qui enseigne. « Veillez sur vous et sur votre enseignement, ne vous en laissez pas distraire ». C’est-à-dire, veillez sur vous-même et enseignez les autres. « Car en agissant ainsi, vous vous sauverez, vous et a ceux qui vous écoutent (16) ». Car celui qui se nourrit des paroles de l’enseignement en recueille le premier les fruits : en avertissant les autres, il atteint son propre cœur. Ce que dit l’apôtre, il ne le dit pas à Timothée seul, mais à tous. S’il parle ainsi à un homme qui ressuscitait les morts, que pourrons-nous répondre ? Le Christ a dit : « Semblable à un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et anciennes ». (Mat 13,52) Et le bienheureux Paul dit à son tour : « Afin que, par la patience et la consolation des Écritures, nous possédions l’espérance ». (Rom 15,4) Surtout il l’a pratiqué lui-même, lorsqu’il s’instruisait de la loi de ses pères auprès de Gamaliel, en sorte que depuis lors il avait dû s’appliquer à la lecture ; il s’adressait sans doute les avertissements qu’il adressa depuis à autrui. Vous le voyez sans cesse citer les témoignages des prophètes et en scruter le sens caché. Ainsi Paul s’appliquait à la lecture, et ce n’est pas un mince profit que celui qu’on peut tirer des Écritures ; mais aujourd’hui nous les négligeons. – « Afin que votre progrès soit manifeste à tous (15) ». Vous voyez qu’il voulait que son disciple devînt, sur ce point aussi, grand et digne d’admiration, mais que Timothée avait encore besoin de cet avis. « Afin que votre progrès soit manifeste à tous » ; non seulement dans sa conduite, mais dans les discours de son enseignement.

2. « Ne réprimandez point un ancien ». (V, 1) Veut-il ici parler d’un prêtre ? je ne le pense pas : il parle de tout homme avancé en âge. Mais quoi ! s’il a besoin d’être redressé ? Comportez-vous envers lui, suivant l’avis de Paul, comme envers un père qui aurait commis une faute, parlez-lui de la même façon. « Reprenez les femmes âgées comme des mères, les jeunes gens comme des frères, les femmes jeunes comme des sœurs, en toute chasteté
Les mots νεοτἐρους ἑς αδελφύς, sont ici transposés.
 ». La chose est pénible de sa nature, je dis la nécessité de reprendre ; elle l’est surtout quand il s’agit d’un – vieillard ; et, si c’est un jeune homme qui doit le faire, il est trois fois exposé à l’accusation de témérité. La rudesse du fond est adoucie par la douceur de la forme. Car il est possible de reprendre sans blesser, si l’on veut s’y appliquer ; il y faut une grande prudence, mais on le peut. « Les jeunes gens comme des frères ». Pourquoi l’apôtre lui donne-t-il ici cet avis ? Il fait entendre par là que la jeunesse est fière. Il faut donc là aussi adoucir la réprimande par la modération du langage. « Les femmes jeunes comme des sœurs ». Et il ajoute : « En toute chasteté ». N’évitez pas seulement des relations coupables, mais toute occasion de soupçon. Comme les rapports avec les jeunes femmes y échappent difficilement, mais que l’évêque doit en avoir, il ajoute : « En toute chasteté ». Mais, Paul, pourquoi adresser cette prescription à Timothée ? Je le fais, me répond-il, parce qu’en m’adressant à lui je parle à toute la terre. S’il parle ainsi à Timothée, que chacun de nous comprenne ce qu’il doit être, évitant toute occasion de soupçon et ne donnant pas l’ombre d’un prétexte à ceux qui veulent nous calomnier.

« Honorez les veuves qui sont véritablement veuves (3) ». Pourquoi ne parle-t-il pas ici de la virginité, pas même pour dire : Honorez les vierges ? Apparemment parce qu’il ne s’en trouvait point alors, ou qu’elles avaient succombé. Car, dit-il, Satan en a entraîné plusieurs à sa suite. « Honorez les veuves qui sont véritablement veuves ». L’on peut donc n’avoir plus de mari et n’être pas veuve. De même que l’on n’est pas vierge, pour vivre en dehors du mariage, mais qu’il faut être irréprochable et toujours appliquée à ses devoirs, de même en est-il de la viduité : ce qui fait la veuve, ce n’est pas la perte d’un époux, mais la vie passée dans la continence, la patience et la solitude. Voilà les veuves que l’apôtre recommande d’honorer avec raison : On doit en effet un grand respect à ces femmes, puisqu’elles sont seules, puisqu’elles n’ont plus un homme pour les protéger ; mais, auprès de la foule, leur état est exposé au blâme et paraît de mauvais augure. Aussi l’apôtre veut-il qu’elles soient grandement honorées par le prêtre ; et ce n’est pas seulement pour cela, mais parce que leur état en est digne.

« Si une veuve a des enfants ou des, petits-enfants, qu’elle apprenne d’abord à faire régner la piété dans sa maison et à rendre ce qu’elle doit à ses parents (4) ». Voyez la prudence de Paul et comment, dans ses avis, il fait souvent appel à des raisonnements humains. Il n’a point apporté ici une idée grande et sublime, mais quelque chose qui fût accessible à tous : rendre ce qu’elle doit à ses parents. Comment cela ? Vous avez été nourrie, vous avez grandi, vous avez joui de l’honneur qu’ils vous transmettaient. Ils ont quitté ce monde, et vous n’avez pu les payer de retour, car vous ne leur avez donné ni la vie ni la nourriture ; rendez-leur ce bienfait dans leurs descendants, acquittez dans vos enfants votre dette envers eux : « Que ces veuves apprennent d’abord à faire régner la piété dans leurs maisons ». L’apôtre exprime ainsi par un mot l’accomplissement de tous les devoirs. « Car », dit-il, « cela est favorablement accueilli de Dieu (4) ». Et comme il a dit : « Qui sont véritablement veuves », il exprime ce qu’est une véritable veuve. « Celle-là est véritablement veuve qui vit dans la solitude, espérant en Dieu et persévérant nuit et jour dans la n prière et l’oraison ; mais celle qui est dans les délices est morte toute vivante (5, 6) ». Ainsi l’apôtre nous dit. Celle qui n’a pas choisi une vie mondaine, et qui vit dans la viduité, celle-là est véritablement veuve ; celle qui espère en Dieu comme on le doit faire, qui s’adonne à l’oraison et y persévère nuit et jour, celle-là est veuve ; ce qui ne veut pas dire que la veuve qui a des enfants ne le, soit pas véritablement, car l’apôtre admire aussi celle qui donne à ses enfants l’éducation qu’elle leur doit, mais il parle ici de celle qui n’a pas d’enfants, qui est seule. Il la console ensuite de ne point avoir d’enfants, en lui disant que c’est ainsi qu’elle est parfaitement veuve, parce qu’elle se trouve privée non seulement de la consolation que lui eût donnée son mari, mais de celle qu’elle eût reçue de ses enfants ; elle a Dieu pour les remplacer tous. Car celle qui est privée d’enfants n’est pas au-dessous de l’autre ; mais l’apôtre remplit par ses consolations le vide que cette privation lui fait éprouver. Ne vous affligez pas, lui dit l’apôtre, si vous entendez cette parole qu’il faut élever des enfants (4), vous qui n’en avez pas, comme si votre dignité en était amoindrie, car vous êtes véritablement veuve. « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ».

3. Plusieurs en effet, ayant des enfants, conservent la viduité, non pour s’interdire les jouissances de la vie, mais plutôt pour en nourrir le goût chez elles, pour vivre avec plus d’indépendance et se donner davantage aux passions du monde ; que leur dit-il ? « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». Quoi ! une veuve ne doit pas vivre dans les délices ? Non, vous dit l’apôtre. Si donc la faiblesse de l’âge et de la nature ne rend point nécessaire une pareille vie, mais si cette manière d’agir procure la mort et la mort éternelle, que pourraient alléguer des hommes qui vivent ainsi ? C’est avec justice qu’il a dit « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». Voyons ce que font les vivants, quelle est la condition des morts et dans quels rangs nous devons la placer. Les vivants sont ceux qui font les œuvres de la vie à venir, de la véritable vie. Or, quelles sont les couvres de la vie à venir, dont nous devons nous occuper sans cesse ? Écoutez la parole du Christ. « Venez hériter du royaume qui vous a été préparé depuis la création du monde. Car j’ai a eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ». (Mat 25,34, 35) Les vivants ne sont pas distingués des morts seulement par la vue du soleil et des cieux ; non, dis-je, ce n’est point ainsi qu’ils diffèrent, mais par la pratique du bien, et s’ils ne le pratiquent pas, ils ne vaudront pas mieux que des morts.

Et, pour vous en instruire, écoutez comment on peut vivre, bien qu’on soit mort. « Dieu », dit l’Évangile, « n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ». (Mat 22,32) Mais, dira-t-on, c’est une autre énigme. Eh bien ! éclaircissons-les toutes deux. Celui-là est mort quoique vivant, qui vit dans les délices. Et comment ? c’est qu’il ne vit que par son ventre et non par ses autres sens ; ainsi il ne voit pas ce qu’il doit voir, n’entend pas ce qu’il doit entendre, ne dit pas ce qu’il doit dire, ce que doivent voir, entendre et dire les vivants ; mais, tel qu’un homme qui, étendu sur son lit, ferme les yeux, et rapprochant ses paupières ne s’aperçoit plus de rien de ce qui se passe, tel est cet homme, ou plu tôt il est dans un état bien pire. Car le premier est également insensible à ce qui est bon et à ce qui est mauvais ; l’autre n’est sensible qu’au mal, et quant au bien il n’en éprouve pas plus l’impression qu’un cadavre. Rien ne l’émeut des choses de la vie future ; en cela donc il est mort ; sa passion le saisit dans ses bras et l’entraîne comme dans une sombre retraite, dans un lieu obscur, dans un antre impur, et le fait demeurer dans les ténèbres, comme les morts dans leur sépulcre. En effet, quand il passe tout son temps à table ou dans l’ivresse, n’est-il pas dans les ténèbres ? n’est-il pas mort ? Le matin même où il paraît à jeun, il ne l’est pas franchement ; il n’a pas cuvé tout son vin de la soirée, il est en proie au violent désir de la débauche qui va commencer, lui qui passe et la soirée et le milieu du jour dans les festins, toute la nuit et la meilleure partie de la matinée dans un sommeil pesant. Dites-moi, devons-nous compter cet homme au nombre des vivants ? Et que dire des tempêtes produites dans l’âme par la volupté, tempêtes qui se répandent jusque dans le corps ? De même qu’un amas continu de nuages ne laisse plus passer un rayon de soleil, de même les vapeurs de la volupté et du vin, occupent le cerveau comme un point culminant, y condensent un épais nuage, ne permettent plus à la raison de se manifester et retiennent dans une nuit profonde celui qui est dans cet état. Et encore quelle tempête au-dedans !

De même que, quand une inondation se produit et que l’eau franchit le seuil des ateliers, nous voyons ceux qui les habitent s’empresser, pleins de trouble, de saisir des plats, des amphores, des éponges et d’autres objets pour épuiser l’eau et l’empêcher de ruiner les fondements de la maison, de mettre hors d’usage tout ce qu’elle renferme ; de même, lorsque la volupté s’est glissée de toutes parts dans une âme, les facultés intellectuelles sont troublées et ne peuvent suffire à la débarrasser de ce qui l’a envahie, parce que l’invasion se renouvelle sans cesse, et que la tempête est terrible. Ne considérez pas le visage qui est riant et illuminé, mais fouillez au dedans et vous verrez un homme plein d’une tristesse qui l’abat. S’il était possible de faire sortir l’âme du corps et de l’exposer sous nos yeux, vous verriez celle du voluptueux, morne, triste, endolorie, exténuée. Plus le corps s’engraisse et s’épaissit, plus l’âme s’exténue, s’affaiblit et s’ensevelit. Et de même que, devant la prunelle de l’œil, si la cornée s’épaissit, elle ne peut plus laisser passer le rayon visuel, le sens de la vue s’altère et la cécité se produit souvent, de même quand le corps est engraissé, il doit obstruer les abords de l’âme. Mais les morts se gâtent et se corrompent, le sang corrompu s’en échappe ; de même on voit chez les hommes livrés à la vie sensuelle, le rhume, l’inflammation, la pituite, les hoquets, les vomissements, les éructations ; je passe le reste, que j’aurais honte d’énoncer. Car telle est cette tyrannie, qu’elle leur fait faire ce qu’on n’ose pas exprimer.

4. Leur corps aussi laisse échapper la corruption de toutes parts. – Mais ils mangent et boivent ? Est-ce donc là le témoignage de la vie humaine, puisque les bêtes aussi mangent et boivent ? Quand l’âme est morte, quel besoin est-il d’aliments et de boisson ? Quand un corps est devenu cadavre, le vêtement parfumé qui l’enveloppe ne lui sert de rien, et quand une âme est morte, un corps parfumé ne lui sert pas davantage. Si sa pensée ne se préoccupe que de cuisiniers, de maîtres d’hôtel, de boulangers, si elle ne prononce pas une parole de piété, n’est-elle pas morte ? Qu’est-ce en effet que l’homme ? Les philosophes païens nous disent que c’est un animal raisonnable, mortel, susceptible d’intelligence et de science ; mais ce n’est pas par leur témoignage, c’est par l’Écriture sainte que nous déterminons sa nature. Or, comment la détermine-t-elle ? Écoutez-la : « Il était un homme », et qu’était-il ? « juste, véridique, pieux, s’éloignant de tout ce qui est mal ». (Job 1,1) Voilà le type de l’homme. Un autre écrivain sacré nous dit : « C’est une grande chose que l’homme, et l’homme miséricordieux est un objet précieux ». Mais ceux qui ne sont pas tels, quand ils seraient doués d’intelligence, et mille fois aptes à la science, l’Écriture ne les reconnaît pas pour dés hommes, mais pour des chiens, des chevaux, des vipères, des serpents, des renards, des loups et des animaux plus odieux que ceux-là, s’il en existe. Si donc tel est l’homme, le voluptueux n’est pas un homme ; et comment le serait-il, puisqu’il ne se préoccupe de rien de tel ? On ne peut être àla fois voluptueux et sobre : l’un exclut l’autre. Les païens eux-mêmes le disent : A ventre épais, jamais esprit subtil
Le grec forme un vers iambique trimètre, emprunté sans doute à quelque poète comique.
.

L’Écriture a bien su désigner les hommes dépourvus d’âme par ces mots : « Parce qu’ils sont chair. » (Gen 6,3) Ils avaient cependant une âme, mais elle était morte. Car de même que nous disons des hommes vertueux qu’ils sont tout âme, tout esprit, bien qu’ils aient un corps, nous pouvons employer l’expression inverse. C’est ainsi que Paul a dit : « Pour vous, vous n’êtes pas dans la chair » (Rom 8,9), parce qu’ils n’accomplissaient pas les œuvres de la chair. De même les voluptueux ne sont point dans l’âme ni dans l’esprit.

« Celle qui vit dans les délices est morte « toute vivante ». Écoutez, vous qui passez tout votre temps dans les festins et dans l’ivresse, vous qui n’arrêtez point vos regards sur les pauvres qui languissent et meurent de faim, mais qui mourez sans cesse dans les délices. Vous produisez une double mort par votre intempérance, la mort de ces infortunés et la vôtre ; et si vous aviez uni votre superflu à leur misère, vous auriez produit une double vie. Pourquoi donc gonfler votre estomac par vos excès et faire languir le pauvre par sa détresse?, Vous gâtez l’un en dépassant la mesure, et c’est outre mesure aussi que vous faites sécher l’autre. Pensez à ce que sont les aliments, comment ils se transforment et ce qu’ils deviennent. Ah ! cela vous blesse de m’entendre ? eh bien, pourquoi tant d’empressements à en produire plus largement la réalité, en vous gorgeant de nourriture ? La nature a ses bornes, et ce qui les dépasse n’accroît pas l’alimentation, mais devient inutile et nuisible. Nourrissez votre corps, ne le tuez pas. Nourriture ne veut pas dire ce qui tue, mais ce qui alimente. L’économie de la digestion est ainsi disposée, je pense, pour que nous ne soyons pas amis de l’intempérance ; car si la nourriture ne pouvait devenir inutile et nuisible, nous nous serions sans cesse dévorés les uns les autres : si l’estomac recevait tout ce que nous voulons lui donner, s’il le transformait en notre substance, combien ne verrait-on pas de guerres et de combats ? Si en effet, bien que tout né soit pas absorbé, malgré ce qui se transforme soit en sang, soit en graisse inutile et parasite, nous sommes si avides des plaisirs de la table, si souvent nous consumons dans un festin tout un héritage, que ferions-nous sans cela ? Nous nous infectons nous-mêmes en nous livrant à ces excès où notre corps devient semblable à une outre qui laisse échapper le vin
Sans avoir rien d’alarmant pour la pudeur la plus stricte, la phrase suivante ne peut se traduire qu’en latin et en note : Eructat aliquis adeo ut vel extra conclave cerebrum audientis concutiat, ùndique e corpore caliginosus effluit quasi e camino fumus, calore intus in putredinem verso.
. Si les autres en sont incommodés, que ne doivent pas souffrir et le cerveau sans cesse atteint par ces vapeurs, et les vaisseaux obstrués d’un sang qui bouillonne, et le foie et la rate qui doivent le recevoir, et les intestins eux-mêmes ? Chose désolante, nous songeons à prévenir l’obstruction des égouts, de peur qu’ils ne regorgent ; nous avons grand soin de les dégager avec des crocs et des hoyaux, et, pour ceux de notre estomac, loin de les tenir libres, nous les obstruons et les engorgeons : les immondices montent à la résidence du roi, je veux dire au cerveau, et nous n’y veillons pas. Nous agissons comme si nous n’avions pas là un roi ami de la décence, mais un chien immonde. Le Créateur a relégué au loin ces organes, afin qu’ils ne nous incommodent pas ; mais nous troublons son œuvre et gâtons tout par notre intempérance. Mais que dire des maux qui en résultent ? Bouchez les canaux des égouts, et vous verrez bientôt naître la peste. Elle est produite par l’infection qui vient du dehors ; mais celle qui est au dedans, qui est concentrée par le corps et n’a point d’issue, ne produit-elle pas mille maux pour le corps et pour l’âme ? Ce qu’il y a de terrible, c’est que plusieurs murmurent contre Dieu pour les nécessités auxquelles notre corps est soumis, et eux-mêmes les accroissent. Dieu nous a donné ces lois, afin de nous détourner de l’intempérance, afin de nous persuader même par ces moyens de ne pas nous égarer dans les choses de ce monde. Mais vous ne vous laissez pas même par là détourner de l’intempérance ; vous vous y plongez jusqu’au gosier, tant que dure le temps du repas, ou plutôt vous n’attendez pas jusque-là. Le plaisir du goût ne s’éteint-il pas, dès que l’aliment a dépassé la langue et la gorge ? La sensation disparaît alors, mais le malaise se prolonge, parce que l’estomac n’opère pas ou opère avec grand-peine.

L’apôtre a donc dit avec raison : « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». Elle ne peut ni se faire entendre, ni entendre, l’âme qui vit ainsi ; elle est amollie, sans générosité, sans courage, sans liberté, timide et impudente, vile flatteuse, ignorante, colère, irascible, pleine de tous les maux et privée de tous les biens. « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante. Et prescrivez-leur d’être irréprochables ». (1Ti 5,6-7) Vous le voyez, c’est une loi ; il ne le livre pas à leur choix. Prescrivez-leur, dit-il, de ne pas vivre dans les délices, car c’est assurément un mal, et l’on ne peut admettre aux mystères ceux qui vivent ainsi : « Prescrivez-leur d’être irréprochables » ; vous voyez donc qu’il met cette conduite au nombre des péchés ; car ce qui est libre, quand on ne le pratiquerait pas, n’empêche pas d’être irréprochable. Ainsi, obéissant à Paul, nous aussi nous vous avertissons que les veuves qui vivent dans les délices ne sont pas au nombre des veuves. Car si un soldat qui donne son temps aux bains, aux théâtres et à ses affaires est regardé comme un déserteur, combien plus le doit-on dire des veuves ? Ne cherchons point ici notre repos, afin de le trouver dans l’autre vie ; ne vivons pas ici dans les délices, afin de jouir dans la vie future des délices véritables, des véritables plaisirs qui ne produisent aucun mal et nous mettent en possession de tant de biens, que je souhaite à vous tous en le Christ Jésus Notre-Seigneur avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE SUR LES VEUVES. Sur ce texte : « Que celle qui sera choisie pour être mise au rang des veuves, n’ait pas moins de soixante ans (1Ti 5,9) » De l’éducation des enfants et de l’aumône.

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Cette homélie fut prononcée la même année que l’homélie sur les Calendes et que les homélies sur Lazare. On le voit par l’exorde où saint Chrysostome dit qu’il avait parlé dernièrement sur ce texte : Au sujet de ceux qui dorment, je ne veux pas vous laisser ignorer. C’est le sujet du cinquième discours sur Lazare. Donc l’homélie sur les Calendes, les sept sur Lazare et celle-ci furent faites par l’orateur, au commencement de la même année, à Antioche. Quelle est cette année ? c’est ce que l’on n’a pas encore découvert.

  • 1-2. Dignité de la veuve. Deux sortes de veuves, les veuves pauvres que l’Église nourrit, et les veuves opulentes. Desquelles l’Apôtre exige-t-il qu’elles aient soixante ans ? évidemment des dernières. Là où il s’agit de secours à donner, il n’y a pas d’âge à déterminer. Quiconque souffre veut être soulagé à tout âge et dans n’importe quelle condition. – 3. Il y avait autrefois des chœurs de veuves comme il y a maintenant des chœurs de vierges. Dans la composition de ces chœurs, l’on ne pouvait agir avec trop de prudence ; de là ce conseil de n’admettre que celles qui étaient d’un âge à ne plus vouloir retourner dans le monde. – 4. Le conseil de se remarier jeunes, ne regarde que les veuves qui ne supporteraient pas l’épreuve du veuvage. Celle qui veut être admise à la dignité de veuve doit d’abord en montrer les œuvres. – 5-6. Des inconvénients des secondes noces. – 7-11. Œuvres de la veuve ; premièrement : bien élever ses enfants. – 12-14. Deuxièmement, exercer l’hospitalité. – 15. Il faut servir les pauvres. —16. Exhortation à la pratique de l’aumône.

1. Reconnaissons l’à-propos dans la grâce que l’Esprit-Saint vous a ménagée par la lecture de la lettre apostolique de ce jour ; on y trouve, avec ce que nous disions naguère, un rapport de parenté ; vous verrez que ce sont des pensées de la même famille, si vous vous attachez moins aux paroles qu’au sens des expressions. En effet, notre lecture de l’autre jour, c’était : Touchant ceux qui dorment, je ne veux pas que vous ignoriez, mies frères (1Th 4,12), et alors nous avons parlé avec développement de la résurrection, du courage à montrer dans les jours de funérailles, des grâces qu’il faut rendre à Dieu, quand il nous prend ceux qui sont nos proches. Voici aujourd’hui notre lecture : Que celle qui sera choisie pour être mise au rang des veuves, n’ait pas moins de soixante ans. Puisque c’est la mort qui fait le veuvage ; puisque c’est là ce qui excite le plus la douleur, et rend le deuil plus amer, rappelez-vous les consolations naguère adressées par nous à ceux qui sont dans le deuil ; vous les avez recueillies avec toute l’ardeur d’un vrai zèle ; gardez-les où vous mettez en réserve les bonnes pensées. Certes, quand on dit veuvage, il semble que l’on dise malheur ; il n’en est pas ainsi pourtant ; le veuvage est une dignité, c’est un honneur, c’est la gloire la plus belle ; ce n’est pas un opprobre, mais une couronne. Si la veuve n’a plus de mari dont elle partage l’habitation, elle partage l’habitation du Christ, qui écarte tous les maux déchaînés contre nous. En effet, il suffit à la veuve qu’on outrage et qu’on tourmente, d’entrer, de fléchir les genoux, de gémir dans l’amertume de son cœur, de verser des larmes, et elle repousse loin d’elle tous les assauts ; car voilà les armes de la veuve : les pleurs, les gémissements, les prières assidues ; par là, elle n’écarte pas seulement les injures que lui font les hommes, mais les assauts que lui livrent les démons. Affranchie des affaires du siècle, elle n’a plus qu’à suivre son chemin vers le séjour d’en haut ; le zèle qu’elle témoignait à son mari, le culte qu’elle avait pour lui, elle pourra le convertir aux choses spirituelles. Si vous me dites que le veuvage était un malheur autrefois, voici ce que je vous répondrai : La mort aussi a été une malédiction, et la mort est devenue une dignité pour qui sait noblement la braver. Voilà comment les martyrs conquièrent leur couronne, voilà de même comment la veuve s’élève à un rang si haut.

2. Voulez-vous comprendre la grandeur de la veuve, de quel honneur elle est digne auprès de Dieu, quel amour Dieu a pour elle, de quelle protection puissante elle peut couvrir auprès de Dieu ceux qui sont déjà condamnés ; les désespérés qui n’osent pas murmurer une parole, qui sont détestés de Dieu, privés de tout espoir d’indulgence ; comme elle peut les délivrer, les réconcilier, non seulement obtenir leur pardon, les arracher au supplice, mais leur conquérir la confiance dans l’affection du Seigneur, la gloire ; leur rendre une splendeur plus pure que les rayons du soleil, quand ils seraient les plus souillés parmi tous les hommes ? Entendez Dieu lui-même parlant ainsi aux Juifs : Lorsque vous étendrez vos mains vers moi, je détournerai mes yeux de vous, et lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai point, parce que vos mains sont pleines de sang. (Isa 1,15) Eh bien ! pourtant, à ces scélérats, à ces homicides, à ces infâmes souillés de toute espèce d’ignominie, il promet de se réconcilier avec eux s’ils portent secours aux veuves à qui l’on fait une injustice. Car après avoir dit : Je détournerai mes yeux de vous, et je ne vous écouterai point, il dit : faites justice à l’orphelin, défendez la veuve et venez, et soutenez votre cause contre moi. Quand vos péchés seraient comme l’écarlate, je les rendrai blancs comme la neige. (Id 17,18) Voyez-vous quelle grande puissance possède la veuve, non pas auprès d’un prince ou d’un roi de la terre, mais auprès du Roi même qui règne dans les cieux ? quelle colère elle apaise ! comme il lui est donné de calmer le Seigneur irrité contre ceux que possède un mal incurable ! quel pouvoir elle a pour les arracher à l’insupportable supplice ! ce qu’elle fait d’une âme que le péché a souillée et rendue immonde ! Elle la purifie, elle lui rend tout l’éclat de la plus parfaite pureté. Gardons-nous donc de mépriser la veuve, entourons-la de toute notre sollicitude, de tout notre zèle ; pour nous quelle patronne, celle qui est vraiment une veuve, ? Mais il est utile de considérer ici, avec soin, de quelles veuves parle le texte sacré. On entend par veuves, celles qui, tombées dans la plus grande indigence, et portées sur les registres, sont nourries aux frais de l’Enlise, comme cela se pratiquait au temps des apôtres. Il s’éleva, dit l’Écriture, un murmure parmi les Juifs grecs, parce que leurs veuves étaient méprisées dans la dispensation de ce qui se donnait chaque jour. (Act 6,1) On appelle aussi de ce nom les femmes qui ne connaissent nullement l’indigence ; qui, au contraire, sont, riches, à la tête de leur maison, et n’ont perdu que, leur mari seulement. Voyons donc, de quelles veuves, le texte parle ici, en disant, que celle qui sera choisie pour être mise au, rang des veuves, n’ait pas moins de soixante ans. Est-ce de celle qui a besoin de secours, qu’il faut nourrir aux frais de l’Église ; ou de celle qui n’est nullement dans l’indigence, qui, au contraire, possède de grandes richesses ? Il est évident qu’il est question de la dernière ; car, lorsqu’il parle de l’autre, qui est tourmentée par la faim, il ne se préoccupe ni d’âge, ni de bonnes mœurs, mais il dit, d’une manière absolue : Si quelqu’un des fidèles ou si quelqu’une des fidèles a des veuves, qu’il leur donne ce qui leur est nécessaire, et que l’Église n’en soit pas chargée. (1Ti 5,16) Il ne dit pas : Pourvu qu’elle ait soixante ans ; il ne dit pas : Si elle a exercé l’hospitalité, si elle a lavé les pieds des saints (Id 5,10) ; et c’est avec raison que le texte n’apporte pas ces restrictions. En effet, où il faut remédier : à l’indigence, on ne doit pas s’occuper de l’âge. Qu’importe qu’elle n’ait que cinquante ans, si elle meurt de faim ? qu’importe qu’elle soit jeune, celle dont le corps est mutilé ? Faudra-t-il qu’elle dorme, attendant qu’elle ait soixante ans ? Ce serait le comble de la cruauté. Ainsi, quand il faut calmer la faim, il ne s’inquiète pas curieusement de l’âge ou des bonnes mœurs. Mais, quand il n’y a plus à secourir l’indigence, quand il s’agit d’un honneur, d’une dignité à conférer, il institue, et il a raison, une enquête qui se rapporte aux mœurs.

3. C’est que, comme il y a des chœurs de vierges, il avait aussi des chœurs de veuves ; et il n’était pas permis d’en former les listes indifféremment. Il n’est donc pas question ; ici, de la veuve qui vit dans l’indigence, qui a besoin de secours, mais de celle qui veut prendre le titre de veuve. Pourquoi maintenant pose-t-il, au sujet de celle-ci, une question d’âge ? C’est qu’il savait bien que la jeunesse est comme un bûcher, comme une mer aux innombrables flots, tourmentée par mille tempêtes ; donc, ce n’est qu’après qu’elles étaient affranchies, par le bénéfice de l’âge, après qu’elles étaient parvenues au port de la vieillesse, ce n’est qu’après que le feu des passions ne couvait plus en elles, qu’il les admettait, sans défiance, dans ce chœur des veuves. Quoi donc ! n’a-t-on pas vu, dira-t-on, nombre de veuves, des veuves de vingt ans, briller d’un pur éclat jusqu’à leur dernière heure, porter longtemps le joug, et montrer, sans jamais se démentir, un noble spécimen de la vie apostolique ? eh bien ! donc, je vous le demande, les écarterons-nous ? et, quand elles veulent conserver le titre de veuves, les forcerons-nous à contracter un second mariage ? Est-ce là une conduite digne du conseil de l’Apôtre ? Que signifient donc ses paroles ? Prêtez-nous toute votre attention, mes bien-aimés ; comprenez, bien le sens du texte. Il ne dit pas : qu’il n’y ait pas de veuve âgée de moins de soixante ans, mais que celle qui sera choisie pour être mise au rang des veuves; et, d’un autre côté, il ne dit pas : que les veuves plus jeunes ne soient pas choisies, mais : évitez les veuves plus jeunes. (1Ti 5,11) Ce sont là les paroles qu’il écrit à Timothée. Les détracteurs, les médisants abondent toujours, leurs langues sont aiguisées contre ceux qui dirigent les Églises. Paul veut mettre un chef d’église à l’abri des accusations ; il lui prescrit la loi qu’il exprime à peu près ainsi : Pour ce qui est de toi, ne choisis pas. Si, d’elle-même, si, de son propre mouvement, la veuve tient à entrer dans cette compagnie, qu’elle y entre ; toi cependant, ne l’admets pas encore. On pourrait dire : elle était jeune, elle voulait se marier, rester à la tête de sa maison ; c’est un tel qui l’a forcée ; voilà pourquoi elle a succombé ; de là, ses fautes. Toi, ne la choisis pas, afin que, si plus tard elle succombe, tu sois à l’abri des accusations ; et afin que, si elle demeure ferme, tu puisses la choisir, au temps convenable ; avec plus de sécurité. Si le texte dit : Je veux que les jeunes veuves se marient, qu’elles aient des enfants (1Ti 5,14), comprenez ce qu’il entend par jeunes veuves. Ce sont celles qui, ayant secoué le joug du Christ, veulent se remarier ; des bavardes, des curieuses, des coureuses, disant ce qu’on ne doit pas dire, qui se sont mises de la suite de Satan. Et, en effet, après avoir dit : Je veux que les jeunes veuves se marient, il ne s’est pas arrêté, mais il dit ce qu’il entend par jeunes veuves, et il raconte leurs faux pas. Quels sont-ils, ces faux pas ? Parce que la mollesse de leur vie, les portant à secouer le joug de Jésus-Christ, elles veillent se remarier ; des fainéantes, des causeuses, des curieuses, des coureuses, disant ce qu’on ne doit pas dire, des femmes perverties. (Id 11, 13, 15), pour voir qui ? pour voir Satan. Donc, puisqu’après avoir embrassé le veuvage et continue toute cette vie de honte, elles veulent contracter un second mariage, mieux vaut qu’elles le contractent avant d’être devenues les épouses du Christ, et d’avoir violé leur contrat avec lui. S’il est une veuve qui ne ressemble pas à celles-ci, le texte ne lui impose pas la nécessité d’un second mariage.

4. Et voici la preuve que c’est là la vérité. Si, en effet, on eût prescrit, comme par une loi, à toutes les femmes de se marier, de rester à la tête de leur maison, l’enquête suivante eût été superflue : Si elle a bien élevé ses enfants, si elle a lavé les pieds des saints, si elle a secouru les affligés, si elle s’est appliquée à toutes sortes de bonnes œuvres. (Id 5,10) Il est aussi inutile de dire : qu’elles n’aient eu qu’un mari. (Id. 9) En effet, si vous ordonnez à toutes les jeunes veuves de se marier, comment pourra-t-il arriver qu’une des veuves qui vous occupent n’ait eu qu’un mari ? Donc, le texte considère les veuves dont on doit se défier. Telle est encore la pensée du texte sur le commerce conjugal. En effet, après avoir dit : Ne vous refusez point l’un à l’autre ce devoir, si ce n’est du consentement de l’un et de l’autre, pour un temps, afin de vous exercer au jeûne et à la prière, et ensuite vivez ensemble comme auparavant(1Co 7,5) ; pour que vous n’alliez pas regarder cette parole comme une loi, comme un précepte, il en donne aussitôt la raison, en disant : De peur que le démon ne vous tente, ce que je vous dis comme une chose qu’on vous conseille et nos pas qu’on vous commande à cause de votre incontinence. Donc, de même que, dans ce passage, il ne s’adresse pas à tous les hommes, mais seulement aux plus incontinents, à ceux qui succomberaient facilement ; de même, à présent, il a en vue, parmi les femmes, celles dont la chute est trop facile, celles qui ne supporteraient pas le veuvage ; c’est à elles qu’il donne le conseil de se marier une seconde fois. C’est qu’en effet le veuvage est chose double. Comment cela, double ? C’est un spécimen de bonnes œuvres, c’est une très-haute dignité. De même donc qu’une magistrature, aussi, est chose double ; en effet, il y faut considérer les œuvres et la dignité : la dignité c’est la puissance du magistrat, les honneurs que le peuple lui rend, c’est la magistrature en elle-même. Quant aux œuvres de la magistrature, c’est de secourir ceux à qui l’on fait injustice de réprimer les auteurs de l’injustice, de commander aux villes, de veiller, de passer les nuits pour les affaires communes de la république, ce sont mille autres soins ; de même pour le veuvage, il faut distinguer la dignité et les œuvres : la plus grande dignité, c’est d’être veuve, nous l’avons déjà démontré ; quant aux œuvres, c’est de ne pas faire venir un second mari, mais de se contenter du premier ; de bien élever ses enfants, d’exercer l’hospitalité, de laver les pieds des saints, de secourir les affligés, de s’appliquer à faire le bien, de toutes les manières. Aussi, Paul, en parlant de ces œuvres, permet aux veuves de les accomplir toutes, mais il ne permet pas d’élever à la dignité de veuve, de faire entrer dans la compagnie, de mettre au rang des veuves ; celle qui n’a pas soixante ans accomplis ; c’est comme s’il disait : Qu’elle fasse toutes les œuvres qui conviennent aux veuves ; quant à la dignité, qu’elle ne l’obtienne que quand, après avoir accompli tontes ces bonnes œuvres, elle devra au bénéfice de l’âge toute sécurité ; et, à ses œuvres, la démonstration et le témoignage extérieur de sa vertu. Que nul n’aille s’imaginer que ce discours ne convienne qu’aux femmes, car les hommes y trouveront aussi de quoi profiter lis doivent, eux aussi, s’en tenir à la femme qu’ils ont perdue ; ils ne doivent pas vouloir que des lionnes habitent avec leurs enfants, que des belles-mères, introduites dans leur maison, en ruinent toute la sécurité.

5. Ce que nous disons, ce n’est pas pour vous prescrire la haine d’un second mariage, mais nous vous conseillons de vous contenter du premier. Autre chose est l’exhortation, autre chose le commandement. L’exhortation, le conseil, laissent à la discrétion de l’auditeur le choix ; dans ce qu’on lui conseille ; le précepte, au contraire, supprime ce pouvoir de choisir. L’Église ne fait pas, ici, de précepte ; elle exhorte seulement ; Paul a permis les seconds mariages, quand il a dit : La femme est liée à la loi du mariage tant que son mari est vivant ; mais si son mari meurt, elle est libre ; qu’elle se marie à qui elle voudra, pourvu que, ce soit selon le Seigneur. Cependant elle sera plus heureuse si elle demeure en cet état. (1Co 7,39-40) Ainsi, comme le mariage est bon, mais la virginité vaut mieux ; de même, le second mariage est bon, mais le premier, l’unique mariage, vaut mieux. Nous ne rejetons donc pas le second mariage ; nous ne prescrivons rien non plus sur ce point, mais nous exhortons : Que celui qui veut conserver la chasteté se contente du premier mariage. Et, maintenant, pourquoi nos exhortations et nos conseils ? Pour assurer la sécurité de la maison. Souvent le second mariage est une occasion de luttes et de combats de tous les jours. Assurément, bien souvent, if arrive qu’assis à table, le mari, au souvenir de sa première femme, pleure en silence ; mais l’autre, tout à coup, prend feu, bondit comme une bête fauve, et lui demande raison de sa tendresse pour celle qui n’est plus. S’il veut louer la femme qui est partie, c’est un prétexte de guerre ; un éloge est un sujet de combat. Et, voyez, quand nos ennemis particuliers sont morts, nous ne sentons plus rien contre eux ; la même heure a terminé leur vie et notre haine. Chez les épouses, ce qui se montre, c’est tout le contraire ; la femme qu’elle n’a pas vue, la femme qu’elle n’a pas entendue, la femme qui ne lui a fait aucun mal, celle-ci la déteste, l’a en horreur, et la mort même n’éteint pas sa haine. Qui donc a jamais vu, qui donc a jamais entendu dire que la poussière fût un objet ; de jalousie, qu’on fit la guerre de la cendre ?

6. Mais ce n’est pas là que s’arrête le mal ; soit que la seconde épouse ait des enfants, soit qu’elle n’en, ait pas, nouveaux combats, toujours la guerre. Si elle n’en a pas, son chagrin est plus amer, et, pour cette cause, elle regarde comme des ennemis, qui lui font le plus grand outrage, les enfants de la première femme ; elle les regarde comme un reproche, qui lui rend plus sensible sa stérilité ; si, au contraire, elle a des enfants, le mal n’est pas moindre. En effet, souvent le mari, par tendresse pour, l’épouse qu’il a perdue, embrasse ses enfants, et, par l’affection, par la compassion qu’il éprouve, il souffre de les voir orphelins. Mais l’autre veut que toujours et partout on préfère ses enfants à elle, et, à ses yeux, les autres ne sont pas des frères, mais de vils esclaves ; voilà qui est de nature à bouleverser la maison, à rendre pour l’époux la vie insupportable. Aussi, nous vous exhortons à garder, s’il est possible, la continence, à vous contenter du premier mariage. Nous conseillons, aux maris, de ne pas prendre une nouvelle femme ; aux femmes, de ne pas prendre un nouveau mari, de ne pas jeter leur maison dans un tel bouleversement.

Mais maintenant, pourquoi Paul, parlant de la viduité, ne s’est-il pas contenté de cette première condition : Pourvu qu’elle n’ait eu qu’un mari ? C’est afin de vous faire comprendre que ce qui constitue la veuve, ce n’est pas seulement de ne jamais épouser un second mari, mais d’abonder en bonnes œuvres, en aumônes, en douceur, en soins pour les étrangers. Car, si la virginité n’a servi de rien aux vierges (et cependant la virginité est bien supérieure à la viduité), si les vierges dont la lampe s’est éteinte sont tombées dans le mépris pour n’avoir pas pu montrer les fruits de la charité et de l’aumône (Mat 25), c’est ce qui est encore bien plus vrai des veuves. Quand Paul entend cette parabole, effrayé pour les veuves, il étudie leur cause avec le plus grand soin ; il ne veut pas que la modération qui les porterait à s’en tenir à un seul mariage leur fasse négliger les autres vertus. Voilà pourquoi il dit : Qu’on puisse, rendre témoignage de ses bonnes œuvres. (1Ti 5,10) En effet, de même que la virginité, quoiqu’étant un bien, ne produit toute seule arien n fruit, et rie peut ouvrir là chambre de l’époux ; de même la viduité est un bien, mais, sans les autres vertus, elle est vaine et superflue. Aussi le conseil de Paul ne se réduit pas à ce qu’elles s’abstiennent d’un second mari, mais il réclame, de la veuve, d’autres vertus, en grand nombre, et des vertus considérables. Il faut que des soldats d’élite soient des soldats bien constitués ; de même, Paul choisissant les soldats du Christ, veut des âmes bien constituées, vaillantes, ardentes pour toutes les bonnes pauvres, et il prononce ces paroles : Si elle a bien élevé ses enfants ; si elle a exercé l’hospitalité ; si elle a lavé les pieds des saints ; si elle a secouru les affligés ; si elle s’est appliquée à toutes sortes de bonnes œuvres. Chacune de ces paroles ne semble qu’un petit mot, sans valeur, et pourtant contient eu soi ce qui constitue la vie.

7. S’il vous paraît bon, étudions d’abord ce que Paul a mis au premier rang : Si elle a bien élevé ses enfants. Il indique par là l’éducation, non pas cette éducation, simple, vulgaire, qui consiste, lorsque les enfants meurent de faim, à s’en apercevoir. Il suffit de la nature pour veiller toujours aux soins de ce genre ; d’où il arrive qu’il ne faut ni commandement, ni loi, pour obtenir que les veuves élèvent leurs enfants. Mais Paul entend ici le soin de les élever, dans la justice et dans la piété. Celles qui n’élèvent pas ainsi leurs enfants, sont des infanticides plutôt – que des mères. Ce que je dis, je ne l’adresse pas aux femmes seulement ; je l’adresse en même temps aux hommes. Il ne manque pas de pères qui, pour donner à leur fils un bon cheval, des demeures magnifiques, un domaine d’un grand prix, font tout, remuent tout ; quant à obtenir que leur fils ait l’âme bonne, et se tourne vers la piété, ils n’y pensent pas. Et c’est là ce qui produit le chaos sur la terre entière. Noirs n’avons pas soin de nos enfants ; de leurs possessions, de leur fortune, nous prenons grand souci ; noirs négligeons leur âme, et voilà le comble de la démence. En effet, multipliez tant que vous voudrez les riches humaines, si le possesseur n’a ni vertu ni zèle de l’honnêteté, tout s’en via, tout s’évanouit avec lui ; et ces richesses causent, à celui qui les possède, un préjudice affreux. Au contraire, une âme généreuse et sage, quand elle n’aurait aucun bien en réserve, est assurée de jouir de tous les trésors. Nous devons donc nous proposer de rendre nos enfants, non pas riches d’argent et d’or, ni des choses de ce genre, mais riches, le plus possible ; par la piété, par la tempérance, par l’acquisition de toutes les vertus, nous proposer de les préserver de mille habitudes qui deviennent des besoins ; de leur faire prendre en mépris les choses du siècle, les passions succédant toujours aux passions, pour surprendre l’âme. Où entrent-ils ? d’où sortent-ils ? voilà ce qui doit exciter notre curiosité, éveiller tous nos soins. Quelles sont leurs connaissances ? quels sont leurs amis ? et comprenons bien que, si nous négligeons cette surveillance, nous n’obtiendrons, de Dieu, aucun pardon. S’il est vrai que notre négligence pour les intérêts d’autrui, nous attire des châtiments, que personne ne cherche sa propre satisfaction, de l’Apôtre, mais le bien des autres (1Co 10,24) ; quel châtiment bien plus terrible nous frappera, si nous négligeons nos enfants. N’ai-je pas mis ton enfant dans ta maison, dès le commencement, dit le texte ? ne t’ai-je pas établi son précepteur, son maître, son protecteur, son juge ? ne t’ai-je pas remis entre les mains tout pouvoir sur lui ? Je t’ai confié le soin de pétrir, de façonner cette âme molle et délicate ? quel pardon mérites-tu si, pour quelque résistance, tu l’abandonnes ? que pourrais-tu dire ? que c’est une nature rétive, qui ne supporte pas le frein ? Mais c’est tout d’abord ce qu’il fallait prévoir ; quand il supportait le frein, quand il était dans la première jeunesse, il fallait prendre le soin de le brider, l’habituer, le façonner au devoir, châtier les vices dont son âme est malade. La culture était facile ; c’était alors qu’il fallait arracher les épines ; dans un âge encore tendre, on les eût plus facilement extirpées ; on n’aurait pas vu les passions grandir, par la négligence du surveillant, et défier qui les veut combattre. Voilà pourquoi, dit le Sage : Fléchis-lui le cou, quand il est jeune (Sir 7,23) ; c’est-à-dire, à l’heure où il est plus facile de le former par l’éducation. Et l’Écriture ne se contente pas du précepte, elle Se met à l’œuvre avec vous. Comment ? Celui qui aura maudit son père ou sa mère, sera puni de mort. (Exo 21,17) Voyez-vous quelle crainte elle inspire ? quel redoutable rempart elle construit pour vous ? quelle force elle vous donne ? Quelle excuse pourrons-nous donc alléguer ? Comment ! si nos enfants nous outragent, Dieu n’épargne pas même leur vie ; et nous, quand nous les voyons outrager Dieu, nous sommes sans colère, et nous les supportons ! Moi, dit le Seigneur, je ne refuse pas de mettre à mort qui t’outrage, et toi, tu ne veux même pas qu’on attriste d’un mot celui qui foule aux pieds mes lois ! Eh ! quelle pourrait être l’excuse d’unetelle conduite ? Vous voyez qu’on outrage son Créateur, et vous ne vous indignez pas, répondez-moi, et vous ne tremblez pas, et vous n’avez pas de réprimande pour l’enfant, et cela quand vous savez qu’il enfreint la loi de Dieu ! ce n’est pas que l’outragé en reçoive aucun préjudice (Dieu n’a rien à perdre), mais l’enfant n’est-il pas à sauver ? qui se livre contre Dieu à des outrages insensés, à bien plus forte raison, insultera son père, et dégradera son âme.

8. Donc soyons vigilants, puisque nous savons que, s’ils rendent à Dieu ce qui lui est dû, nos enfants jouiront, même dans la vie présente, d’un brillant et glorieux nom. A l’homme vertueux et modeste les respects de tous, tous les honneurs ; fût-il le plus misérable de tous les pauvres ; le méchant, le pervers n’excite que répulsion et que haine, vît-il abonder chez lui les richesses à grands flots. Et non seulement votre enfant sera, pour les autres, un sujet de vénération, mais vous-même, son père, vous, le chérirez plus encore ; car, à l’amour qui résulte de la, nature, se joindra l’amour non moins vif qui s’attache à la vertu, et non seulement vous le chérirez plus, mais ce cher objet vous sera plus utile, vous honorant, vous servant, vous soutenant dans votre vieillesse. De même que les ingrats envers Dieu ; méprisent leurs parents, de même ceux qui honorent leur Créateur entourent leurs parents d’hommages et de vénération. Donc voulez-vous être considéré de Dieu et des hommes, assurer le doux bonheur de votre vie, vous préserver des châtiments à venir, faites de votre enfant l’unique objet de vos soins. Ceux qui négligent leurs enfants, fussent-ils d’ailleurs honnêtes, tempérants et sages, subiront, pour cette négligence, le plus terrible des châtiments, ce que prouve une vieille histoire, que je vais vous raconter.

Il y avait chez les Juifs un prêtre honnête d’ailleurs et sage que l’on nommait Héli. Cet Héli avait deux fils, tombés dans les derniers excès de la dépravation ; il ne les réprimandait pas, il les laissait faire : c’est-à-dire il les réprimandait bien, il cherchait à les retenir, mais il n’y mettait pas le soin suffisant, il manquait de sévérité. (1Sa 2,11). Il aurait dû employer les verges, il aurait dû les chasser de la maison paternelle, user de tous les moyens de correction ; eh bien ! non, il se contentait de leur adresser des exhortations, (tes conseils ; il leur disait : Ne faites pas cela, mes enfants, ne faites pas cela, car je n’ai pas les oreilles flattées de ce qui vient à mes oreilles à cause de vous. (1Sa 2,21). Que dis-tu ? Ils ont outragé Dieu et tu les appelles tes enfants ? Ils ont méconnu leur Créateur et tu les reconnais ? Voilà pourquoi l’Écriture dit qu’il ne les réprimandait pas, c’est que la réprimande n’est pas un conseil quelconque, c’est un moyen énergique, mordant, qui mesure, à la gravité de la blessure, la rigueur du traitement, du coup qu’il faut frapper. Il ne suffit pas de prononcer des paroles ; des exhortations, il faut aussi de la fermeté, de la force, inspirer une terreur qui secoue l’indolence de la jeunesse. Donc ; comme il les exhortait, mais rie les exhortait pas dans la mesure qui convenait, il les livra aux coups des ennemis, et, quand la bataille s’engagea, ils périrent clans la mêlée ; incapable de supporter cette nouvelle, le père tomba à la renverse, se brisa la tête et mourut. Avais-je raison de les appeler meurtriers de leurs enfants, les pères qui les négligent, qui ne les châtient pas sévèrement, qui ne les forcent pas à rendre le culte qu’ils doivent à Dieu ? C’est ainsi qu’Héli a été le meurtrier de ses fils. Sans douté, ce sont les ennemis qui ont tué ses fils, pourtant c’est lui qui a été l’auteur de leur mort violente, parce que sa négligence à l’égard de ses fils, a détourné d’eux le secours du Seigneur, les a livrés, nus, privés de tout appui, à qui les voulait tuer. Et non seulement il les a perdus, mais il s’est perdu lui-même avec eux.

9. C’est justement ce qui arrive, maintenant encore, à un trop grand nombre de pères. Ils ne veulent pas punir par les verges, ni même châtier en paroles, ni attrister leurs enfants, qui vivent dans les désordres et violent les lois ; qu’arrive-t-il ? souvent ils les voient convaincus des plus grands crimes, traînés en jugement, décapités par les bourreaux. Puisque tu ne les châties pas, puisque tu ne les corriges pas, puisque tu t’en vas toi-même te mêler à des scélérats ; à des hommes perdus ; puisque tu te fais le complice de leurs crimes, on les traite d’après la rigueur des lois, et, sous les yeux du public, on les châtie ; et, au malheur, se joint un surcroît d’infamie, quand tous montrent du doigt le père, dont le fils n’existe plus, et lui rendent impossible l’accès de la place publique. Comment ses yeux pourraient-ils supporter ceux qu’il rencontre, après une telle ignominie, après le malheur de son enfant ? Aussi, je vous en prie, je vous en conjure ; ayons bien soin de ces enfants qui sont nôtres, et toujours, et partout appliquons-nous au salut de leurs âmes. Le maître, le docteur de toute la famille, c’est toi ; et ta femme, et tes enfants, Dieu te les confie, pour les instruire toujours. Et, en tel endroit, Paul, en parlant des épouses, dit : Si elles veulent s’instruire de quelque chose, qu’elles le demandent, dans leurs maisons, à leurs maris. (1Co 14,30) ; et, en tel autre endroit, parlant des enfants:Élevez-les en les instruisant et les avertissant, selon le Seigneur.(Eph 6,4) Dites-vous que vous avez des statues d’or dans vos maisons, vos enfants ; et, tous les jours, polissez-les, ne vous lassez pas de les observer avec le plus grand soin, et employez tous les moyens, pour les embellir, pour les former. Imitez le bienheureux Job. qui redoutant les suites de leurs péchés, offrait, pour eux, des sacrifices, et ne cessait, pour eux, de s’inquiéter, de tout prévoir. (Job 1,5) Incitez Abraham, peu soucieux de ses trésors, de toutes ses possessions ; ce dont il se souciait, c’était de la loi de Dieu, c’était d’en recommander, à ses descendants ; l’observance exacte. Dieu rend témoignage de la vertu de ce juste, par ces paroles : Je sais qu’Abraham ordonnera, à ses enfants, d’agir selon l’équité et la justice. (Gen 18,19) David aussi, en mourant, fit venir son fils, et lui légua comme un bel héritage ces recommandations, sans cesse renouvelées : Si vous voulez, mon fils, vivre conformément à la loi de Dieu, aucun malheur imprévu ne fondra sur vous, et vous jouirez d’une grande sécurité ; mais si vous perdez ce puissant secours, toute votre royauté, toute votre puissance ne vous servira de rien. Voilà ce qu’il lui disait, telles étaient ses exhortations, sinon ses paroles mêmes.

10. Répétons-les, nous aussi, et pendant tout le temps de notre vie, et au moment de partir, à nos enfants ; persuadons-leur que c’est une grande richesse, et un héritage infaillible, et un trésor, le plus assuré de tous, que la crainte de Dieu : soyons moins jaloux de leur laisser une fortune périssable, que cette piété durable qui ne se dissipe jamais. Sans la piété, la fortune s’évanouit, ne vous laissant que les dangers et la honte ; avec la piété, la fortune arrive. Élevez bien votre fils, un autre en fera autant de son fils, et après cet autre, un autre encore ; c’est unie chaîne, une filiation excellente de chastes enseignements, qui s’étendra sur tous, et vous en serez le principe, la racine, et tous les fruits, récoltés de cette bonne éducation des enfants, se moissonneront pour vous. Si les pères appliquent tous leurs soins à bien élever leurs enfants, c’en est fait, il n’est plus besoin, ni de lois, ni de jugements, ni de peines, ni de supplices, ni d’expiations publiques par le sang ; car : Ce n’est pas pour le juste, dit l’Apôtre, que la loi est faite. (1Ti 1,9) Mais, comme nous n’en prenons pas soin, nous les précipitons dans les plus grands malheurs ; nous les livrons aux mains des bourreaux ; trop souvent, c’est nous qui les jetons dans les gouffres. Car, dit l’Écriture, Celui qui évente son fils, pansera ses plaies. (Sir 30,7) Que signifient ces paroles, Celui qui évente ? c’est-à-dire, celui qui cherche, outre mesure, à soulager, celui qui flatte, qui prodigue des soins serviles. Car ce qu’il faut à l’enfant, c’est un soin austère, sévère, qui inspire la crainte. Ce que j’en dis, ce n’est pas pour que nous soyons durs et farouches avec les enfants, mais pour éviter de devenir méprisables à leurs yeux. Si la femme doit craindre son mari, à bien plus forte raison, le fils doit-il craindre son père. Et ne me dites pas que la jeunesse est indomptable. Car si Paul demande à une veuve, à une femme, de prendre soin de ses enfants, à bien plus forte raison, le demande-t-il aux hommes ; et s’il y avait impossibilité, il n’aurait pas exprimé un commandement. Voici la vérité : toute perversité provient de notre négligence, provient de ce que, dès le principe, dès l’âge le plus tendre, nous n’avons pas formé nos enfants à la vertu. Nous avons grand soin de les mettre à l’étude des sciences profanes, de les initier à la milice, et nous dépensons de l’argent, et nous assiégeons nos amis de nos prières ; et à droite, à gauche, à chaque instant nous nous mettons en course : mais, pour que nos enfants soient en honneur auprès du Roi des anges, nous nous donnons fort peu de mouvement. Nous leur permettons souvent d’aller aux spectacles ; mais nous ne les poussons jamais, pour qu’ils viennent à l’église ; si une fois, deux fois, un tout jeune enfant vient ici ; c’est un hasard sans conséquence, sans aucune utilité ; c’est parce que cela l’amuse, qu’il se trouve en ce lieu. C’est le contraire que nous devrions voir quand nous envoyons nos enfants aux écoles, nous leur demandons qu’ils nous rendent compte de leurs leçons, ce que nous devrions faire en les envoyant à l’église, ou plutôt en les y conduisant. Car ce n’est pas à des mains étrangères que nous devons les confier ; c’est à vous de les amener ici, d’y entrer vous-même, afin de leur demander ensuite s’ils se souviennent bien de ce qu’ils ont entendu, de ce qu’ils ont appris. Cette conduite nous rendrait bien plus facile et plus expéditive la tâche de redresser vos enfants. Car si, dans l’intérieur de la maison, ils entendaient toujours ; de votre bouche, les discours de la sagesse, les bons conseils, auxquelles se joindraient les paroles qui se prononcent ici, ils nous montreraient bien vite, heureux fruits de ces généreux germes, une riche moisson. Mais nous ne faisons rien de semblable ; nous négligeons ce qui est de première nécessité ; faites des exhortations à ce sujet, tout de suite on rit de vous, et de là le bouleversement ; les pères négligent de corriger leurs enfants à la maison ; au-dehors, on s’en charge, et les enfants subissent la correction des lois.

11. N’avez-vous pas de honte, ne rougissez-vous pas, répondez-moi, quand ce fils, qui est votre fils, vous est pris par le juge pour le châtier ; pour le rendre plus sage ; quand il faut la correction du dehors à cet enfant, qui, depuis si longtemps, depuis sa naissance, a demeuré avec vous ? Ne vous cachez-vous pas, né rentrez-vous pas sous la terre ? avez-vous le courage, répondez-moi, de supporter qu’on vous nomme son père, vous qui avez ainsi trahi votre enfant, quine lui avez pas donné tous les soins nécessaires, qui l’avez négligé, quand la corruption pénétrait dans son âme ? À la vue d’un esclave qui bat voire enfant, vous vous indignez, votre colère s’allume, votre fureur éclate ; plus terrible qu’une bête féroce, vous bondissez à la vue de celui qui a frappé votre enfant ; et, à l’aspect du démon, qui le soufflette chaque jour sous vos yeux, des anges déchus qui l’attirent dans toutes les fautes, vous dormez, et vous ne vous indignez pas, et vous n’arrachez pas, au plus redoutable des monstres, votre enfant ? Si votre fils est démoniaque, vous courez vers tous les saints, vous troublez le repos de ceux qui résident au sommet des montagnes ; vous voulez le voir délivré de, cette maladie sinistre, et, quand c’est le péché, le péché, plus funeste que tous les démons ensemble, qui le trouble sans relâche, vous restez les bras croisés.

Être possédé du démon, ce n’est rien ; cette possession ne peut pas jeter dans l’enfer, Si nous voulons pratiquer la sagesse, cette épreuve nous vaudra de brillantes, d’éclatantes couronnes ; sachons bénir Dieu dans de telles épreuves. Mais celui qui passe sa vie entière dans le péché ne peut être sauvé ; il est absolument nécessaire, et qu’il subisse, sur la terre, tous les opprobres, et qu’en partant d’ici, il endure les éternels supplices. C’est pourtant ce que vous savez ; mais voilà : pour éviter les malheurs moindres, nous montrons tout notre zèle ; pour les plus grands, nous ne voulons pas nous réveiller. À la vue d’un démoniaque, nous gémissons ; à la vue d’un pécheur, nous ne sentons rien ; c’est alors pourtant qu’il faudrait se frapper la poitrine et gémir ; mais non, il ne suffit pas de gémir, il faut contenir, il faut réprimer, employer le frein, conseiller, exhorter, faire trembler, réprimander, user de tous les moyens de guérison, pour chasser ce mal funeste. Il faut imiter cette veuve, dont parle le bienheureux Paul : Si elle a bien élevé ses enfants ; car ce n’est pas d’elle seulement qu’il parle. C’est à tous sans exception qu’il adresse son discours ; c’est à tous qu’il donne ce conseil : Élevez vos enfants dans l’esprit du Seigneur. (Eph 6,4) Voilà la première, la plus grande de toutes les bonnes œuvres, la première aussi qu’il demande à la veuve ; ensuite il ajoute : Si elle a exercé l’hospitalité. Que dites-vous, répondez-moi ? C’est d’une veuve que vous réclamez l’hospitalité ? Ne lui suffit-il pas d’élever ses enfants ? Non, dit-il, il faut encore qu’elle y ajoute ce devoir ; qu’à la surveillance de ceux qui lui appartiennent, elle joigne le soin des autres ; qu’elle ouvre sa maison aux étrangers ; ton mari est parti, le culte que tu avais pour lui, déploie-le envers les étrangers. Quoi donc ! me répond-on, et si elle est pauvre ? elle ne l’est pas plus que cette pauvre femme qui, avec un peu de farine, un peu d’huile, a reçu le grand prophète Élie ; elle aussi avait des enfants ; mais, ni son indigence, ni la famine qui pesait sur elle, ni la mort qu’elle attendait, ni ses inquiétudes pour ses enfants, ni son veuvage, ni quoi que ce puisse être, rien n’a été un obstacle pour cette femme, attachée aux devoirs de l’hospitalité.

12. Vous le voyez, ce qu’il faut partout, ce n’est pas la juste mesure de la fortune, mais la juste mesure de la sagesse ; quiconque a la grandeur de l’âme, la richesse des sages pensées, fût-il le plus pauvre de tous les hommes, parce que l’argent lui manque, peut surpasser les plus riches, par l’hospitalité, par l’aumône, par toutes les autres vertus. Celui dont l’âme est petite, dont la pensée est pauvre, celui qui rampe à terre, aurait beau être le plus opulent de tous les hommes, il est le plus pauvre de tous et le plus indigent. Voilà pourquoi, dans l’exercice des vertus hospitalières, il hésite, il succombe. Et, de même que le pauvre ne rencontre, dans sa pauvreté, aucun obstacle pour l’aumône, parce que son âme est riche ; de même le riche ne trouve, dans son abondance, aucun ressort pour la sagesse ; parce que son âme est pauvre. Et les exemples ne sont pas loin. Cette veuve, avec un peu de farine, accueillit le prophète ; Achab, au sein d’une si grande opulence, convoita le bien d’autrui : Ce n’est donc pas la richesse de l’argent ou de l’or, mais la richesse de l’âme, qui nous rend l’aumône facile, puisque cette veuve, avec deux oboles seulement, a surpassé des milliers de riches ; puisqu’elle n’a pas trouvé d’obstacle dans sa pauvreté. Donc, cette pauvreté même rend l’aumône plus considérable. C’est ce que dit le bienheureux Paul : Leur profonde pauvreté a répandu avec abondance, les richesses de leur charité sincère. (2Co 8,2) Il ne faut pas considérer ceci, qu’elle a donné deux oboles, mais que possédant uniquement ces deux oboles, elle ne les a pas ménagées ; elle à donné toute sa fortune ; il faut l’admirer et la couronner. Ce n’est pas de fortune que nous avons besoin ; c’est un zèle empressé qu’il nous faut, quand nous recevons les étrangers : De même que, si ce zèle nous anime, la pauvreté ne nous porte aucun préjudice ; de même, si ce zèle nous manque, nous ne retirons, de notre abondance, aucune utilité. Que m’objectez-vous ? Cette veuve a ses enfants à soigner, et, pour cette raison, elle ne pourrait pas s’occuper des étrangers ? Pour cette raison même, il lui sera plus facile de rendre aux étrangers ses devoirs. Elle associera ses enfants aux soins qu’elle prendra d’eux. Ses enfants partageront sa tâche, s’attacheront à elle, dans cette occupation si noble. Ainsi, ce n’est pas un obstacle, c’est un secours, dans l’exercice de l’hospitalité, que le grand nombre des enfants ; le grand nombre des mains à l’ouvrage, facilitera le ministère : Ne me parlez pas d’une table somptueuse ; si elle reçoit l’étranger dans sa maison, si elle lui offre ce qu’elle a, si elle lui montre tout le zèle d’une affection charitable, elle a recueilli, sans que rien y manque, le fruit de l’hospitalité. S’il suffit d’un verre d’eau pour ouvrir le royaume du ciel ; l’accueil qui admet sous le même toit, qui fait asseoir l’étranger à la même table, qui le fait se reposer, quel fruit ne recueillera-t-il pas, répondez-moi ? Remarquez bien jusqu’où va le précepte de Paul : il ne demande pas simplement, ici, qu’on accueille les étrangers, mais qu’on leur fasse accueil, de tout cœur, avec une âme que brûle le feu de la charité. Après avoir dit : Si elle a exercé l’hospitalité, il ajoute : Si elle a lavé les pieds des saints. Il ne faut pas qu’assise superbement, elle abandonne, à des servantes, le soin de l’étranger ; elle doit le servir elle-même, ravir elle-même ce fruit de vertu ; elle ne doit céder à personne ce trésor si beau. Et comment cela se ferait-il, me dit-on, si elle est de bonne famille, issue de nobles et illustres ancêtres ; elle ira laver elle-même les pieds de l’étranger ? Comment, ne serait-ce pas une honte ? Une honte ! si elle ne les lave pas, entendez bien ; fût-elle mille et mille fois de plus noble famille, issue de plus nobles, de plus illustres ancêtres, elle est du même sang que celui dont elle lave les pieds ; esclave, comme celui qu’elle soigne, et qui est son égal.

13. Méditez, considérez quel est Celui qui a lavé les pieds de ses disciples, et ne me parlez plus de noblesse, et ne me parlez plus de noble naissance. Le Maître, le Seigneur qui commande à la terre entière, le Roi des anges, il a lavé leurs pieds ! Il s’est mis un linge autour des reins, et il n’a pas lavé seulement les pieds de ses disciples, mais aussi les pieds de celui qui le trahissait ! Comprenez-vous, entre celui qui lavait et ceux qui étaient lavés, quelle distance il y avait ? Le Seigneur pourtant n’a rien voulu voir de toute cette distance, et le maître a lavé son esclave, afin que la femme esclave ne rougisse pas d’en faire autant à celui qui est esclave comme elle ; et, si le Seigneur a lavé les pieds du traître, c’est pour que vous ne disiez pas de l’étranger qu’il est trop vil, trop méprisable pour que vous lui donniez vos soins. Je veux qu’il soit vil et méprisable : il ne l’est pas autant que Judas ; il ne vous a pas fait ce que Judas a fait à son Maître : après tant de bienfaits, il a été le trahir. Le Seigneur prévoyait tout cela, et il lui a lavé les pieds, pour montrer à nos yeux, dans la pratique, les lois qu’il nous impose, pour nous apprendre que, quel que soit notre rang et notre dignité, et quand les derniers de tous les hommes devraient venir chez nous demander l’hospitalité, ce n’est pas une raison pour nous de nous soustraire aux soins qu’ils réclament ; ne rougissons pas de leur bassesse. Que fais-tu, ô femme ! à la vue d’un homme qui te porte secours dans les affaires de la vie, qui t’assiste devant les juges ou dans quelque autre circonstance ? Tu lui fais un accueil plein d’affection et tu lui baises les mains, et tu dépenses de l’argent, et tu partages les soins des servantes. A la vue du Christ qui t’arrive, tu recules et tu renonces à le servir ! Si tu ne reçois pas l’étranger comme le Christ, ne le reçois pas ; mais, si tu le reçois comme le Christ, ne rougis pas de laver les pieds du Christ. Et ne vois-tu pas combien de victimes de l’injustice se sont réfugiées aux pieds de ses images ? Matière insensible, pourtant, bronze inanimé ! Mais, comme ce sont de royales images, on prend confiance ; on s’assure que, de ces pieds que l’on touche, on recueillera quelque utilité. Et toi, quand tu vois non des pieds insensibles, non une matière sans âme, mais une image qui porte le Roi en elle ; quand cette image vient vers toi, tu ne cours pas à sa rencontre ! Réponds-moi. Tu ne t’attaches pas à ses pieds, tu ne l’entoures pas de tous tes soins ? Quelle pourrait être l’excuse de cette indifférence ? Comment n’en pas rougir ? Considère quel commerce exalte, ton orgueil, transporte ta vanité, toi qui rougis de prendre soin d’un étranger. Ce, commerce, c’est le commerce avec le démon ; car le vain orgueil, voilà sa maladie. Si, au contraire, tu cours au-devant de l’étranger, considère quel est Celui dont tu suis l’exemple : tu imites ton Seigneur, tu fais l’action du Christ. Quelle honte, quel opprobre y a-t-il à faire comme le Seigneur ? Réponds-moi. La honte ! je sais bien ce qui la produit : c’est d’avoir honte de ces soins, c’est de regarder comme un opprobre ce qu’a fait le Christ. Les pieds des saints ont un grand pouvoir quand ils entrent dans une maison : ils sanctifient le sol, ils introduisent dans la maison un trésor de biens innombrables ; ils corrigent l’aveuglement de la nature ; ils dissipent la famine ; ils amènent l’abondance. C’est ce que firent les pieds d’Élie entrant dans la maison de la veuve, où ils introduisirent une incroyable, une admirable abondance. La maison de la veuve devint un champ fertile ; son vase devint un grenier. On vit alors une semence nouvelle, une moisson inouïe : la veuve semait dans la bouche du juste, et elle moissonnait dans son vase, avec une merveilleuse abondance, ce qu’elle avait semé ; elle semait la farine, et elle moissonnait la farine. Elle n’a eu besoin ni de bœufs, ni d’attelage, ni de charrue, ni de sillons préparés, ni de pluie, de température favorable, de faux, de greniers, de gerbes, de van pour séparer le grain de la paille, ni de meule pour moudre ; en un instant, dans son vase, elle a trouvé le couronnement de tous ses travaux : deux fontaines intarissables, une de farine, une d’huile, ont jailli à la voix du Prophète.

14. Tels sont les présents des saints : ils sont. abondants et ne coûtent aucune peine. Les fruits de la terre se consument ; les fontaines où la veuve puisait chaque jour étaient inépuisables ; la dépense et l’abondance luttaient à armes égales. Voilà les présents qu’apportent les pieds des saints, ou plutôt ils en procurent de bien plus considérables. Si ce n’était la crainte de trop allonger ce discours, je pourrais passer en revue un grand nombre de présents du même genre. De même que ceux qui les traitent avec honneur obtiennent d’eux de tels dons, de même ceux qui les méprisent s’attirent un redoutable supplice, la flamme, à laquelle on ne peut échapper. Qui le prouve ? Écoutez le Christ lui-même parlant à ses disciples : En quelque ville ou en quelque village que vous entriez, informez-vous qui est digne de vous loger, et demeurez là, et, en entrant, dites : Que la paix soit dans cette maison ! (Mat 10,11, 12) Et, afin que vous ne disiez pas : de dépense de l’argent, je dissipe ce que j’ai en servant des repas aux étrangers, le Seigneur fait que celui qui entre dans votre maison est le premier à vous donner les présents de l’hospitalité, présents magnifiques, qui surpassent toutes les richesses. Quels sont-ils ? La plénitude de la paix. Rien n’est comparable à la paix. Voyez avec quelle abondance de biens le saint fait son entrée dans une maison : la paix, ce n’est qu’un mot bien petit, mais qui renferme des, biens infinis. Quoi de plus sûr qu’une maison qui jouit de la paix ? Les saints souhaitent la paix à ceux qui les reçoivent : ce n’est pas seulement la paix avec les autres, mais la paix avec nous-mêmes. En effet, il arrive souvent que nous sentions la guerre dans nos pensées ; personne ne nous interpelle et nous sommes dans le trouble ; les passions mauvaises se lèvent contre nous. Ce combat intérieur s’apaise à cette parole des saints, qui produit en nous une profonde tranquillité ; car, aussitôt que le saint a prononcé cette parole, toute pensée inspirée par le démon, tout mauvais conseil est banni de notre âme. Et voilà comment vous recevez bien plus que vous ne donnez. Si cette maison volts reçoit, votre paix viendra sur elle ; si elle ne vous reçoit pas, secouez la poussière de vos pieds. Je vous dis, en vérité, au jour du jugement, Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement. (Id 13,15) Voyez quel feu vengeur appellent, attisent les pieds des saints. Voilà pourquoi Dieu nous commande de laver ces pieds c’est afin que le soin que nous en aurons pris nous concilie la faveur de Dieu. Et, en même temps, il nous avertit d’exercer par nous-mêmes tous les devoirs de l’hospitalité. Imitez Abraham, ô veuve ! devenez une fille d’Abraham. Il avait trois cent dix-huit esclaves, et lui-même partagea avec son épouse le fruit de l’hospitalité ; lui-même apportait le veau, Sara pétrissait la farine. Empressez-vous de les imiter. Ce n’est pas seulement l’argent que l’on donne, mais lé soin que l’on prend en servant soi-même les pauvres, qui mérite de grandes récompenses. Voilà pourquoi les apôtres confièrent ce ministère aux sept parmi lesquels on comptait Étienne. (Act. 6) Sans doute, ils ne donnaient d’eux-mêmes rien aux pauvres ; mais ils distribuaient sagement ce que les autres avaient donné, et ils ont mérité une grande récompense pour avoir distribué avec sagesse, avec une parfaite diligence, les dons qui provenaient des autres.

15. Devenez donc, vous aussi, les sages dispensateurs de vos biens, afin de recueillir un double fruit, et parce que vous donnez, et parce que vous distribuez vos dons avec sagesse. Ne rougissez pas de servir le pauvre, de vos propres mains ; le Christ ne rougit pas de vous tendre la main, lui-même, en prenant la figure du pauvre ; il ne rougit pas de recevoir ; et vous rougiriez, vous, de tendre la main pour accorder le don ? ne serait-ce pas le comble de la démence ? Je ne connais qu’une honte, la pensée mauvaise, la cruauté qui n’a pas d’entrailles ; mais, la tendresse du cœur, l’aumône, la charité, le soin que l’on prend des pauvres, voilà ce qui nous assure la gloire. Plus vous serez riches et opulents, plus vous vous acquerrerez toutes les louanges, quand vous vous abaisserez jusqu’au mendiant, jusqu’au pauvre qu’on méprise. Vous n’aurez pas seulement les louanges des hommes, mais celles de l’ange et du Dieu des anges ; et le Seigneur ne se contentera pas de vous louer, il vous décernera, en – retour, des présents, qui vaudront deux fois les vôtres ; il ne se contentera pas de récompenser en vous l’aumône, mais il récompensera largement l’humilité. Donc, ne rougissons pas de nous faire les serviteurs des pauvres ; ne refusons pas de laver les pieds des étrangers ; car nos mains se sanctifient par un tel ministère ; et, quand votre prière les relève vers le ciel, après qu’elles se sont abaissées à ces soins, Dieu les voit, et il s’émeut plus facilement, et il accorde ce qui lui est demandé. Il est facile de donner de l’argent ; mais se faire le serviteur des pauvres, et les servir avec l’allégresse de l’amour et de la charité, avec une affection fraternelle, c’est là ce qui suppose une âme grande et vraiment sage ; et c’est là ce que Paul demande à tous, avant toutes choses, quand il nous ordonne de compatir au sort des affligés, des pauvres, de ceux qui sont dans la tribulation, de nous représenter que nous-mêmes, nous sommes frappés comme eux : Souvenez-vous de ceux qui sont dans les chaînes, comme si vous étiez enchaînés avec eux. (Heb 12,3) Aussi ne se borne-t-il pas à ces paroles ; mais, autre part, il dit encore : Si elle a secouru les affligés, en les servant ; si elle s’est appliquée à toutes sortes de bonnes œuvres. (1Ti 5,10). Que signifie, si elle s’est appliquée à toutes sortes de bonnes œuvres ? Si elle est entrée dans les prisons, si elle a visité ceux qui étaient dans les fers ; si elle a été voir les malades, réconforter les affligés, consoler ceux qui sont dans la tristesse, et, si elle a fait tout ce qui dépendait d’elle, ne refusant absolument rien de ce qui a pour but le salut et la consolation de nos frères. S’il réclame, d’une veuve ; tant de bonnes œuvres, quelle sera notre excuse, à nous, qui nous appelons des hommes, de ne pas faire ce que Paul a prescrit à des femmes ? Mais, peut-être me dira-t-on, comment réclame-t-il enfin, d’une veuve, d’une femme, tant de zèle, lui qui, quand il écrivait au sujet des vierges, n’a rien dit de pareil ? Il exige d’elles une vertu plus grande encore, car après avoir dit : Il y a celle qui est mariée, et celle qui est vierge. La vierge s’occupe du soin des choses du Seigneur, elle s’inquiète de lui plaire ; il ajoute : Je vous dis ceci pour votre avantage, pour vous donner un moyen plus facile de prier Dieu, sans empêchement. (1Co 7,31, 35) Ce qui veut simplement dire, qu’il faut qu’une vierge, une fois qu’elle a renoncé à toutes les affaires de ce monde, se consacre à Dieu tout entière ; n’ait plus rien qui l’attache à la terre ; ne vaque pas, tantôt à certaines occupations, tantôt à d’autres occupations ; mais, après avoir absolument renoncé à toute affaire, applique toute son âme, aux – choses spirituelles. C’est évidemment ce que nous montre la parabole des dix vierges. Pourquoi sont-elles exclues de la chambre de l’époux ? c’est parce qu’elles n’ont pas d’huile ; or, l’huile n’est pas autre chose que la compassion, l’aumône, la bienfaisance, le soulagement apporté aux douleurs des victimes de l’injustice, la consolation donnée à ceux qui sont clans la tristesse. Et comme ces vierges n’avaient pas cette huile, elles ont dû se retirer sans honneur, loin de la chambre nuptiale.

16. Donc, puisque nous sommes instruits de toutes ces vérités, épouses, époux, vierges, femmes mariées, veuves, tous tant que nous sommes, appliquons-nous, de toutes nos forces, à l’aumône, et ne disons pas : Voilà un méchant, qui ne mérite pas un bienfait ; voilà un être vil, voilà un être méprisable. Ne regardez pas aux mérites de celui qui a besoin. d’assistance et de secours ; ne voyez que son indigence ; il est, tant que vous voudrez, vil, méprisable, abject ; quoi qu’il en soit pourtant ; le Christ vous est aussi reconnaissant de votre bienfait, que s’il l’avait reçu lui-même, par la main du malheureux. Voici qui prouve que nous ne devons pas considérer les mérites de ceux qui reçoivent les bienfaits ; écoutez la parole du Christ : J’ai eu faim, et vous m’avez donné et manger. (Mat 25,35) Et comme on lui disait : Quand donc avez-vous eu faim, et vous avons-nous donné à manger ? Il ajoutait ces paroles :Autant de fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, de mes frères, c’est à moi-même que vous l’avez fait. (Id 37,40) Ainsi, plus de prétexte ! Pour prévenir notre résistance, nos paroles de ce genre : Où donc trouverons-nous, maintenant, un homme qui ressemble à Élie ? un homme qui ressemble à Élisée ? ou bien encore : Amenez-moi de tels hommes, et vous verrez avec quelle ardeur je les accueillerai ; comme je ne refuserai pas de leur laver les pieds ; de leur rendre toute espèce de soins ; pour prévenir ces discours, voici que le Maître d’Élie, d’Élisée, et, de tous les prophètes, le Seigneur nous promet de venir vers nous, lui-même, sous la figure des pauvres, il nous dit : Autant de fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, de mes frères, c’est à moi-même que vous l’avez fait.

Mais gardez-vous de passer encourant sur ce qui a été dit ; remarquez que cette parole, J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, contient quatre nécessités de l’aumône : la confiance que mérite celui qui demande, parce que c’est le Seigneur qui demande ; la nécessité qui le presse, parce que c’est la faim ; la facilité de lui donner ce qu’il demande, parce qu’il ne cherche que de la nourriture, il ne demande que du pain, et non des choses délicieuses ; la grande récompense à attendre, puisque, pour si peu de chose, ce qui est promis, c’est la royauté. Êtes-vous un homme sans entrailles, sans pitié, un être cruel ? respectez, redoutez la dignité de celui qui demande. La considération de cette dignité ne vous suffit pas ? Soyez du moins fléchi par le, malheur. Niais le malheur ne vous fléchit pas, n’excite pas votre pitié ? il est si facile d’accorder ce qu’on demande, donnez. Mais, ni la dignité, ni la nécessité pressante, ni la facilité de donner ne peuvent vous persuader ? Eh bien alors, ne voyez que la grandeur des biens qui nous sont annoncés, et donnez à l’indigent. Comprenez-vous qu’il y a quatre causes ? fussiez-vous des pierres, des avares, des êtres sans yeux et sans cœur, les plus stupides de tous les hommes, quatre causes suffisantes pour voua exciter ? Quel pardon pourrait mériter ceux qui, après tant d’exhortations et de conseils, mépriseraient les indigents ? Je veux dire, je veux ajouter encore, à ces considérations, une considération nouvelle ; écoutez, vous qui êtes initiés. Lui-même, Lui, quand il faut vous nourrir, n’épargne pas sa propre chair ; quand il faut vous abreuver, n’épargne pas son propre sang ; il ne vous le refuse pas, et vous, vous ne donnerez pas, même un peu de pain, pas même un verre d’eau ? Quel pardon enfin obtiendrez-vous, vous qui avez reçu tant de biens, si précieux, et qui êtes, pour de si petites choses, si avares ? Prenez garde, qu’en refusant, trop souvent, de faire, avec le Christ, une dépense qui profite, vous ne fassiez, avec le démon, une dépense lui damne. Ce que nous ne donnons pas aux pauvres ; nous le donnons aux esprits menteurs ; la plupart du temps, les voleurs, ou des serviteurs malfaisants, nous emportent nos richesses, et s’en vont ; ou c’est encore quelqu’autre coup du hasard, qui nous ravit notre bien. Supposez que nous évitions tous ces accidents, la mort survient, qui nous emmène, nus. Évitons ces malheurs ; hâtons-nous de donner au Christ, qui nous demande ; mettons notre fortune en réserve dans un trésor qu’aucun brigand ne menace ; qui nous assure que la fortune est bien gardée, et rapporte. Car, il ne suffit pas au Christ, de garder avec soin ce qu’il a reçu, il veut vous le rendre encore, avec un ample profit ; gardons-nous donc de croire que nous diminuons nos ressources, quand nous faisons l’aumône. Elles ne diminuent pas, elles croissent ; elles ne se dissipent pas, elles multiplient ; c’est un commerce à gros bénéfices ; ce sont des semailles avant la moisson ; ou plutôt, plus que toute semailles, plus que tout commerce, voilà qui est profitable et assuré. Le commerce est exposé aux vents, aux flots, aux naufrages sans nombre ; il faut craindre, pour les semences, la sécheresse, la pluie, toutes les intempéries, toutes les variations funestes de l’air ; mais l’argent déposé dans la main du Christ, est à l’abri de tous les dangers. Nul ne peut le ravir à cette main divine, une fois qu’elle a reçu ce qu’on lui a confié. L’argent reste là, produisant des intérêts ineffables, une moisson, qui se montre, quand le temps arrive, d’une ineffable magnificence. Celui qui sème peu, moissonnera peu, celui qui sème avec abondance, moissonnera aussi avec abondance. (2Co 9,6) Semons donc avec abondance, afin de recueillir aussi des moissons abondantes, afin de jouir de – la vie éternelle ; puissions-nous tous l’obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dais les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. C. PORTELETTE.

Copyright information for FreChry